22 novembre 2011

Ces singes qui parlent, d'Eugene Linden

Ces singes qui parlent
d'Eugene Linden

Mise à jour : Ajout du sommaire et des extraits

Depuis des siècles, l'homme occidental se considère comme séparé du monde animal. Mais, après Darwin, les barrières entre l'humanité et le reste de la nature ne cessent de s'effriter. Le langage restait l'une des dernières prérogatives humaines : il nous faut maintenant la partager avec les grands singes.

Washoe, un chimpanzé femelle, a appris l'ameslan, un langage gestuel utilisé par les sourds-muets. Elle connaît et utilise plusieurs centaines de mots. Koko, une jeune gorille, a des performances encore supérieures. Aujourd'hui, plusieurs dizaines de singes, dans les laboratoires, parlent aux humains aussi bien qu'entre eux.

Eugene Linden a enquêté auprès des psychologues et des linguistes. Il rapporte les faits acquis et les âpres débats sur leur signification. Il discute les implications vertigineuses, scientifiques et philosophiques, des performances de Washoe et de ses congénères. Ne serait-ce pas ici le début d'une véritable révolution de nos conceptions sur la place et le rôle de l'homme dans la nature ?

Ces singes qui parlent, Eugene Linden, Editions Seuil, 1979, 320 pages, illustrations en noir et blanc

Une autre présentation du livre, extraite de l'introduction

P12-P13 ../.. Dans la première partie, nous ferons connaissance avec Washoe et nous considérerons les premiers remous qu'elle a créés dans le monde des sciences (chapitres 1 à 4). Nous visiterons ensuite (chapitres 5 à 10) son domicile actuel et nous rencontrerons ses congénères et les êtres humains qui l'entourent, avant de nous intéresser à une audacieuse expérience qui se propose d'amener les membres d'une bande de chimpanzés à faire appel à un langage humain pour communiquer les uns avec les autres au cours de leurs activités quotidiennes. Il sera temps alors (chapitré 11) d'essayer d'isoler, à la lumière des chapitres précédents, un aspect du comportement qui, vu la faillite des distinctions traditionnelles, pourrait nous aider à comprendre certaines des différences manifestes entre l'homme et le chimpanzé. Nous examinerons ensuite (chapitres 12 et 13) l'avenir des travaux inaugurés avec Washoe et les résultats obtenus par d'autres chercheurs dans leur tentative de communiquer (par des moyens différents) avec d'autres chimpanzés. Nous ferons connaissance avec un autre primate, une jeune femelle de gorille du nom de Koko. Enfin, (chapitre 15) nous essaierons d'envisager un peu ce que signifie, d'un point de vue culturel, la possibilité de converser avec un animal d'une autre espèce.
Dans la seconde partie (chapitres 16 à 20), nous examinerons aussi bien les événements qui ont abouti au phénomène Washoe que les transformations dont il est le signe, dans le monde des sciences comme dans notre monde de tous les jours. Pour conclure, nous tenterons d'analyser la vision du monde pour laquelle l'apparition de Washoe ne pouvait qu'être une surprise et de l'opposer à une nouvelle vision du monde, encore en formation et pour laquelle les performances de la petite guenon n'ont rien de surprenant.

A propos de l'auteur

Eugene Linden est né en 1947. Journaliste, il a effectué des reportages au Vietnam puis publié un ouvrage sur l'impact de l'aide des Etats-Unis en Afrique. C'est après une longue enquête dans les laboratoires, et de nombreux articles sur les singes et le langage, qu'il a écrit ce livre.

Au sommaire

Introduction
I - Le chimpanzé dans le temple du langage
1. Le problème : un chimpanzé qui jure
2. Washoe
- L'arrière-plan
- La vie à Reno
- Le langage
- L'enseignement du langage
- Washoe prend le relais
- La collecte des données
- Combinaisons
3. Enfant et chimpanzé : essai de comparaison
- Le problème de l'acquisition du langage chez l'enfant
- Le langage et son développement chez l'enfant, selon la description de Roger Brown
- L'intelligence sensori-motrice
- Confrontation du schéma de Washoe à celui de Brown
- "Toi chatouiller moi"
4. Les réactions du monde scientifique
- Langage, nom, concept
- Langage et technique
- Déplacement et reconstitution : leur place dans l'histoire de l'hominisation
- Les débuts de l'humanité
- Bref historique du langage gestuel
5. L'Institut pour l'étude des primates
6. La colonie chimpanzé : Lucy
- La fin de l'enfance
7. La colonie chimpanzé : Ally
8. La colonie chimpanzé : Bruno et Booee
9. Une description du langage parmi d'autres
10. Une communauté de chimpanzés parlants
- Interchangeabilité
- Transmission culturelle
- Productivité
- Déplacement
11. Le déplacement et l'évolution de l'intelligence
12. Perspectives
13. Sarah
14. Koko
15. Premières conclusions
II - Rehabilitation de l'esprit animal
16. La nature de l'évolution scientifique
- L'évolution scientifique
17. Darwin dans le temple de Platon
18. La Société du comportement animal, Washoe et une certaine convergence entre Skinner et Lorenz
- En attendant le colloque
19. Le colloque
- Communication animale et langage humain ; discontinuité dans la démarche ou dans l'évolution ?
20. Après le colloque
21.Washoe et l'expédition lunaire : Dionysos et Apollon
Bibliographie

