06 avril 2008

Les grosses bêtes, de Christine Bravo

Les grosses bêtes
Un érotisme inattendu
de Christine Bravo

Il y a les obsédés, les romantiques, ceux qui font ça en bande ou la tête à l'envers... Vous voyez de qui il s'agit ? De nos amis les bêtes, bien sûr ! Alors si vous rêvez de vous réincarner en bestiole, avisez-vous de bien connaître leurs pratiques amoureuses avant de faire votre choix, car après c'est pour la vie ! Le rhinocéros est le spécialiste de l'amour vache. Les fourmis, comme chacun sait, adorent la hiérarchie et le travail : la seule qui ait droit au plaisir, c'est la reine, et encore, une fois dans sa vie. Pour avoir des bébés, la punaise est prête à tout, même à se laisser faire hara-kiri par son mari. Cinquante-quatre love stories concoctées par Christine Bravo, toutes plus drôles les unes que les autres et de surcroît biologiquement exactes.

Les grosses bêtes, Christine Bravo, Editions J'ai lu, 1999, 190 pages

L'introduction du livre

Quand j'étais petite, j'aimais les fourmis. Mais ce qui s'appelle aimer. Je ne faisais rien que les regarder. Je passais des heures accroupie, à essayer d'apprendre la langue fourmi. J'étais sûre qu'avec de la bonne volonté, on finirait par se raconter des trucs. Des histoires de feuilles, de cailloux, de motte de terre, ou carrément, pourquoi pas, des secrets de petites filles ? A cette époque-là, j'avais énormément de soucis avec Béatrice Ségnosse. Béatrice Ségnosse était ma meilleure copine, on ne se disputait presque jamais, sauf à propos des fourmis. Elle les détestait. Elle disait que dans son pays - elle était originaire du Sud-Ouest -, il y avait des insectes formidables. Des papillons, des libellules, des scarabées, des cigales et que ça oui, elle comprenait qu'on les aime. Mais les fourmis, franchement, c'était une toquade de Parisienne. Je rappelais à Béatrice Ségnosse que Mitry-le-Neuf où j'habitais, c'était pas Paris, mais un bled de Seine-et-Marne, que ça n'avait donc rien à voir et qu'elle ferait mieux de fermer sa boîte à camembert.

N'empêche l'été suivant, j'ai demandé à venir en colo dans le Sud-Ouest. Et là, je suis tombée sur devinez quoi ? Des papillons, des libellules, des scarabées, et des cigales. Pour ça, Béatrice Ségnosse n'avait pas exagéré. Je n'avais jamais rien vu d'aussi joli dans la nature. Je passais des heures à genoux dans la campagne, même que les monos disaient : "Christine Bravo, c'est incroyable, elle ne s'intéresse à rien." Cette année-là, j'ai découvert les abeilles, les araignées, les mouches, les guêpes, les moustiques, mais aussi les lézards, les crapauds, les hérissons, et tout ce qu'il est possible de rencontrer dans le Sud-Ouest, c'est-à-dire finalement pas mal de petites et de grosses bêtes. A partir de là, je suis devenue fondue, que dis-je, confite d'amour pour les bestioles. Je veux dire, toutes. Au point que j'ai décidé de les emmener à Mitry. Parfaitement. J'ai pris des boîtes, j'ai fait des trous dans les couvercles, et je les ai bourrées de scarabées et de cigales. (Je n'ai pas pu attraper les papillons ni les libellules, ni d'ailleurs les lézards ou les crapauds.) Puis je les ai lâchés à Mitry-le-Neuf. Plus exactement, dans la rue Henri-Barbusse.

Je ne sais pas ce que sont devenus les scarabées. Ce sont des insectes si sombres, si mystérieux. Ils passent leur vie à traîner des boulettes de tout et de rien, sans jamais avoir l'air joyeux ni agacé. Si ça se trouve, ils se sont perdus dans les tréfonds de la Seine-et-Marne. Mais les cigales ont chanté tout l'été. Et bien davantage. L'hiver, bien sûr, elles se sont tues. Et au printemps, tss-tss, elles ont recommencé. Tout le monde, à Mitry-le-Neuf, se demandait par quel miracle il pouvait y avoir des cigales rue Henri-Barbusse. Il y a même eu des polémiques, comme quoi ce n'étaient pas des cigales mais des grillons de boulanger. Jusqu 'au jour où un voisin de la rue Henri-Barbusse en a attrapé une dans son jardin et a consulté l'encyclopédie de la bibliothèque municipale. Alors, tout le monde a rabattu son caquet et admis qu'il y avait des cigales à Mitry, un point c'était tout. Je ne vous raconte pas la tête de Béatrice Ségnosse quand elle a su ça.

