14 janvier 2011

Histoires extraordinaires d'un voyant, de Belline

Histoires extraordinaires d'un voyant
de Belline


Le voyant, c'est celui qui vit au rythme des autres, de leurs angoisses, de leurs passions ou de leurs espoirs. C'est dans cet instant de sublime générosité où il les prend totalement en charge qu'il "voit".

Ce qu'il voit derrière cet homme d'affaires sûr de lui, à la mise soignée, à la voix calme, c'est un petit garçon en costume marin secoué de sanglots : cette vision surgie d'un passé lointain suffira-t-elle à chasser les fantômes de l'humiliation et de la rancune ? Quant à ces trois chiffres qui passent obstinément devant ses yeux tandis qu'une jeune femme lui raconte les terribles souffrances physiques et morales qui l'accablent, sont-ils la clé de sa délivrance ?

Redonner aux êtres déchirés qui viennent le consulter la confiance qui leur manque ou le courage d'affronter leur vie, telle est la mission du voyant, une mission d'amour à laquelle Belline n'a jamais failli.

Histoires extraordinaires d'un voyant, Belline, Editions François de Villac, 1989, 243 pages

Sommaire

Préface de Frédéric Royer : Belline, écrivain et voyant
Introduction
La vérité récompensée (Histoire d'Edmond)
Une visite hors série
La mort du costume marin
La clef
Un piège du destin
Le porteur d'eau
Le ciel déchiré
La nomination
Une mémorable journée
La gitane
La demoiselle aux guirlandes
Le plus vieux métier du monde
La tête contre les murs
Clémence
Rencontre en plein ciel
Antonio
Un nez mutin
Faites comme tout le monde
Un village d'Ile-de-France
Trois chiffres pour aider
Le coup de Madame X
La colline du bonheur
Délivrance
Les volets de fer
Les sept diamants d'Amsterdam
Bruxelles
Les patinettes de Copenhague
Le cheval des Canaries
L'homme de Téhéran
Le général est mort à l'aube
Des rennes par milliers
La pierre cubique
Un visiteur venu d'Afrique
La rizière d'Indochine
Des pierres dans un taxi
La villa en Virginie
Ni cobaye ni gadget
Prophète à Jérusalem
Le château normand
Vision et réalité
Les feuillées
Marthe ou le bonheur fragile
Dix serpents de papier
La fessée
Les mains blanches
La longue route
Trop tard
Un enfant s'est évadé
Le petit garçon perdu