Pour en savoir plus

- La rubrique Ces singes qui parlent
- Des vidéos en ligne sur le sujet
- Ou bien, du même auteur Les lamentations du perroquet

Quelques extraits

Chapitre 5 : L'Institut pour l'étude des primates

P98 ../.. Si Washoe a été transplantée du Nevada dans l'Oklahoma, c'est qu'elle est appelée à être un émissaire de l'humanité auprès des chimpanzés ; nouveau Prométhée, elle doit inciter un groupe sélectionné de chimpanzés à faire appel à l'ameslan pour communiquer non seulement avec les hommes, mais aussi entre eux, au cours de leurs activités quotidiennes. Cette démarche consiste, en substance, à reproduire l'évolution qui a provoqué le langage humain : il s'agit d'intensifier les pressions de sélection qui peuvent aboutir au développement du langage au sein d'une communauté appartenant à l'espèce qui nous est la plus proche.
Au milieu d'un monde où seul l'homme dispose du langage, l'île aux chimpanzés est l'embryon d'un monde nouveau où les animaux en feront autant. ../..

Chapitre 13 : Sarah

P203 ../.. Je me rappelle avoir lu une interview de Elisabeth Mann Borghese, femme du philosophe italien et fille de Thomas Mann : elle y parlait de ses tentatives de communication avec des chiens et des chimpanzés. Ainsi elle a appris à son setter, Arlecchino, à écrire des dictées sur une machine construite spécialement pour lui, dont le clavier est assez grand pour qu'il puisse appuyer sur les touches avec son nez. Son vocabulaire comprenait 60 mots et son alphabet 17 lettres. Dans la plupart des cas le chien se contentait d'écrire ce qu'on lui dictait. Mais, une fois, alors que sa maîtresse lui avait demandé où il voulait aller, Arlecchino, qui avait une passion pour les promenades en voiture, tapa sur sa machine le mot "auto". Mme Borghese cite un autre épisode : elle voulait lui faire une dictée, mais lui n'en avait pas envie et restait sourd à toutes ses adjurations; il baillait, s'étirait... soudain il s'approcha de la machine et, de son propre chef, écrivit : "un chien mauvais mauvais". ../..

Chapitre 14 : Koko

P209 ../.. Elle sait utiliser le langage de manière créative pour décrire des situations nouvelles, c'est ainsi qu'elle a baptisé "gâteau caillou" une pâtisserie rassise, qu'elle a formé les signes "écoute pas bruit" quand un réveil-matin a cessé de sonner et qu'elle a un jour décrit un masque comme un "chapeau oeil". Elle pousse des jurons et dispose de tout un lexique d'insultes : sale, WC, sale WC, pourri, pourri puer, stupide, andouille, bon sang (damn) et oiseau sont quelques-uns des mots qu'elle utilise pour exprimer son mécontentement. Koko connaît le sens réel de "andouille" et de "oiseau" et sait les utiliser dans les deux sens. Quand elle fait référence à l'animal ou à la charcuterie, elle forme le signe au milieu de la bouche, comme il convient. Quand elle utilise ces deux mots dans leur sens insultant, elle en trace le signe sur le côté de la bouche. Penny Patterson pense qu'elle utilise le mot "oiseau" comme une insulte parce qu'elle déteste les passereaux criards qui font raffut autour de la caravane.
Au cours de ma visite, j'ai eu l'occasion d'entendre Koko utiliser un échantillon de son vocabulaire scatologique. Elle était plongée dans la contemplation d'un calendrier illustré et Penny me signala qu'une des photos était celle d'un orang-outan. Désireux de montrer cette image à Koko, je commis l'erreur de m'emparer du calendrier pour trouver la page en question. Koko entra aussitôt dans une violente colère, qu'elle maîtrisa tout aussi vite. Pendant les quelques instants qui suivirent, elle demeura extrêmement agitée et, selon Penny, effrayée d'avoir failli perdre le contrôle d'elle-même. Pour la distraire, Penny lui montra alors une photo de son gorille de père en lui demandant : "qui est-ce ?". Koko demeura assise, boudeuse, et finit par former les signes : "ça pourri puer". J'ai le sentiment qu'elle voulait parler de moi mais était trop bien élevée pour donner libre cours à sa colère contre un inconnu.
Je pris congé un peu plus tard et Koko forma le signe "au-revoir" des deux mains. Penny me dit qu'elle ne le fait que lorsqu'elle est vraiment heureuse de voir quelqu'un s'en aller.

Chapitre 16 : La nature de l'évolution scientifique

P222 ../.. Washoe, comme le démontrent amplement les réactions des sourds qui assistent à la projection de ses exploits filmés, ne parle pas seulement aux spécialistes de la psychologie comparée, mais au monde entier. De même, elle ne se contente pas de remettre en question les hypothèses qui ont cours sur le comportement animal et humain, elle pose des problèmes d'ordre éthique aux recherches futures. Ces questions éthiques débordent à leur tour le cadre de la science pour interpeller la théologie, la philosophie et la politique. ../..

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