16 juin 2012

A quoi pensent les animaux ? de Marc D. Hauser

A quoi pensent les animaux ?
de Marc D. Hauser


Un singe-araignée s’approche d’un gardien de zoo et le prend dans ses bras. Un chien baisse la tête et gémit quand il constate que son maître est contrarié.

S’agit-il là de signes d’affection et d’empathie ? Ou bien d’autres mécanismes sont-ils à l’oeuvre qui expliquent ces comportements presque "humains" ?

Pourquoi les chimpanzés et les dauphins forment-ils des coalitions pour se défendre ? Comment les lions savent-ils de très loin combien de gazelles boivent tranquillement à côté de la rivière ? Pourquoi certaines espèces animales peuvent-elles se reconnaître dans un miroir ?

Répondre à ces questions impose de connaître les outils mentaux de base qui forment l’esprit : la capacité à compter, à s’orienter, à reconnaître des individus, à communiquer, à nouer des liens sociaux.

Marc Hauser nous emmène dans un fantastique voyage à travers la vie intellectuelle et émotionnelle des animaux.

A quoi pensent les animaux ? Marc D. Hauser, Traduction : Marie-France Desjeux, Illustrations : Ted Dewan, Editions Odile Jacob, 2002, 336 pages

A propos de l'auteur

Marc Hauser, professeur de psychologie et de neurosciences à l'université Harvard, a observé les animaux en laboratoire et sur le terrain, du Kenya à Porto Rico. Il en a construit un savoir encyclopédique et toujours émerveillé sur leurs aptitudes cognitives et émotionnelles.

Au sommaire

- Les connaissances universelles
. Le monde des objets
. Comptes et décomptes
. Explorations et expéditions
- Les psychologues de la nature
. Connais-toi toi-même
. Les écoles d'apprentissage
. Les outils pour tromper
- L'esprit des animaux en société
. Echanges de propos dans l'arche de Noé
. L'instinct du sens moral
. Quel effet cela fait d'être un singe-araignée ?

Entretien avec Marc Hauser
Les animaux ne nous disent rien. Ils n'en pensent pas moins...
par Marie-Pier Elie

Depuis qu'un singe araignée lui a mis ses deux bras autour du cou à travers les barreaux de sa cage, puis l'a regardé droit dans les yeux en émettant un étrange roucoulement, Marc Hauser n'a qu'une question en tête : à quoi pensent les animaux ? À l'époque de cette troublante accolade, il nettoyait des cages dans un parc d'attraction de Floride. Depuis, il est devenu professeur aux départements d'anthropologie et de psychologie de l'université Harvard aux États-unis. Il était récemment de passage à Montréal.

Québec Science : À quoi pense un chat lorsqu'il reste assis des heures devant la fenêtre ?

Marc Hauser : Nous commençons à avoir de sérieuses réponses pour de nombreuses espèces animales. Les chats aiment regarder à l'extérieur parce qu'ils sont des prédateurs, donc intéressés aux choses qui bougent. Le chien, lui, anticipe sans doute le retour de son maître à la maison.

QS : Ont-ils des souvenirs ?

MH : Sans aucun doute. Parce que, sans mémoire, ils ne pourraient pas apprendre ! Même les vers ont de la mémoire. Eric Kandel, prix Nobel de médecine, l'a bien démontré en cartographiant la neurochimie de l'apprentissage et la mémoire dans ces organismes très simples, au niveau des canaux sodium.

QS : Cette mémoire est vraisemblablement très différente de la nôtre...

MH : Sur certains points oui, sur d'autres... pas tant que ça ! Par exemple, on a longtemps dit qu'il manque aux animaux cette faculté de mettre une « étape temporelle » leur permettant de se souvenir quand, exactement, une action s'est déroulée. Mais plusieurs études ont prouvé récemment que les choses ne sont pas si simples. Les geais, par exemple, cachent des graines durant l'hiver à différents endroits pour revenir les chercher plus tard. Nous savons que ces animaux se souviennent de ce qu'ils ont caché, ainsi que de l'endroit où ils l'ont mis. Il y a donc un « quoi » et un « où ».

Restait à savoir s'ils peuvent aussi se rappeler du « quand »... Pour en avoir le coeur net, des chercheurs ont laissé les geais cacher des vers (leur nourriture préférée) et des arachides (dont ils raffolent un peu moins). Après qu'ils eurent caché les vers et les arachides, on les a empêchés d'aller les reprendre, seulement le temps que les vers se décomposent et deviennent immangeables. Ainsi, si les oiseaux avaient gardé en mémoire le moment où ils avaient caché leur nourriture, ils auraient dû rechercher seulement les arachides, en dépit de leur préférence, puisqu'ils auraient su que les vers n'étaient plus bons. Et c'est ce qui s'est passé. Ces oiseaux effectuent donc un raisonnement du genre : « en quatre ou cinq jours, ces vers ne sont plus bons à manger », et ils s'en souviennent. C'est là la preuve que les geais, mais aussi probablement plusieurs animaux, se souviennent du « quoi », du « où », mais aussi du « quand »; ce qui donne une toute nouvelle dimension à notre compréhension de leur mémoire.