La préface, de Frédéric Royer

Belline, écrivain et voyant

Belline exerce son don de voyance à Paris depuis 1954 dans un cabinet discret de la rue Fontaine où vécut jadis le poète visionnaire Villiers de l'Isle-Adam.
Très vite, ainsi qu'en témoigne la presse internationale, il devint l'un des voyants les plus réputés de ce temps. "C'est le mage le plus attachant et le plus sincère que j'aie rencontré", estimait le Prix Nobel Miguel Asturias. Et le philosophe Gabriel Marcel disait de lui : "C'est le prince des voyants."
Entre 1956 et 1977, des centaines de journaux dans le monde, du Daily Mirror au Nouvel Observateur, de la Tribune de Genève au Figaro et à Science et Vie, relatent ou commentent ses prévisions les plus marquantes :
- le vaccin antipoliomyélitique - la mort d'Einstein - la maladie d'Eisenhower - le naufrage de l'Andréa Doria - l'incendie de l'Humanité - le rappel des réservistes en 1956 - l'affaire de Suez - le résultat de grandes compétitions sportives - l'apparition du "Spoutnik" - le suicide de Marylin Monroe - la fin tragique des frères Kennedy - la guerre des Six Jours - les barricades de mai 1968.
Dans son numéro du 8 juillet 1968, l'Express écrit : "Jugez de notre surprise à tous devant les événements de mai et de juin 1968 expressément prédits pourtant par le mage Belline. Il avait vu la dissolution de l'Assemblée, les barricades et les Français, au plus fort de l'orage, se rassembler sous les branches du grand chêne (de Gaulle)." Et le Nouvel Observateur du 8 février 1976 titre : "Belline : un voyant à voir".
Mais le destin frappe durement Belline. Dans la nuit du 2 août 1969, son fils unique, Michel, trouve la mort dans un accident de voiture. Désemparé, désespéré par la douleur de son épouse, Belline tente l'impossible, concentre toutes ses facultés, essaie de communiquer avec son enfant par-delà la mort. Après vingt mois de silence, raconte-t-il, la voix de Michel lui parvient enfin. Craignant d'être "la proie d'une illusion provoquée par la douleur et le désir de faire revivre son fils", Belline hésite. Mais encouragé par ses amis, il note jour après jour son expérience de clair-audience et publie ses dialogues extraordinaires avec Michel dans "La troisième oreille", ouvrage préfacé par le philosophe Gabriel Marcel et postfacé par des "mantras" de l'écrivain allemand Ernst Junger qui avait, lui, perdu son fils à la guerre.
L'objectivité de l'enquête sur les problèmes de la survie qui clôt ce livre, "La troisième oreille", ainsi que la qualité du récit, valent à celui-ci une audience internationale. Plus de cent personnalités éminentes des Sciences, des Lettres et des Arts n'hésitèrent pas, en effet, à lui confier soit leurs expériences parapsychologiques personnelles soit leur point de vue positif ou négatif sur les questions de la survie. Citons, entre autres noms, le Pr Alfred Kastler, Prix Nobel, l'historien Alfred Toynbee, Werner von Braun, le rabbin Josy Eisenberg, le cardinal Daniélou, Federico Fellini, Fritz Lang, Max Pol Fouchet, Olivier Messiaen, Georges Simenon, Maurice Chevalier, Michèle Morgan, le mime Marceau...
Sur France-Inter, Jacques Chancel consacre à Belline, en 1969 et 1972, deux volets de son émission "Radioscopie". La spontanéité et la générosité des propos du voyant lui attirent de nombreux messages de sympathie et l'intérêt d'un large public.
En dehors des prévisions mondiales, "la vraie voyance, dit Belline, c'est d'abord un don de sympathie qui conduit un homme à capter les ondes (ou les raisons profondes) d'un autre être, pour rassembler un certain nombre d'informations, généralement cachées, et les mettre à son service. Un voyant est (ou devrait être) un homme qui éprouve le besoin de comprendre son prochain. Sans une telle 'approche', et quelle que soit sa force intérieure, il ne verra pas l'essentiel".
Les "Histoires Extraordinaires", que Belline nous raconte ici, sont toutes authentiques, j'ai moi-même été le témoin de plusieurs d'entre elles.
En les livrant au public, Belline enrichit le vaste dossier de la voyance.

Frédéric Royer

L'introduction, de Belline

L'homme de la rue aborde l'idée de voyance avec une énorme masse de préjugés, de malentendus. La voyance a vu se déchaîner contre elle à la fois l'obscurantisme et les "lumières", l'Inquisition et le rationalisme.
Je n'ai pas l'intention de faire ici une analyse historique, psychologique ou philosophique de ce phénomène né avec l'homme, avec l'inquiétude de l'homme.
Mon but est, plus modestement, de tracer le portrait d'un voyant d'aujourd'hui, de le montrer aux prises avec la vie du XXe siècle, avec les hommes de notre temps livrés aux angoisses modernes.
Vous verrez que cette histoire d'un voyant est souvent l'histoire des autres. Des autres au sens le plus large : hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres, méchants et bons, sages et fous. Ceux qui connaissent le drame ou la passion et ceux qui n'ont rien dans leur vie et qui en font un monde, comme il est naturel, car la plus humble existence est immense, fût-ce de l'immensité du désert.
Mon rôle à moi est de me substituer à chacun de ces "autres", l'espace d'un moment, avec assez de générosité pour ne rien laisser à l'écart, ni personne. C'est à cet instant qu'intervient le don. Encore inexpliqué, mais non inexplicable, et guère plus surprenant que les miracles de chaque jour.
Devenu "l'autre", des images me viennent, qui sont l'expression condensée, fulgurante et symbolique de cette vie étrangère, empruntée un instant. Le plus difficile reste à faire : redevenir un témoin lucide et analyser les éléments fournis par l'image apparue. Interpréter, pour conseiller.
Les histoires qui vont suivre vous rendront sensible ce mécanisme toujours différent, toujours déroutant. Tristes ou drôles, tragiques ou aigres-douces, elles vous conduiront, l'espace d'un livre, dans l'univers d'un voyant. Vous verrez que le souffle prophétique qui l'anime n'est peut-être, après tout, qu'une certaine forme de sympathie profonde, d'amour de l'homme.
Ceux que j'ai dépeints se reconnaîtront peut-être : ils ne seront pas reconnus. Leurs noms, certains lieux, certains détails ont été changés : j'ai dégagé la vérité qui importait à tous et laissé dans l'ombre celle qui n'appartient qu'à un seul.

