28 mars 2012

Animalement vôtre, de Chantal Knecht

Animalement vôtre
Procès d'animaux

Histoires d'hommes

de Chantal Knecht


De tout temps, des hommes ont jugé d’autres hommes. Mais un fait très curieux s’est produit pendant la période du Moyen Age et jusqu’au XVIIIe siècle environ, dans l’Europe chrétienne et rurale : des hommes ont jugé des animaux pour délits, en leur intentant des procès en bonne et due forme.

Ce livre nous dévoile un fait historique trop longtemps ignoré, celui des procès d’animaux dans l’Ancien Régime. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces procès ont réellement existé, véritables mises en scène judiciaires, calquées sur celles du monde des humains, avec président de cour, avocat de la défense, gardiens de prison, bourreaux, plaignants…

Sous forme de contes et nouvelles, voici dix histoires de procès d’animaux : une truie tueuse d’enfant, un perroquet contre-révolutionnaire trop bavard, un chien royaliste, une faible brebis, une jument boiteuse, des chats maudits, des dauphins trop envahisseurs, des fourmis trop gourmandes, un âne bien têtu et de gloutons charançons ! Tous au tribunal !

Aujourd’hui, ces procès d’animaux mettent en évidence la tendance irrésistible de l’homme à « humaniser » l’animal, et à lui faire subir les pires souffrances, avec bonne conscience.

Animalement vôtre, Procès d'animaux, Histoires d'hommes, Chantal Knecht, Editions Pourquoi viens-tu si tard ?, 2011, 166 pages

Sur le même thème, voir aussi la plaquette Les animaux devant les tribunaux dans l'Histoire, de Charly Guilmard et Philippe Typhagne.

A propos de l'auteur

Chantal Knecht a été productrice de documentaires et éditorialiste. Elle est aussi l'auteur de deux pièces diffusées sur France Culture.

Le compte-rendu de lecture
de La Fondation Droits Animal Ethique et Sciences

L'ouvrage se compose d'une dizaine d'anecdotes, présentées d'une manière romancée, relatant notamment des procès d'animaux, si fréquents en Europe jusqu'au XVIIIe siècle, et dont l'introduction nous rappelle qu'ils pouvaient être de trois types : procès ecclésiastiques "dirigés contre des masses d'insectes, de rongeurs, d'oiseaux, considérés comme nuisibles" (p.12), procès criminels ordinaires, lorsqu'un animal avait tué un humain, et procès de bestialité, à la suite de relations sexuelles avec un animal, quant à lui d'ailleurs "condamné d'avance" (p.12). L'ouvrage dépasse d'ailleurs la notion même de "procès" au sens juridique du terme, en nous faisant assister à la mort d'anrmaux, martyrisés simplement parce qu'ils sont supposés porter malheur Comme ces malheureux chats pendus puis brûlés pour fêter la Saint-Jean. Pas de vrai procès d'animaux non plus quand les tribunaux de la terreur, face à un perroquet qui criait "Vive le roi ! Vive l'Eglise ! Vive les nobles !..." (p.36) ne feront de procès qu'à son maître, le marquis de la Viefville, qui, avec sa fille, finit guillotiné. Le perroquet eut plus de chance que le chien "royaliste" d'un tavernier parisien de la même époque, qui fut, sans procès non plus, abattu après son maître. D'où aussi le complément du sous-titre, qui à "procès d'animaux" ajoute "histoires d'hommes". Mais d'autres cas entrent clairement dans les catégories des procès traditionnels Celui de la truie de Falaise, tueuse de nourrisson humain. Celui qui condamne à mort un laboureur et une brebis pour avoir eu des rapports sexuels ; "ce n'est pas l'agneau de Dieu que nous jugeons aujourd'hui, berger, mais sa mère, la brebis du dérnon, perfide, lubnque, n'hésitant pas à copuler avec un homme..." (p.64). La malheureuse brebis, on le voit, est jugée responsable de son martyre. De même que. dans une autre histoire, la jument qui avait subi l'assaut sexuel de son propriétaire : de ce dernier le "corps sera brûlé vif ainsi que le corps de ladite jument avec laquelle il a commis le délit de bestialité" (p.158). Je reprendrai volontiers à ce propos une formule souvent citée par feue ma mère qui disait que seule la bêtise humaine lui donnait vraiment le sens de l'infini. Les différents procès intentés contre "le crime des charançons" (p.71) pourraient en être un autre exemple : "Puisque les charançons ne veulent pas obéir à l'ordre divin, je prononce l'excommunication des insectes" (p.89). Généralement l'animai dont on veut se débarrasser est dévalorisé, comme les dauphins qui avaient envahi le port de Marseille, qualifiés de "ces créatures immondes, ces dauphins, fils du diable" (p.93), comme cet âne Grégoire récalcitrant traité de "mauvaise graine lubrique, têtue, vicieuse et belliqueuse" (p.119). Seules les fourmis qui avaient élu domicile sous un monastère semblent avoir été sensibles à l'ordre de Dieu et avoir accepté de quitter les lieux : "en poussant de petits cris aigus, des milliers de fourmis quittèrent précipitamment le territoire" (p.132). Quant à nous, une phrase, attribuée à un des défenseurs de l'âne Grégoire nous servira de conclusion morale : "Si les hommes ont des droits, pourquoi ne pas en reconnaître aussi aux animaux ?" (p.119).

