15 décembre 2012

Le point de vue animal, d'Eric Baratay

Le point de vue animal
Une autre version de l'histoire
d'Eric Baratay

Le chien est le meilleur ami de l'homme mais l'homme est-il son meilleur ami ? Rien n'est moins sûr, si l'on en juge par les traitements parfois infligés et, dans un autre domaine, la place médiocre que l'histoire et la philosophie réservent habituellement aux animaux.

A travers l'exemple des taureaux de corrida, des chevaux de mine ou encore des vaches laitières, Eric Baratay cherche à rendre la parole, ou à défaut leur histoire, aux animaux. Les constituer en sujets, voire acteurs de l'histoire, tel est le défi à relever.

Renouvelant l'étude traditionnelle de leurs représentations, il propose une histoire des cultures animales qui ne soit plus anthropocentrée. Il s'agit désormais en effet de se pencher sur la construction du sujet animal, de prendre au sérieux "l'expérience vécue", notamment la souffrance et la violence qu'il subit, mais aussi la connivence et la complicité qui peuvent le lier à l'homme.

C'est afin de mieux rendre compte de l'histoire globale du sujet animal que l'auteur retrace alors l'incessante adaptation des espèces et des individus aux conditions naturelles et humaines.

Se fondant sur l'éthologie, la biologie, la zoologie et la psychologie, il parvient à démontrer que l'étude de ce sujet autonome se situe au croisement des sciences naturelles et humaines, passage obligé pour l'historien s'il désire "entrevoir d'autres mondes que le sien".

Le point de vue animal : Une autre version de l'histoire, Eric Baratay, Editions du Seuil, 2012, 400 pages

A propos de l'auteur

Eric Baratay, professeur à l'université de Lyon, est spécialiste de l'histoire des relations hommes-animaux. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment : "La Corrida" (PUF, 1995), "Zoos : Histoire des jardins zoologiques en Occident, XVIe-XXe siècle" (La Découverte, 1998), "La société des animaux : De la Révolution à la Libération" (La Martinière, 2008), repris sous le titre "Bêtes de somme : Des animaux au service des hommes" (Seuil, 2011), "L'Eglise et l’Animal, France, XVIIe-XXe siècle" (Cerf, 1996), "Et l’homme créa l’animal : Histoire d’une condition" (Odile Jacob, 2003), "L’Animal en politique" (codirection, L’Harmattan, 2003).

Au sommaire

Elargir l'histoire humaine
Première partie : Ecrire une histoire décentrée
1. Les succès de l'histoire humaine des animaux
2. La méfiance envers l'histoire animale
3. Le choix d'histoires vécues
- Productrices de l'essor agricole : les vaches laitières
- Ouvriers de la révolution industrielle : les chevaux de mine et d'omnibus
- Enrôlés dans les guerres : les animaux dans les tranchées
- Membres de la famille moderne : les chiens de compagnie
- Faire-valoir du développement des loisirs : les taureaux de corrida
4. Faire l'histoire d'un autre
- L'animal acteur
- Une notion élargie de l'histoire
- L'autre de l'homme
- Lire les sources autrement
- S'emparer des sciences de la nature
- Mener une histoire expérimentale
Deuxième partie : D'incessantes métamorphoses
5. A la recherche des bons caractères
6. L'uniformisation par les races
7. La variation des allures
Troisième partie : Des vies de prolétaires
8. Travaux de force
- Adaptation ou refus
- Des efforts surchevalins
- Collaboration et résistance
- Une vie rassurante ou éprouvante
- De l'usure à la réforme
9. Fabrication à la chaîne
- Une conversion forcée
- La spécialisation à la ferme
- L'enfermement en ville
- O.S. en atelier
Quatrième partie : Le fardeau des violences
10. Des souffre-douleur
11. Des objets pressurés
12. D'autres chairs à canon
- Le massacre des otages
- L'usure des chiens
- L'hécatombe des chevaux
13. Des jouets de spectacle
- Le stress des arènes
- Le choc des piques et des banderilles
- L'épuisement à la cape
- Mort dans l'après-midi
Cinquième partie : La chaleur des connivences
14. Complicités individuelles
15. Charités bien ordonnées
16. Douceurs familiales
- D'autres chiens au XIXe siècle
- ... et d'autres vies
- Presque tous compagnons depuis le milieu du XXe siècle
- Un confort croissant
- Une plus forte relation
- Du chien adolescent...
- ... au chien âgé
Sixième partie : Retour à l'homme
17. Une histoire commune de chair, d'émotions, d' "échanges"
- Survivre au front avec les bêtes
- Quand le compagnon s'en va
18. Débats et conflits
19. Adaptations, transformations
20. Reconnaissance et repentance
21. L'entrelacement hommes-animaux
Reconnaître un sujet à part entière
Bibliographie