Belline

Quelques extraits

LA CLEF
P25-P29


Il dit :
- C'est un ami qui m'envoie.
Puis il se tut comme s'il attendait non pas que je lui parle, mais que le temps passe, que la vie s'écoule, qu'on en finisse.
Il avait sans doute perdu depuis longtemps l'habitude d'avoir une impulsion personnelle, un désir à lui.
Je voyais une clef, une de ces clefs minces et fines qui ferment les verrous de sûreté. Elle s'imposait, s'effaçait, revenait parmi d'autres images. Obsédante. Voici un camp de prisonniers militaires, un homme est là, à l'écart des autres ; il ouvre et referme sa main sur une clef : la même, toujours la même. Et voici le Pont-Neuf. Le prisonnier est encore là, appuyé au parapet. Il a le visage défait, l'air exténué. Il jette la clef dans la Seine.
L'homme, en face de moi, n'a pas bougé. J'ai l'intuition qu'il faut l'arracher à cette indifférence. Je lui dis ce que je vois et au fur et à mesure que je parle, ma vision se poursuit. Une image me vient, demeure un long moment insistante. C'est un visage de femme que je vois de très près, mais qui est cependant flou, seulement éclairé par une lumière blanche qui estompe ses traits, efface les angles.
Ce visage est d'une douceur, d'une pureté n'ayant plus rien de terrestre. On dirait la dernière image d'un film, la fin d'une longue histoire triste, une de ces images que l'on emporte avec soi, inoubliables.
Mon visiteur est en larmes.
- Denise... C'était ma femme... Nous nous étions rencontrés au début de 1939. Nous venions tous les deux de perdre nos parents, nous nous sentions assez seuls. Denise était une jeune fille blonde et pâle, avec des yeux gris. Son esprit et son coeur étaient également limpides. Notre rencontre fut vraiment inattendue. Un jour, nous nous sommes heurtés au coin de la rue de Seine et de la rue de Buci. Ce matin-là, il faisait un temps glacial et nous étions tous les deux soucieux, grognons, pressés et aussi mal disposés que possible pour lier connaissance et faire du sentiment. Comment vous expliquer ce qui se passa entre nous à la minute même ? Oh, évidemment, je pourrais appeler cela un coup de foudre, mais ce serait à la fois trop dire et pas assez. C'était plutôt la soudaine assurance qu'il n'y avait plus à chercher ni à craindre, que notre vie était désormais tracée, quoi qu'il arrive.
Quelques semaines plus tard, nous faisions des projets d'avenir. Au mois de juin, je trouvais un petit appartement sur les hauteurs de Montmartre. Au mois d'août, j'épousais Denise, au mois de septembre, je partais pour le front.
Denise... je l'ai revue une fois encore à Noël pendant mes quelques jours de permission. Il nous semblait que la guerre n'éclaterait jamais en conflit sanglant, que tout allait se résoudre d'un jour à l'autre.
En juin 1940, j'étais fait prisonnier en Prusse-Orientale. Dès que cela fut possible, j'envoyai à ma femme une lettre sur ce papier ligné d'un blanc grisâtre que nous octroyait la "Poste des Prisonniers de Guerre" et qui comportait une feuille pour la réponse. Cette feuille ne me revint jamais. J'écrivis une lettre encore, puis une carte (chaque fois séparées par de longs intervalles car elles nous étaient comptées), elles ne reçurent pas davantage de réponse.
Je me sentis alors incapable d'attendre la fin de la guerre dans cette inaction mortelle, sans savoir ce que Denise était devenue.
C'est alors que je me suis évadé. Les dangers étaient grands, je n'y pensais même pas. Durant ces longs jours où j'avais froid, où j'avais faim, c'est cette petite clef qui m'a soutenu. Je l'avais accrochée à mon cou, elle était le symbole de mon amour et je crois que je ne l'aurais cédée ni pour un morceau de pain blanc, ni pour un lit de plumes et Dieu sait, pourtant, que le pain et le lit m'apparurent à cette époque comme un vrai mirage, comme une oasis dans le désert !
