20 avril 2012

Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons, de Konrad Lorenz

Il parlait avec les mammifères,
les oiseaux et les poissons

de Konrad Lorenz


Non, le renard n'est pas la plus rusée des bêtes de proie ! non, les colombes ne sont pas douces, surtout entre elles ! non, le poisson n'est pas un animal au sang "froid", mais au contraire le plus impétueux des amants !

C'est ainsi que Konrad Lorenz s'en va, bousculant les idées reçues, non par esprit de contradiction, mais par goût de la vérité et par amour pour ce qu'il y a en chaque animal, en chaque espèce, de complexe et de spécifique.

Mais ce livre n'est pas seulement une salutaire dénonciation de nos préjugés. Il nous présente une suite de portraits délicieux et drôlatiques : Hansl, corneille remarquablement éloquente, Martina, petite oie cendrée d'une exquise et encombrante tendresse, le chouca Tchok, fidèle compagnon de promenade.

Au fil de ces anecdotes, l'auteur nous livre de passionnantes réflexions sur l'inné et l'acquis chez les animaux, sur leurs rites et leurs langages. Chez Lorenz, science et tendresse se conjuguent et s'épaulent : l'amitié, souvent, suscite ses découvertes, lesquelles, à leur tour, ne font qu'accroître son amitié pour le monde merveilleux des bêtes.

Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons, Konrad Lorenz, Traduit de l'allemand par Denise Van Moppès, Editions J'ai Lu, 1974, 178 pages

A propos de l'auteur

Biologiste autrichien, Konrad Lorenz (1903-1989) est l'un des fondateurs de l'éthologie (étude scientifique du comportement des êtres vivants dans leur milieu naturel). Il a étudié les comportements des animaux sauvages et domestiques, et écrit de nombreux ouvrages.

Au sommaire

- Préface
- Avant-propos
- Les animaux contrariants
- Un objet sans danger: l'aquarium
- Deux bêtes de proie dans l'aquarium
- Sang de poisson
- Les compagnons intemporels
- L'anneau de Salomon
- La petite oie Martina
- N'achetez pas de pinson !
- Pitié pour les animaux
- Les armes et la morale
- La fidélité n'est pas un vain mot
- Les bêtes dont on rit

L'avis d'un lecteur
Source

Un livre simple, rempli d'anecdotes et d'enseignements

Ce livre de Konrad Lorenz est sans aucun doute l'une de ses oeuvres les plus accessibles, car écrite pour le grand public afin, notamment, de le sensibiliser aux difficultés et aux problématiques de la possession d'animaux apprivoisés. Lorenz insiste sur la nécessité de préserver la dignité d'être vivant de l'animal et dénonce la détention d'animaux privés de la liberté de mouvement et d'action propre à leur espèce. En conséquence, Lorenz donne des conseils sur le choix des animaux domestiques, qui doivent être des espèces robustes (car aucun propriétaire ne peut s'occuper à plein temps de son animal) et acceptant "naturellement" les conditions de captivité en appartement ou en maison. Les besoins spécifiques des oiseaux sont parfois subtils et ne peuvent être connus du grand public : par exemple, Lorenz recommande, pour un citadin désireux de posséder un oiseau, de choisir entre le bouvreuil, le serin, ou l'étourneau mais "interdit formellement" le perroquet encagé et, surtout, le pinson qui panique à tout mouvement un peu brusque survenant dans son entourage... Certains détails peuvent heurter notre sensibilité car Lorenz recommande parfois de capturer l'oisillon au nid (dans le cas d'espèces bien déterminées), afin de provoquer la création d'un lien de relation personnel entre l'oiseau et son propriétaire. Lorenz fait aussi d'intéressants commentaires sur le comportement des chiens, en distinguant entre les chiens descendant du loup et les chiens descendant du chacal doré, qui sont les plus nombreux car les plus sociaux, en insistant d'ailleurs sur la dépendance affective du chien vis-à-vis de son maître et la monstruosité que représente, pour un chien, l'abandon de son maître.

