13 août 2010

Kant et le chimpanzé, de Georges Chapouthier

Kant et le chimpanzé
Essai sur l'être humain, la morale et l'art

de Georges Chapouthier


Nous, êtres humains, sommes issus d'une longue évolution, minérale et cosmique d'abord, biologique et terrestre ensuite. Pour certains, nous aurions définitivement rompu avec un héritage ancestral qui faisait de nous des bêtes. Nous seuls serions capables du sens du bien et du sens du beau. Nous seuls serions doués de morale. Il existerait ainsi un fossé infranchissable entre le grand philosophe Emmanuel Kant et nos cousins les chimpanzés.

Ou bien, au contraire, faut-il considérer que la morale et l'esthétique chez l'homme plongent leurs racines dans le terreau de la "nature" ? Les animaux ne sont-ils pas eux aussi capables de dévouement pour leurs proches ? Nos cousins les primates ne peuvent-ils pas éprouver eux aussi des sentiments en face d'une belle (d'un beau) chimpanzé ? Bref, la découverte des "cultures animales" n'amène-t-elle pas à concevoir davantage de continuité entre l'homme et l'animal ?

En s’appuyant sur les connaissances les plus actuelles de l’éthologie et de la biologie, l’auteur s’attache à démontrer ce que nous devons à l’animalité et ce qui fait notre être propre. C’est une nouvelle vision de l’être humain qu’il propose.

Kant et le chimpanzé, Georges Chapouthier, Editions Belin, 2009, 143 pages

A propos de l'auteur

Titulaire d'une double formation en biologie et en philosophie, Georges Chapouthier est directeur de recherche au CNRS. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur le cerveau et sur les animaux.

Au sommaire

1 - L'homme et l'animal à travers les civilisations
2 - L'homme est (aussi) un animal
3 - La culture chez l'animal et chez l'homme
4 - L'homme n'est pas (seulement) un animal
Epilogue
L’être humain, un pont entre deux modes d’être
Notes bibliographiques
Table des matières

Pour en savoir plus

- Cet article de Laurence Hansen-Love
- Le livre : Humanité, animalité : quelles frontières ? de Jean-Claude Nouët et Georges Chapouthier

L'avis du site JNE
(Journalistes-écrivains pour la nature et l'écologie)

Existe-t-il entre Kant et le chimpanzé un fossé infranchissable ou bien faut-il considérer que la morale et l’esthétique chez l’homme plongent leurs racines dans le terreau de la nature ? En d’autres termes, sommes nous des philosophes ou des singes ? Voilà un sujet cher à Georges Chapouthier, biologiste et philosophe. Il le développe avec brio et un sens de la synthèse extraordinaire. Il parvient à passionner le lecteur sur ces questions fondamentales. Ce grand défenseur des animaux s’émerveille de notre superbe intelligence mais se désespère de ce qu’on en fait. Rien ne nous permet de nous placer au-dessus d’êtres sensibles capables de dévouement pour leurs proches et chez lesquels existent une ébauche de culture. Les animaux utilisent des outils. Ils connaissent des règles (tabou de l’inceste) et même une protomorale (protection des jeunes). Ils possèdent une conscience environnementale et certains, une conscience phénoménale (test du miroir). Oui, Homo Sapiens, l’homme savant comme il s’est appelé lui-même, occupe une place à part mais il n’en est pas moins en lien avec le reste du vivant. En effet, petit à petit, on s’aperçoit que tout ce qui, croyait-on, était notre spécificité, existe au moins sous forme d’ébauche chez les animaux.

L'analyse du livre par la LFDA, La Fondation Droit Animal

Dans ce livre, Georges Chapouthier a choisi de construire son propos autour d’une question récurrente toujours très actuelle : celle de la relation entre l’humanité et l’animalité. C’est un ouvrage de réflexion très abouti, richement documenté et dont les argumentations sont conduites de façon claire. Entre deux attitudes bien tranchées, l’une qui récuse toute différence entre l’homme et l’animal et une autre qui considère qu’il existe entre les deux une indiscutable frontière infranchissable, l’auteur en présente et développe une troisième qui s’est établie sur le fait que l’être humain a une réalité biologique issue d’une longue évolution animale et que l’on peut déceler et étudier, chez des animaux actuels, des ébauches de singularités proprement humaines.