D'un autre côté, cette affaire m'a un peu détournée des fourmis. Disons que j'ai ouvert mon coeur à d'autres curiosités animales. Je ne l'ai jamais refermé.

Christine Bravo

Post-scriptum de l'éditeur

Et quand Christine Bravo ouvre son coeur, elle cherche à savoir qui elle aime ! Les chroniques qui suivent sont le fruit de longues recherches dans les ouvrages scientifiques, et la fantaisie du style n'enlève rien à la rigueur des informations.

Un extrait du chapitre "La baudroie"

La baudroie, plus connue sous le nom de lotte, est un énorme poisson de mer qui passe sa vie à montrer ses grandes dents. En réalité, celle qui montre ses grandes dents, c'est la femelle. Gros comme un dé à coudre, monsieur baudroie ne fait pas le poids devant sa redoutable épouse. Et quand je parle de dé à coudre, il ne s'agit pas d'une métaphore. Dans le ménage, c'est la mère baudroie qui fait la loi. Le père baudroie se plie sans rechigner aux exigences de la matrone. Il est là à tourner autour, ma lolotte par ci, ma lolotte par là. Elle, elle le rembarre brutalement et répond à ses baisers par de grandes baffes. Lui, il s'accroche (il y a des hommes, comme ça, qui n'aiment que les maitresses méchantes.), il plante ses petits dents dans la chair gironde et essaie de se faire oublier. Une fois ancré dans sa femelle géante, le père baudroie perd toute identité. Complètement asservi par son épouse, il va même jusqu'à se dissoudre en elle afin de ne former qu'une seule et même personne. Après un dernier regard sur ce monde cruel, il se branche carrément sur la circulation sanguine de sa femelle et pfffuuuit ! il disparait sous ses écailles douillettes. Du père baudroie, il ne reste bientôt plus qu'une excroissance, une verrue disgracieuse à la surface de la mamma. Le soir, la mère baudroie inspecte ses verrues. Oui, parce que, en plus, elle en a plusieurs. Son dos est plein de mâles dissous, fusionnés, biologiquement soumis à ses moindres désirs. Quand elle a une petite envie sexuelle, la mère baudroie tire un cordon sonnette et ses amants-verrues déversent ses spermatozoïdes en elle. Tout ça sans un mot ni une caresse. ../..

Au sommaire

Le coq
La mante religieuse
La fourmi
Le serpent
L'hippopotame
Le rhinocéros
L'hippocampe
Le lion
L'anatife
Le galago
La pieuvre
Le hibou
La mouche scatophage
La baudroie
La tortue
La mouette rieuse
L'escargot
L'épinoche
Le cochon
Le homard
Le calao
La hyène
La moule
L'autruche
Le crapaud
L'éléphant
Le scorpion
Le blaireau
Le lézard
La punaise
La cigale
L'otarie
Le chimpanzé
Le hérisson
L'héléidé (le moustique)
Le poisson-chirurgien
Le cerf
La libellule
Le crabe violoniste
Le zèbre
La bouvière amère
Le braque de Weimar
La puce du lapin
Le tourteau
L'ornithorynque
L'araignée
La vache et le taureau
Les gobies
Le gorille
La luciole
Le chat
Le titi
La chauve-souris
Le requin

Voir également

- Les petites bêtes, de Christine Bravo
- Les animaux amoureux, de Pascal Picq et Eric Travers
- Manuel universel d'éducation sexuelle, d'Olivia Judson
- Les jeux de l'amour, du hasard et de la mort, de Paul Galand
- Bestiaire érotique, de Jean-Luc Hennig
- Le dépit du gorille amoureux, de Marie-Claude Bomsel

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