QS : Cela signifie-t-il qu'un chat « planifie » de se rendre à la cuisine, de grimper sur une chaise, puis d'attaquer la perruche dans sa cage ?

MH : Oui. Ils planifient; ou en tout cas ils établissent une stratégie avant d'entreprendre une action. Regardez les animaux qui chassent en groupe, comme les lions et les chimpanzés. Oui, ils font des projets. Maintenant, s'inquiètent-ils à propos de leur futur et du moment où ils vont mourir ? Ça, nous ne savons pas...

QS : Est-ce la prochaine étape des recherches ?

MH : Il y a plusieurs questions auxquelles nous ne pourrons jamais répondre, simplement parce que nous n'avons pas les outils nécessaires. Lors d'une émission de radio, un auditeur m'a déjà demandé si les animaux rêvaient. La réponse est oui, bien sûr, mais à quoi rêvent-ils ? Il faut des études extrêmement sophistiquées pour observer la neurobiologie des rêves.

Nous savons qu'une partie du cerveau du rat enregistre où se trouve l'animal dans l'espace, ainsi que l'endroit où il se trouvait précédemment, un peu comme un carnet de bord. Si on mesure l'activité cérébrale de cette région du cerveau alors que le rat se promène dans un labyrinthe, puis qu'on la compare à l'activité cérébrale durant le sommeil, on a l'impression d'assister à une reprise de ce qui se produisait alors que l'animal était éveillé. Cela porte à croire que, lorsque les animaux rêvent, ils répètent mentalement leurs activités de la journée.

QS : Un peu comme les humains ?

MH : Selon moi, il y a une différence fondamentale : dans les rêves des animaux, il n'y a probablement pas de transgression des limites du vrai monde, comme par exemple s'envoler dans le ciel ou marcher à travers les murs. Un chien ne vivra sans doute jamais ça en rêve. Même dans le développement des enfants, ce genre de transgression n'apparaît qu'assez tard. Mon intuition - non vérifiée -, c'est donc que les rêves des animaux s'en tiennent aux reprises des événements de la journée, sans qu'il ne s'y passe quoi que ce soit d'extraordinaire.

QS : Existe-t-il des émotions propres aux humains et inconnues des animaux ?

MH : La plupart des chercheurs qui travaillent dans le même domaine que moi affirment que les animaux ont des émotions. Mais le genre d'émotions qu'ils peuvent ressentir est discutable et difficile à vérifier. On peut attribuer aux animaux quelques-unes des émotions les plus élémentaires comme la colère, la surprise, la peur, etc.

C'est quand on arrive aux émotions qui impliquent la perception d'autrui, comme la culpabilité ou la gêne, que ça se corse. Là, on pourrait parler d'émotions typiquement humaines, mais on n'en sait pas assez pour l'affirmer avec certitude. Si je me sens coupable, c'est parce que je sais que j'ai fait quelque chose de mal en fonction de ce que les autres pensent. Est-ce que les animaux anticipent eux aussi ce que les autres ressentent ? Pour l'instant, rien ne permet de le croire.

QS : Mais mon chat se sent coupable lorsque je le gronde.

MH : Tous les propriétaires d'animaux domestiques l'affirment. Mais ce qu'ils disent au fond, c'est que leur compagnon se comporte comme s'il se sentait coupable. Il y a une différence entre agir comme si et réellement ressentir une émotion. C'est mon boulot de départager les deux !

QS : Croyez-vous que les humains mèneront toujours le monde grâce à la supériorité de leur cerveau ?

MH : Si, par « mener le monde », vous voulez dire « être les créatures les plus intelligentes », je vous réponds : « Intelligentes... dans quel sens ? » Nous détruisons la planète, nous nous détruisons les uns les autres, alors pour l'intelligence...

Chaque espèce est intelligente à sa façon. Intelligente en ce qui concerne les solutions qu'elle apporte aux problèmes qui menacent sa survie. Là-dessus, nous sommes loin d'être des champions. Et nous ne sommes assurément pas l'espèce qui connaît le plus grand succès. Si une guerre nucléaire survenait, nous serions rayés de la carte en très peu de temps, alors que les « coquerelles » survivraient sans problèmes. Ces insectes sont là depuis des millions d'années; ils n'ont presque pas changé tant ils sont bien adaptés. À bien des niveaux, nous ne menons pas la planète; ce sont eux qui la mènent !

QS : Mais nous, on peut les écraser...

MH : C'est vrai. Mais si la vraie mesure du succès, c'est l'ancienneté sur la planète et le nombre d'individus, nous perdons largement cette bataille !

Source : cybersciences.com

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