03 novembre 2009

L'animal est-il une personne ? d'Yves Christen

L'animal est-il une personne ?
d'Yves Christen

Longtemps nous avons considéré les animaux comme ceux que la nature avait privés des qualités que nous, les humains, possédons : l'aptitude à raisonner, apprendre, communiquer, s'adapter, décoder, transmettre, enseigner, progresser... Les travaux scientifiques ont pulvérisé cette idée reçue, et depuis la dernière décennie, ils nous surprennent encore plus. Qui sont vraiment les animaux ? On les savait joueurs, blagueurs, rieurs, féroces parfois ; on les découvre tricheurs, menteurs, trompeurs, mais aussi aimants, mélancoliques ou encore émotifs, stratèges, sensibles aux intentions d'autrui, capables de respecter une morale ou d'élaborer une culture.

La très grande ingéniosité des tests et l'extraordinaire diversité des observations scientifiques (éthologie, génétique, psychologie, zoologie, primatologie, neurosciences) nous révèlent les facettes de l'intelligence et de l'identité animales, et prouvent l'absurdité qu'il y a à réduire les compétences de la bête à la seule force de son instinct. Car en dépit des caractéristiques qui fondent l'homogénéité de son espèce, chaque animal est un individu à part entière, un être social unique, complexe, et par là même un sujet de droit.

Des singes aux léopards, des éléphants aux antilopes, des baleines aux dauphins, l'auteur nous propose une approche de l'altérité qui apporte beaucoup au débat sur l'exploitation et la manipulation animales. Un plaidoyer fort documenté en faveur de la personne animale.

L'animal est-il une personne ? Yves Christen, Editions Flammarion, 2009, 537 pages

A propos de l'auteur

Yves Christen est à la fois un scientifique (biologiste spécialisé dans les domaines de la génétique et des neurosciences) et un vulgarisateur (il a été rédacteur en chef de la revue La Recherche et responsable de la rubrique scientifique du Figaro Magazine). Il a en outre introduit en France la sociobiologie. Enfin, il s’est également fait connaître pour son intérêt à la fois scientifique et affectif pour des léopards dans Le Peuple léopard, Tugwaan et les siens (Michalon, 2000).

Pour en savoir plus

- L'article d'Andréa Massari du site Polémia
- L'article d'Alain Romestaing du site Parutions
- L'article d'Elisabeth Lévy du site MNE
- Du même auteur, le livre Les surdoués du monde animal

Au sommaire

I. Rencontres
1 - Sous le regard de l'autre
2 - Prince ou la découverte de l'individu
3 - Cet autre que nous ne savons pas voir
II. Le vrai savoir des animaux ou le mythe de l’animalité comme absence
4 - Sans raison ?
5 - Sans vie sociale ?
6 - Sans émotion ?
7 - Sans langage ?
8 - Sans théorie de l'esprit ?
9 - Incapable d'imiter ?
10 - Sans conscience ?
11 - Incapable de nous comprendre ?
12 - Sans culture ?
13 - Sans morale ?
14 - Pauvres en monde ?
15 - Sans histoire ?
16 - Sans droit ?
III. Le Propre de l’Homme ou le mythe de l’humanité comme un plus
17 - Nous ? Ou eux ? Anthropomorphisme ou anthropocentrisme ?
18 - Plus de gènes ?
19 - Plus de cerveau ?
20 - Tous géniaux et tellement différents de l'huître ?
21 - D'un plus à l'autre : y a-t-il vraiment un propre de l'homme ?
22 - Plus de liberté ?
23 - Tous les droits ?
IV. Personne ou personne ?
24 - Il ne leur manque rien
25 - Des personnes !
Projection
Notes
Bibliographie
Index thématique
Index des noms propres
Index des noms d'animaux

L'analyse du livre
par la LFDA, La Fondation Droit Animal

La personnalité d'Yves Christen comprend au moins deux traits qui touchent à la compréhension de l'animalité. Biologiste et darwinien convaincu, il a beaucoup réfléchi sur l'évolution des êtres vivants. Mais il possède aussi ce don merveilleux, une sympathie spontanée pour les animaux, apparue très tôt dans l'enfance : « Je dois reconnaître que mon empathie pour l'animal vient de l'enfance, d'une époque où j'intellectualisais peu les choses du monde, et qu'elle ne m'a jamais quitté » (p411). L'ouvrage qu'il nous propose ici résulte de la conjonction de ces deux traits : une présentation rigoureuse et exhaustive de « tout ce que vous vouliez savoir » sur le comportement ou les performances cognitives des animaux, mais sous-tendue par un amour profond de nos cousins à poils, à plumes, à écailles ou autres.