Je finis par rejoindre les lignes soviétiques. Une fois en Russie, j'ai fait toutes les démarches possibles et imaginables par l'intermédiaire de la Croix-Rouge, pour retrouver Denise. Rien, aucun résultat ! J'ai cru devenir fou.
Le temps passait, malgré tout. En 1945, enfin, je pris à Odessa un bateau à destination de Marseille. La clef était toujours à mon cou. Finalement, c'était le seul gage qui pouvait encore me faire croire à la réalité de mon passé. Parfois, il m'arrivait de penser que j'avais rêvé. Rêvé Denise, rêvé cet amour, rêvé mon bonheur. Je regardais alors la clef et je reprenais courage.
Ce fut à la fois un voyage merveilleux et terrible. J'espérais tout, je redoutais davantage encore. Je m'épuisais en imagination, en souvenirs.
Il était très tard quand je suis arrivé à la gare de Lyon. J'ai fait à pied le trajet jusqu'à Montmartre. Nous étions au mois d'août, le mois de mon mariage. Il y avait tout juste six ans. S'il n'y avait pas eu la guerre... Un enfant... deux, peut-être. Un foyer... une vie professionnelle ascendante... Denise toujours à mes côtés... si...
La nuit d'été était pleine de parfums, j'étais hanté par mes suppositions. Tout en moi aspirait au bonheur, mais je n'osais pas me laisser aller un instant. Si Denise n'était pas là... si elle ne m'aimait plus... si...
Le coeur battant, j'arrivai dans ma rue, devant ma maison. L'escalier n'avait pas changé ; il me semblait que c'était un signe favorable. Un étage... deux... trois... La porte était exactement celle de mes souvenirs. Ma main tremblait. La clef entra aisément dans la serrure. La porte s'ouvrit. J'entrai sans faire de bruit, par instinct. Je n'ai jamais su moi-même si c'était pour ne pas réveiller Denise ou pour l'empêcher de se composer un visage, pour la surprendre "telle qu'elle était". J'avais, après six ans de silence, un immense besoin de vérité, un immense besoin de savoir.
J'entrai par le balcon directement et me dirigeai tout droit vers notre chambre. La fenêtre était ouverte sur cette chaude nuit d'août, une nuit assez claire pour identifier chaque objet. Je m'approchai du lit, je vis deux corps endormis côte à côte.
J'ai reculé comme devant un spectacle d'épouvante et je me suis enfui, emportant ma clef.
Je repassai par les mêmes rues que je venais d'emprunter, il y avait un voile noir entre la lumière de l'été et moi.
Quand j'arrivai au Pont-Neuf, les premières lueurs de l'aube éclairaient le fleuve. Je restai là, longtemps, tandis que les pensées se bousculaient dans ma tête, impossibles à ordonner. Pourquoi moi...? Pourquoi...?
Je pensai à mes parents, à mon père que j'avais perdu très peu de temps avant la guerre. Une tendresse désespérée me submergea. S'ils avaient été là encore... Je rêvais à d'impossibles retrouvailles. Fou de désespoir, je jetai ma clef dans la Seine.
Je repris ma marche. Je finis par me trouver plus ou moins consciemment devant la grille du cimetière Montparnasse où se trouve notre caveau de famille. J'attendis l'heure d'ouverture presque avec impatience. Mes parents, au moins, seraient fidèles au rendez-vous.
Quand je pénétrai dans le cimetière, la journée était déjà chaude. Je retrouvai mon chemin sans hésitation pour avoir souvent accompagné mon père après la mort de ma mère.
Je vis le petit monument de granit, les noms en lettres dorées. Bertrand... 1938 : mon père. Rose-Marie... 1937 : ma mère. C'est alors que je découvris... Ah, monsieur, je ne peux pas vous dire... Quelques secondes plus tôt, je me croyais au fond de la douleur. "Denise... 15 janvier 1942."
Elle était morte trois ans après notre première rencontre.
Je ne peux pas vous dire quel apaisement, quelle consolation m'a apportée la vision que vous avez eue tout à l'heure ! Cette vision de Denise, radieuse, en paix, c'est certainement une des plus grandes douceurs que Dieu m'ait envoyées depuis que je vis !