Néanmoins, le livre de Lorenz n'est pas qu'un manuel à l'usage des propriétaires d'animaux. Il contient de nombreux faits d'observation qui ont permis à Lorenz de théoriser et d'étayer sa conception du comportement instinctif (cf ma critique des 3 essais sur le comportement). Il fourmille également d'anecdotes sur la vie de Lorenz avec ses animaux et leurs interactions avec sa famille et son voisinage. Il n'était pas de tout repos d'être le voisin de Lorenz ! Ces anecdotes sont souvent amusantes :
* un ami de Lorenz essayant de "parler" à des oies mais en langage "coin-coin" de canard, provoquant l'hilarité de Lorenz...
* Lorenz se déguisant (en père noël, etc.) pour manipuler ses corbeaux car le corbeau attaque, par comportement automatique instinctif, tout être vivant non corbeau qui s'empare d'un congénère. Or tout corbeau qui a attaqué le même individu plusieurs fois finit par l'assimiler à un ennemi ; aussi Lorenz ne devait pas être reconnu de ses corbeaux...

Certaines anecdotes sont aussi troublantes, en révélant le niveau insoupçonné d'individuation des animaux et leurs capacités à identifier un autre individu, et à se comporter spécifiquement envers lui. Plus que celles relatives aux animaux "supérieurs" (ex : le choucas Tchok, l'oie Martina, le corbeau Roa, etc.) avec lesquels Lorenz a su nouer une véritable relation d'intimité, ce sont celles concernant des espèces jugées sans intelligence qui m'ont le plus frappé. Lorenz rapporte ainsi le comportement exceptionnel d'un poisson-bijou, qu'il n'avait pu nourrir de la journée. Ces poissons forment des couples qui construisent un nid, dans lequel, chaque nuit, ils rassemblent leurs "enfants" qui nagent dans la journée autour du nid. Pour ce faire, la mère se met au-dessus du nid et appelle les "enfants" par des mouvements ondulatoires tandis que le père les pousse et si besoin prend dans sa bouche (ie il les gobe sans les avaler) les retardataires et/ou les récalcitrants pour les porter jusqu'au nid. Un jour, alors que les poissons n'avaient pu être nourris, Lorenz et ses étudiants donnèrent très tardivement de la nourriture aux poissons, qui avaient commencé à rassembler les "enfants". Le père, affamé, se jeta sur les morceaux de vers, qui emplissaient largement sa bouche, lorsqu'il vit soudain un de ses "enfants" qui nageait, solitaire. Il le ramassa aussitôt dans sa bouche, déjà pleine de nourriture. Lorenz vit alors le poisson se tétaniser, comme s'il était véritablement en train de réfléchir : après quelques secondes, il s'approcha du fond de l'aquarium, régurgita délicatement tout ce qu'il avait dans la bouche, puis mangea les morceaux de ver sans cesser de fixer de l'oeil son "enfant", posé immobile sur le sol. Une fois son repas fini, il prit "l'enfant" dans la bouche et le ramena au nid.

La préface (lors d'une réédition du livre)
Source : Le Bistrot Bar Blog

''Nous, à savoir : l'auteur qui n'avait encore jamais écrit de livre, l'éditrice qui est juriste et, accessoirement imprimeur, et n'avait encore jamais rien édité, et enfin le correcteur, plus malin qu'il n'en a l'air et le seul professionnel de nous trois, avions, par une aimable soirée de l'année dernière où l'on avait parlé des livres, bons ou mauvais, consacrés aux animaux, décidé de composer ce petit ouvrage. Nous sommes très fiers de notre oeuvre, mais nous ne nous dissimulons pas qu'elle présente quelques défauts.

Par exemple et pour commencer, le titre, Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons, peut prêter à confusion puisqu'un de mes lecteurs m'a écrit qu'il avait été sur le point de reposer le volume, reçu en cadeau de Noël, ne sachant pas dans laquelle de ces catégories auxquelles je parais m'adresser il lui fallait se ranger.