La présentation de l'ouvrage par l'éditeur
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Chantal Knecht est auteure de projets de documentaires (écriture et concepts). Elle a été productrice de documentaires, responsable d’achats de documentaires, téléfilms et longs métrages, éditorialiste et conseillère en matière de programmes et d’opérations spéciales (Arte France et la chaîne Histoire). Elle est aussi co-auteure d’une nuit consacrée aux Marx Brothers sur Arte France et auteure de deux pièces diffusées sur France Culture.

Déjà en janvier 2009, sur France Culture, elle racontait le crime des vers ! Voici ce qu’elle disait alors :

"Ces procès ont réellement existé : de véritables mises en scène judiciaires étaient calquées sur celles du monde humain avec président de cour, avocat de la défense, gardiens de prisons, bourreaux, plaignants. La procédure était différente selon la nature des animaux qu'il fallait poursuivre ou juger : ainsi, les insectes et autres animaux nuisibles, qui ne pouvaient être jugés individuellement, comparaissaient devant un tribunal ecclésiastique et étaient pour la plupart excommuniés par l'Eglise ; alors qu'un porc, un boeuf, un cheval, auteur d'un délit, était jugé devant un tribunal criminel ordinaire, emprisonné, et souvent mis à mort sur la place publique ! En Suisse, des anguilles, des sangsues infectant des lacs, des étangs, des mares, sont jugés et excommuniés par des tribunaux ecclésiastiques. En France, des dizaines de procès d'animaux sont recensés parmi lesquels un nombre impressionnant de porcs, mais aussi des chevaux, des chats, des rats, des moutons, des vaches, des hirondelles, des brebis, des coqs, et bien d'autres encore ! Sous forme de fiction, voici l'histoire de deux procès bien singuliers intentés par l'Eglise contre des insectes, des vers. L'un d'eux se situe en Suisse, à Lausanne, au XVème siècle, et les accusés sont des vers blancs, ravageurs de récoltes (d'après les travaux de l'historienne Catherine Chêne : Juger les vers, exorcismes et procès d'animaux dans le diocèse de Lausanne).
Le second procès, bien plus insolite celui-là, concerne des vers de bois, coupables d'avoir rongé et détruit le trône d'un évêque à Besançon en 1520 (d'après les recherches de l'écrivain Julian Barnes dans Une histoire du monde en dix chapitres et demi).
Comment ne pas rire et s'étonner des insultes dont les juges ecclésiastiques abreuvaient les pauvres vers, victimes impuissantes et muettes de leurs délires religieux et incantations verbales ? Un témoignage drôle, saisissant et inattendu de la folie humaine d'une époque."

Histoire de vous mettre les mots à la bouche, voici, en avant première, l’introduction de ce livre très bien écrit et copieusement documenté. Rapidement, dès les premières pages, on est pris par l’histoire. On s’étonne, on rit, on s’indigne... Vraiment les hommes ne savent pas quoi inventer pour se dédouaner et se donner bonne conscience. C’est un pan méconnu de notre Histoire que nous révèle ce livre et nous en sommes gré à Chantal Knecht.

De drôles d’histoires…
… si singulières, si insolites et souvent bien cruelles, que ces procès d’animaux.

Petit rappel des faits

Du XIIe au XVIIIe siècle environ, essentiellement dans l’Europe chrétienne et rurale, des hommes ont intenté de véritables procès à des animaux, domestiques pour la plupart : vaches, cochons, brebis, juments, chevaux, chiens, chats mais aussi : limaces, papillons, rats, souris, taureaux, dauphins, sangsues, corbeaux, coqs, chenilles...
Les porcs et leurs familles (truies, pourceaux) figuraient au hit-parade des animaux incriminés et condamnés. Mis en cause pour leur férocité supposée, ils vivaient très souvent à proximité des hommes, dans les villes comme dans les campagnes. Mais surtout « animaux maudits » dans la Bible, ils ne pouvaient qu’être montrés du doigt et soumis à la vindicte humaine.
Tous ces animaux, dans le prétoire ! Celui des hommes, bien sûr. Et des hommes d’Eglise. Ces faits ont réellement existé et ont donné lieu à d’authentiques débats et procédures judiciaires.
L’énoncé de ces simples faits frappe immédiatement la raison et donnerait même à sourire, comme si l’on ne pouvait y croire. En réalité, ils piquent au vif notre curiosité : comment est-il possible, en effet, de juger des animaux, se dit-on, aujourd’hui ?
S’agissant du Moyen Age, là même où tout a commencé, l’Eglise exerçait sa toute-puissance sur les populations pour s’assurer argent, sécurité, pouvoir. Et les juges étaient essentiellement des ecclésiastiques.

Pourquoi des procès faits aux animaux ?