Dans toute la première partie de l'ouvrage, l'auteur répond, chapitre par chapitre, aux critiques anthropocentrées qui ont toujours voulu voir dans l'animal un déficient par rapport à l'homme, un être incomplet auquel il manquait toujours quelque chose pour atteindre le seuil, considéré comme « supérieur », de l'humanité. D'où les titres des chapitres qui s'égrènent sur le même mode ironique : « Sans raison ? », « Sans vie sociale ? », « Sans émotion ? », « Sans langage ? », « Sans théorie de l'esprit ? », « Sans conscience ? », « Sans culture ? », « Sans morale ? », etc. Questions innombrables, qui traduisent chaque fois la prétention de l'être humain à vouloir affirmer sa supériorité absolue, la rupture fondamentale qui le séparerait définitivement de l'animalité, cette animalité dont tous les penseurs sérieux sont aujourd'hui obligés d'admettre qu'il est issu. Questions innombrables auxquelles, à chaque fois, en quelques pages appuyées sur les résultats les plus clairs de l'éthologie moderne, Christen répond de manière magistrale pour réfuter la prétention humaine et montrer que les animaux, ou tout au moins certains d'entre eux, présentent ces traits qu'on avait voulu leur refuser. Pour réfuter, comme il le dit superbement, « le mythe de l'animalité comme absence » (p41).

Bien entendu, au sein de ce plaidoyer, le caractère sensible des animaux prend tout son relief : « Ils éprouvent de la souffrance, du chagrin, de la joie, du plaisir ou de l'amour » (p86). Et, bien entendu également, la question qui nous est chère des « droits de l'animal » fait l'objet d'un chapitre particulier, où la Déclaration universelle des droits de l'animal trouve la place qu'elle mérite.

Symétrique de la première partie, la seconde partie de l'ouvrage s'attache à débattre du « mythe de l'humanité comme un plus » (p281). Si, pour le darwinien, tous les êtres vivants représentent à leur manière un succès évolutif, comment faut-il comprendre le « propre de l'homme » ? Il est clair que certains animaux sont beaucoup plus doués que nous dans des domaines particuliers, y compris dans certains domaines intellectuels : « Les chiens nous comprennent mieux que nous ne les comprenons » (p182). Et que le propre de l'homme par rapport aux animaux, même dans les domaines d'abstraction où il excelle, paraît pouvoir s'expliquer en termes de quantité plus qu'en termes de différences qualitatives. Dès lors il n'existe dans la nature « aucune supériorité absolue » (p379) : « S'il existait un modèle de perfection dans la nature, doué d'une absolue supériorité en tous les domaines, il se serait imposé à tous par le moyen de la sélection naturelle » (p379). Laissons donc les humains profiter de la vie, avec ce que l'évolution leur a donné, un cerveau très performant capable de comprendre le réel, et laissons les (autres) animaux profiter de leur vie à leur manière, avec ce que l'évolution leur a donné. J'ajouterais même volontiers – mais cette boutade n'est pas de Christen – que si, dans l'absolu, nous pouvions choisir dans quelle espèce nous incarner, il n'est pas certain que la nôtre, intelligente mais au comportement sanguinaire et souvent abominable, serait nécessairement l'objet du choix de chacun d'entre nous ! Les amis des animaux comme les scientifiques trouveront dans ce livre, qui se lit comme un roman, matière à connaissance et, plus encore, à réflexion. Il faut donc lui souhaiter tout le succès qu'il mérite.

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