Le 2e chapitre, « L’homme est (aussi) un animal », décrit comment, au cours de l’évolution biologique, la construction « en mosaïques » des êtres vivants par l’emboîtement d’éléments de plus en plus complexes a conduit à l’émergence de fonctionnements unitaires intégrés.

Il se termine par la phrase suivante qui introduit le 3e chapitre, « La culture chez l’animal et chez l’homme » : « Si l’homme se rattache clairement à l’animal par son anatomie et sa biologie, en est-il fondamentalement différent par son intelligence et sa culture ? »

C’est dans ce chapitre que l’auteur aborde le constat de l’existence chez certains animaux d’ébauches des singularités humaines, et qu’il présente les notions de ce qu’il désigne comme des protocultures animales et des protolangages par exemple. Le sujet devient plus dense et les propos sont très stimulants pour la réflexion quand sont abordés soit le problème de la pensée consciente et les deux types de consciences dans le monde animal, soit les questions suivantes : les animaux ont-ils une théorie de l’esprit, (c’est-à-dire la conscience de la pensée d’un autre) ? Existe-t-il une ébauche de la morale chez les animaux ? Les animaux sont-ils capables de choix esthétiques ?

Après ces bases nettement dessinées, la seconde moitié de l’ouvrage est une analyse des manières dont l’homme utilise ses aptitudes singulières largement épanouies par rapport aux ébauches (parfois ténues et sujettes à débat) citées précédemment. Dans le 4e chapitre, « L’homme n’est pas (seulement) un animal », G. Chapouthier cherche « dans l’approfondissement de la culture les traits qui permettent d’attribuer une spécificité à l’être humain », mais on remarque qu’au cours de cette analyse la rencontre avec la dualité nature-culture est inévitable et qu’il la met habilement à profit pour conduire son propos « qui vise à faire de la culture la suite logique de la nature ». Ainsi, il considère que la morale est à la fois « fruit de la nature et fruit de la culture » mais il souligne que pour beaucoup de philosophes modernes la culture se définit contre la nature.

A propos de l’esthétique, il précise : « Kant insiste davantage, voire presque exclusivement, sur les développements culturels de l’esthétique en négligeant ses bases naturelles », alors que lui même considère que l’esthétique est, elle aussi, entre nature et culture.

Ce chapitre comporte des approches multiples et le cheminements est parfois ardu, en particulier lors de l’articulation entre l’esthétique et la morale ou lors de l’évocation d’une esthétique globale de la nature, conçue en dehors du contexte de la sexualité. Ce chapitre s’achève par un développement très intéressant sur le fait que la culture chez l’homme va « vers davantage de rationalité en même temps que vers davantage d’imaginaire » ; fait qui selon l’auteur résulte des aptitudes distinctes des hémisphères droit et gauche du cerveau humain, lesquels fonctionnent cependant de façon unitaire.

Dans l’épilogue, « L’être humain, un pont entre deux modes d’être », l’auteur tente de conclure en situant « l’être propre de l’homme », « à la fois animal et non-animal ». Revenant sur les trois attitudes citées plus haut, il affirme de façon imagée qu’il ne s’agit pas de choisir entre Kant et le chimpanzé, mais d’admettre « que nous sommes tous nous-mêmes, en quelque sorte, Kant et le chimpanzé ». Ayant ainsi défini le statut singulier de l’homme dans le monde vivant, G. Chapouthier évoque et commente ce que cette singularité implique pour l’homme quant à ses choix éthiques dans ses relations avec autrui, les animaux et l’environnement et il conclut en formant « le voeu que les normes culturelles de cet homme à venir évolueront vers le meilleur. Car un être singulièrement différent peut l’être pour le meilleur… comme pour le pire ».

Pour éviter de répéter moins bien ce que l’auteur explique clairement, plusieurs discussions approfondies qui étoffent le parcours du livre ne seront pas commentées ici. La lecture de ce livre de Georges Chapouthier est hautement recommandée car il permettra à chacun d’enrichir grandement sa propre réflexion. In fine, on peut cependant regretter l’illustration de la couverture, qui évoque maladroitement le contenu de l’ouvrage, voire même à contre sens ; d’abord Kant et le chimpanzé ne devraient pas se tourner le dos, et pour cause ! Ensuite, le bel homme nu (qui représente Kant ?) n’est pas un singe nu, il devrait être culturellement vêtu.

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