Pour l’Eglise, la réponse est évidente : les animaux font partie de la création divine, comme les hommes ; de ce point de vue, hommes et bêtes sont logés à la même enseigne, avec cette différence que les animaux sont inférieurs aux hommes et leur doivent obéissance. Cette supposée malédiction fait des animaux des victimes expiatoires des grandes peurs humaines (inondations, famines, peste…) et elle les livre, pattes et queues liées, à des tribunaux humains qui, néanmoins, pour sauver la face de l’Eglise, leur donnent un cadre judiciaire précis, calqué à la sentence près sur celui des hommes.
Si des animaux commettaient un délit ou un crime, ils étaient dénoncés, convoqués au tribunal, représentés par un avocat commis d’office, jugés, condamnés.
Simulacres de procès ? Singeries ? Stupides facéties ? Certainement pas, mais affaire de mentalités, de croyances, d’idées-forces, caractéristiques d’époques où la foi était au centre du monde.

Trois grands types de procès.

La procédure était différente selon la nature des animaux qu’il fallait poursuivre.

1. Les procès ecclésiastiques.

Ils étaient dirigés contre des masses d’insectes, de rongeurs, d’oiseaux, considérés comme nuisibles par les paysans pour les biens des hommes. Ils étaient accusés de ravager les récoltes, ronger les mobiliers en bois dans les églises, ou encore de détruire la faune des lacs.
L’homme comme l’animal étaient assistés d’un avocat.
La condamnation ?
- Soit l’anathème, sommation adressée à l’animal (le démon), au nom de Dieu, de reconnaître la toute-puissance divine et de déguerpir des lieux ravagés ;
- Soit l’exorcisme, expulsion des démons du corps de l’animal par des prières et des supplications ;
- Soit l’excommunication, condamnation ultime ! L’animal est expulsé de la communauté chrétienne, de manière définitive ou provisoire.

2. Les procès criminels ordinaires.

Ces procès étaient intentés contre des bêtes accusées de crimes envers les êtres humains. « Appréhendé » au corps, selon l’expression de l’époque, jugé individuellement, l’animal coupable d’avoir tué un enfant ou un homme était emprisonné, jugé, torturé, condamné à mort, exécuté sur la place publique. La mort par pendaison était la plus courante, puis venaient l’enfouissement en terre, l’étranglement ou l’incinération.
L’Eglise n’était pas vraiment étrangère à ces procès, même si les juges n’étaient pas des clercs ; les références bibliques servaient de base même à l’acte d’accusation.
« Si un boeuf tue un homme ou une femme d’un coup de corne, le maître sera jugé innocent, mais le boeuf sera lapidé, et on ne mangera pas sa chair. » (Exode XXI, 28)
Dans ce cas aussi, des avocats défendaient chacune des parties, l’homme comme l’animal.

3. Les procès de bestialité.

C’était des procès faits aux hommes et aux animaux coupables de relations sexuelles, « charnelles », entre eux. Le mot « sodomie » était souvent employé à la place du mot « bestialité ».
L’homme était jugé, sans avocat. L’animal n’était pas convié au procès car il était condamné à l’avance.
L’homme et l’animal étaient étranglés, brûlés vifs, ensemble.

Une étrange fascination…

Ces procès avaient un très grand pouvoir attractif sur la plupart des gens dans la mesure où ils répondaient à un besoin de spectacles et de joutes oratoires fort ordinaires. La clé de ce phénomène de foule est évidemment la passion.
Alors, si l’on additionne tous ces éléments (spectacle, foule, passion, religion) présents dans les procès d’hommes, il est possible de comprendre toute la puissance imaginative qu’inspiraient ces procès d’animaux.
Ce que montrent ces procès, c’est une sorte de parité entre l’homme et l’animal, une « fraternité » apparente instaurée sur un mode religieux. Mais ne nous y trompons pas : c’était un jeu de dupes : l’animal était coupable et condamné d’avance.
Mais ils nous apprennent surtout que l’homme n’a jamais cessé d’attribuer à l’animal sa propre nature, son propre regard, ses propres référents, religieux ou pas.
Certes l’animal ne se trouve plus, aujourd’hui, dans le box des accusés, mais il est toujours sous l’emprise des hommes, de leurs langages, de leurs pratiques et de leurs lois.
Les récits proposés ici ne sont pas des récits historiques. Ce sont des histoires d’hommes, de femmes, d’animaux, fondés sur des faits établis. Les dates évoquées, les zones géographiques citées, les animaux choisis sont tous réels.

Animalement vôtre,

Signé : La truie de Falaise, le perroquet d’Arras, les chats de la Saint-Jean, la brebis auvergnate, les charençons savoyards, les dauphins de Marseille, l’âne parisien, les fourmis brésiliennes, le chien de Paris, la jument de Moulins… dont les joies, les malheurs, les procès sont narrés dans les pages qui suivent.*

* Il est à noter qu’aucun de ces animaux n’a jamais pu répondre, au cours de son procès, à l’impérieuse injonction de la justice des hommes : « Accusé, levez-vous ! »

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