Il y a encore l'affreuse histoire des hamsters dorés qu'on peut laisser en liberté dans une pièce car – à en croire le livre – ils ne rongent ni ne grimpent. J'escomptai des ennuis quand je découvris, peu après la parution de notre petit ouvrage, un nid de hamsters dorés dans un classeur de lettres posé sur un haut secrétaire du XVIIIème siècle. Un gros vieux hamster s'étant avisé que le papier était un excellent matériau, avait mis au point une technique étonnante pour se hisser entre le secrétaire et le mur et, finalement, creusé un trou au milieu de la liasse de lettres, utilisant la bourre de papier ainsi obtenue pour capitonner douillettement son nid. Il ne restait plus, des lettres rangées dans le classeur, qu'une espèce de paroi entourant le creux ; les lettres étaient d'autant plus détruites qu'elles étaient plus proches du centre de la liasse (selon une courbe que l'on peut aisément imaginer sans être grand mathématicien) et, seules les premières et les dernières étaient intactes. J'écarte systématiquement les missives de mes chers lecteurs qui, après quelques formules flatteuses sur l'ensemble de mon livre, abordent la question du hamster doré, car je ne sais que trop ce qui va suivre. Pour ma part, j'ai enfermé les hamsters dans leur cage, non à cause du classeur de lettres – ils n'ont vraiment rien dévoré d'autre jusqu'ici – mais parce qu'ils pourraient mettre en danger la gerboise qui depuis quelque temps vit en liberté dans ma chambre. Ma femme a, hélas, lors des derniers nettoyages ''à fond'', trouvé dans le nid de ladite rongeuse une importante pièce à conviction sous forme de laines bleues et rouges provenant du tapis (du grand tapis persan aux mouchetures qui, vert sombre autrefois, sont devenues depuis vert-jaune clair : voir page 16). Il faudra donc que le tapis ou la gerboise quitte ma chambre ; je n'ai pas encore décidé lequel je bannirai.

Pour finir, j'ai eu dernièrement tant de déboires avec mes aquariums que le titre du deuxième chapitre : « Un objet sans danger : l'aquarium », m'apparaît comme une provocation. Une des vitres du bassin de cent litres a tout récemment éclaté dans la nuit sans qu'on sache pourquoi, en inondant la pièce, et avant-hier à cinq heures du matin, les trois pompes ont d'un commun accord refusé tout service. Je me suis escrimé pendant sept heures pour en remettre une en marche et lutter contre l'asphyxie d'une nombreuse progéniture de cichlidés (Etropus maculatus). Mon livre contient force mises en garde contre le danger de placer un trop grand nombre de poissons dans un même récipient et insiste fermement sur la nécessité de ne jamais rompre l'équilibre biologique de l'aquarium. Celui dont je parle contenait malheureusement bien trois cents petits cichlidés de deux à trois centimètres de long, alors qu'il n'y aurait dû y en avoir au plus une trentaine. Si bien que le travail de réparation des pompes ressemblait aux efforts d'un chirurgien qui lutte contre une forte hémorragie sans arriver à localiser le vaisseau lésé. Mais dès demain, j'en fais serment, les deux cent soixante petits pensionnaires excédentaires seront répartis chez les divers marchands de poissons d'agrément de Vienne.
Ces mésaventures m'ont si fort irrité au sujet de mes têtes de chapitre que je me suis acheté deux pinsons pour la seule raison que le neuvième chapitre s'appelle « N'achetez pas de pinson ». Ce sont deux ravissantes petites créatures que ma collaboratrice, le docteur Ilse Prechtl-Gilles a élevées pour observer la façon dont les jeunes oiseaux chanteurs mendient de la nourriture. Pour l'instant, ces oiselets sont délicieusement dociles et on ne peut plus mignons. Ceci pour consoler mes lecteurs amis des oiseaux qui m'ont adressé des lettres de reproche à la défense du pinson.

Malgré tout, ce que j'ai écrit dans ce livre est vrai...au moins relativement. Qu'on essaye de laisser un écureuil en liberté dans sa chambre et l'on trouvera le hamster doré étonnamment inoffensif. Un aquarium ne provoque qu'exceptionnellement des dégâts, et les pinsons ne resteront pas longtemps aussi sages et gentils. Tout bien pesé, nous ne modifierons donc rien au texte de la première édition.''

Du même auteur
Les oies cendrées, de Konrad Lorenz

Editions Albin Michel, 1989, 308 pages


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