En Amérique...
DES PIERRES DANS UN TAXI

P142-P144


Ai-je la vocation des voyages ?
Certes, je ne suis pas de ceux qui, brusquement, mettent la clef sous le paillasson, vont à la gare la plus proche, et comme le faisait l'humoriste, disent au guichet :
- Donnez-m'en pour deux cents kilomètres.
Je ne prépare pas non plus mes départs comme des expéditions en terre Adélie. Non, mais si je pars calmement, au moment que j'estime propice, selon l'occasion ou l'époque, c'est cependant sous l'impulsion d'une décision rapide.
D'Israël en Laponie, d'Italie aux Iles Canaries, mes itinéraires sont ceux d'un modeste curieux. J'essaie d'oublier qui je suis, ce qui n'est pas toujours facile. En somme, je laisse mes tarots au vestiaire, mais je n'y abandonne pas ma voyance. Elle m'appartient, Je lui appartiens et elle ne me laisse pas quitte, sous prétexte que je change de latitude.
Mon voyage aux Etats-Unis n'était pas à proprement parler un voyage d'affaires. Ma curiosité me poussait vers ce pays où se mêlent à chaque instant, à chaque endroit, un prodigieux sens commercial et la volonté de tout ramener à l'analyse scientifique; j'y allais aussi pour rencontrer des amis, et pour accomplir un pèlerinage. Je voulais me recueillir sur la tombe de John Kennedy, dont l'image frappée d'une immobilité soudaine, le corps raidi, la tète légèrement renversée en arrière, m'était apparue quelque temps avant sa mort.
Cette immobilité soudaine, cela ne voulait pas nécessairement dire la mort. En tout cas, j'espérais ardemment qu'une signification moins terrible s'attachait à cette vision. On sait ce qu'il en fut.
Pendant plus de cinq minutes, notre Boeing tournoya au-dessus de Kennedy Air Port.
Nous étions en mai. New York s'étendait à nos pieds, noyé dans ce nuage gris-bleu qui recouvre désormais toutes les grandes cités comme un manteau de fumée et de vapeur.
Je n'étais pas attendu comme un homme d'Etat, ni comme une vedette. Je savais que les New-Yorkais n'allaient pas déchirer leurs annuaires pour en faire des confettis et me les lancer des fenêtres de Broadway ! Un ami cependant m'attendait, qui m'entraîna vers un taxi. Nous rangeâmes les bagages dans le coffre arrière de la voiture qui se glissa dans le flot de la circulation.
Nous approchions du centre de la ville qui grandissait d'un instant à l'autre et, si ce spectacle "en direct" dont j'avais vu bien souvent les images à l'écran m'intéressait fort, mon attention était retenue par un petit paquet égaré sur notre banquette.
Ce paquet n'était pas à moi et ne semblait pas appartenir à mon ami. Je pensai à un oubli du client précédent. J'allais en parler au chauffeur, jusque-là peu prolixe, fort occupé à suivre sa file au cœur d'une circulation qui s'intensifiait. J'ouvrais la bouche pour lui demander, banalement, s'il avait remarqué la présence du colis, lorsque d'autres mots me vinrent aux lèvres :
- Pourquoi voulez-vous nous éprouver ? Que font ces pierres dans ce paquet ?
Le chauffeur cachait mal son étonnement.
- Ça vous est arrivé, déjà ? demanda-t-il. On vous a déjà fait le coup ?
Mon ami suivait difficilement cet étrange dialogue. Son regard allait du chauffeur à ce paquet mystérieux.
- Alors... vous...!
Il en avait presque pris l'accent de Belleville, le chauffeur new-yorkais.
- Comment avez-vous pu deviner ? Des pierres... eh bien oui, il y a des pierres dans le paquet. Et vous avez compris que c'était pour éprouver le client... Incroyable !
Je retrouvais bien là ce goût du test qui habite chaque Américain. Le colis chargé de pierres n'était pas à proprement parler une ruse. Notre chauffeur étudiait, analysait, jugeait ses clients d'après leur nationalité, leur attitude envers le colis. C'était son hobby.
Peut-être même tirait-il une philosophie personnelle de ses expériences qui ressemblaient à celles de La Caméra Invisible.
J'avais pressenti l'épreuve, c'est ce qui l'étonnait le plus. J'avoue que je restai surpris moi-même, car enfin, ma voyance s'était adressée aux intentions secrètes du chauffeur, qui obéissait aux lois d une psychologie typiquement américaine.
Mon séjour commençait bien.

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