Pour en savoir plus

- Les éditions du Seuil
- Ce lien pour feuilleter le livre
- Ce lien pour lire les 22 premières pages
- Livre en ligne : Nos cruautés envers les animaux, au détriment de l'hygiène, de la fortune publique et de la morale, du Dr Henry Blatin (1867)
- Les animaux ont une histoire, de Robert Delort
- Histoire humaine des animaux de l'Antiquité à nos jours, de Janick Auberger et Peter Keating
- Les animaux de l'Histoire, de Valérie de Lore
- Les animaux-soldats, de Martin Monestier
- Les animaux célèbres, de Martin Monestier
- En vidéo : Les animaux de l'Empire Romain
- En vidéo : Les animaux de l'Egypte ancienne

L'introduction du livre

L'Histoire, celle bâtie par les sociétés humaines, est toujours racontée comme une aventure qui ne concerne que l'homme. Pourtant, les animaux ont participé et participent encore abondamment à de grands événements ou à de lents phénomènes de civilisation, qu'ils soient chevaux et chiens de guerre, équidés voués à servir dans les transports, bétail attaché à la production, animaux de compagnie, faire-valoir dans les loisirs, du cheval de course au taureau de corrida, etc.

Leurs manières de vivre, de sentir, de réagir à cette Histoire sont quelquefois effleurées, jamais étudiées comme telles. Même la récente Histoire des animaux, que les historiens édifient depuis plus de vingt ans, se focalise sur les représentations, les dires, les gestes des hommes sur les bêtes, leurs répercussions sociales, mais guère sur les vécus animaux : elle édifie ainsi une Histoire humaine des animaux, non une Histoire animale. Comme s'il n'y avait d'Histoire intéressante que celle de l'homme, c'est-à-dire de soi. Comme s'il existait en nous une difficulté à s'intéresser au vécu d'êtres vivants qu'on met à contribution, mais qu'on traite en objets ou en scories de l'Histoire sans plus s'en soucier.

Or le versant animal de l'Histoire est lui aussi épique, contrasté, tourmenté, souvent violent, parfois apaisé, quelquefois comique. Il est fait de chair et de sang, de sensations et d'émotions, de peur, de douleur et de plaisir, de violences subies et de connivences. Il rejaillit directement sur les hommes, au point de structurer de plus en plus l'Histoire humaine. Ainsi, loin de s'avérer anecdotique et secondaire, il mérite amplement l'attention des historiens soucieux d'une Histoire multiple.

Il faut donc arracher l'Histoire à une vision anthropocentrée, regarder ces comparses de l'homme, ces autres vivants que sont les bêtes, passer de leur côté, regarder de leur point de vue en retournant les interrogations, en cherchant des documents plus prolixes ou en lisant les autres autrement, en décentrant le récit. On pourra alors montrer comment les bêtes ont vécu et ressenti les phénomènes historiques dans lesquels elles ont été entraînées, comment elles ont réagi et même forcé les hommes à changer d'attitude.

Evoquer cet autre versant de l'Histoire sert à réévaluer un véritable acteur, souvent majeur, trop longtemps occulté, à comprendre du coup nombre d'attitudes humaines (protestations, conflits, adaptations...) qu'on ne perçoit pas ou qu'on n'analyse pas correctement sans cela, à répondre enfin à une demande croissante du public qui, des journalistes aux auditeurs en passant par les lecteurs ou les assistants aux conférences, soulève maintenant sans cesse la question de l'expérience vécue des bêtes. Et il revient aux historiens de leur répondre.

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