20 février 2016

(Up) Ces bêtes qu'on abat, de Jean-Luc Daub

Ces bêtes qu'on abat
Journal d'un enquêteur

dans les abattoirs français
(1993-2008)
de Jean-Luc Daub


La viande coûte cher aux animaux. Engraissés dans des bâtiments obscurs dont ils ne sortent que pour être abattus, privés de toute relation avec leurs congénères, entravés, parfois sanglés au point de ne pouvoir bouger, ces animaux sont tués à la chaîne dans l'indifférence la plus absolue. Les enquêtes effectuées par Jean-Luc Daub dans les abattoirs français durant une quinzaine d'années lèvent le voile sur le malheur de milliards d'animaux. La force de ce témoignage tient dans la description, d'une précision extrême, des opérations d'abattage intolérables qui font inexorablement passer les bêtes de vie à trépas, dans ces lieux dont la législation dit " qu'aucun animal ne doit ressortir vivant ". Les instances qui ont compétence pour faire appliquer la réglementation en matière de protection des animaux font preuve d'une passivité qui confine à la complicité. Plus largement, c'est à une réflexion de fond sur la condition des animaux élevés pour être mangés que ce livre nous invite. Pourquoi les avons-nous à ce point bannis de tout ?

Ces bêtes qu'on abat, Jean-Luc Daub, Editions L'Harmattan , 2009, 256 pages

A propos de l'auteur

Parallèlement à son activité d'enquêteur dans les abattoirs pour des associations de protection animale, Jean-Luc Daub travaille en Alsace dans le secteur médico-social ; il est éducateur technique spécialisé auprès de personnes atteintes de troubles psychotiques.

Pour en savoir plus

- Le témoignage et le parcours personnel de Jean-Luc Daub, visiteur d'abattoirs
- Un aperçu du livre
- Végétarisme et non-violence, de Marjolaine Jolicoeur
- Bidoche, de Fabrice Nicolino
- La rubrique végétarisme et végétalisme
- La boutique L214

Sommaire

- Préface d'Élisabeth de Fontenay
- Témoigner
- Mes débuts dans la protection animale
- Aider les animaux d'abattoirs
- Le déroulement des visites d'abattoirs
- Description des différentes méthodes d'abattage
- Qu'est-ce que l'abattage rituel ?
- Un abattoir qui aurait dû fermer
- Des images qui marquent
- Un bouc pas comme les autres
- Avec le personnel d'abattoirs
- Des vaches dans le local d'abattage d'urgence
- Le « bien-être » des porcs
- Un argument publicitaire
- Rouge sang
- Pince électrique jusque dans la bouche
- Vaches mourantes
- Un employé rapide
- Un veau pour distraction
- Suspension des veaux en pleine conscience
- Étourdissement de bovins
- Un abattoir de porcs
- Mon premier marché aux bestiaux
- Un abattoir qui fonctionne « bien »
- La vie misérable des coches en élevage intensif
- La fin des coches à l'abattoir
- Marie
- Une petite vache dans le box rotatif
- Les poussins refusés
- Dernier sursaut d'un veau
- Des hurlements de porcs
- Des chevaux qui attendent
- Infractions en abattage rituel
- Un chariot de lapins blancs
- Un chien dans un fossé
- L'électronarcose par la pince électrique
- La crise de la vache folle et les veaux de la Prime Hérode
- Un appareil d'anesthésie innovant
- Agression sur un marché aux bestiaux
- Déjeuner dans une crêperie du Morbihan
- Une coche assoiffée
- Des animaux qui s'échappent des abattoirs
- Que faire ?
- Pour conclure
- Annexe
- Témoignages de végétariens, leurs parcours

L'analyse du livre
par la LFDA, La Fondation Droit Animal

Journal d'un militant de la protection animale, le livre de Jean-Luc Daub est un témoignage sur les enquêtes effectuées par l'auteur dans les abattoirs français. Cet ouvrage vise à la compassion et se situe dans la mouvance de l'émotion et du sentiment. Ce qui n'exclut nullement, à terme, un appel à la raison, car si, comme le remarque dans sa préface Élisabeth de Fontenay : « Nous sommes horrifiés par ce que son auteur… raconte » (p7) : c'est justement ce choc qui peut être salutaire à notre réflexion.

Avec le livre de Daub, on passe, d'une certaine manière, de l'abstrait au concret, ou de la théorie à la pratique, celle du vécu des abattoirs de notre pays. Certes, comme une large proportion de la population française n'est pas végétarienne, qu'elle soit ou non pourvue de convictions religieuses (pour la question de l'abattage rituel), il existe des abattoirs nombreux dans notre pays. Avec des règlements qui visent à garantir, aux animaux de boucherie, une mort aussi douce que possible. Certes, comme le remarque l'auteur, il existe « des responsables d'abattoirs qui agissent dans leur établissement de façon désintéressée pour éviter un mal-être animal et cela même cinq minutes avant la mort de l'animal » (p207). Il existe « un appareil d'anesthésie innovant » (p181), différent des systèmes actuels qui « apeurent terriblement les animaux et les mettent même dans un état de souffrance » (p185). Et puis il existe aussi quelques cas exceptionnels d'animaux échappés des abattoirs et dont l'aventure s'est bien terminée, par une adoption et une fin de vie paisible. Mais les exemples rapportés par l'auteur sont pour la plupart insoutenables. Ils témoignent d'un mépris presque permanent pour l'animal, et même pour la loi qui vise à le protéger, un mépris qui démontre que, si on veut trouver une bonne image de l'enfer sur terre, c'est bien dans nos abattoirs qu'il faut la chercher.

Il n’est pas possible évidemment de mentionner ici tous les exemples. Quelques citations en donneront une idée. « Les porcs hurlaient et ne voulaient pas entrer dans le local d'abattage » (p63). Un employé rapide « découpait les oreilles, ainsi que le museau et puis la tête, alors que les bovins n'étaient pas encore morts » (p91). « J'assistai impuissant à un déchargement de cochons ne pouvant pas marcher… cette pratique est interdite » (p103). « Certains animaux étaient là depuis la veille sans rien boire ni manger » (p105). « Trois hommes frappaient une vache pour la faire monter dans un camion. Elle avait une plaie ouverte sur la croupe à force de recevoir des coups » (p107).

En préparation du futur abattage et pour conserver une viande « de qualité », l'auteur rappelle la castration à vif des porcelets, en présence de leur mère impuissante : « Les cris des porcelets assaillent ses oreilles, et la panique s'empare des autres mères et petits » (p115). Un abattoir rituel où « tous les animaux étaient abattus selon le rituel, y compris ceux qui précisément, n'étaient pas destinés à l'abattage rituel, ce qui est interdit » (p157). « Pourquoi… ces bêtes en piteux état, sans grande valeur marchande, étaient-elles souvent rouées de coups lorsqu'elles se déplaçaient difficilement… ? » (p189)

Un mot sur les cas des poussins « refusés », c'est-à-dire qui doivent être éliminés. « Pendant longtemps ils étaient simplement jetés vivants dans des bennes avec les coquilles vides… [maintenant parfois] les poussins sont jetés dans des poubelles qu'on entasse l'une sur l'autre afin de les faire mourir par écrasement… [ou encore ils sont] enfermés dans des sacs où ils meurent d'étouffement… [d'autres enfin passent dans des broyeurs] qui, comme leur nom l'indique, broient les poussins… » (p145).

Partout, dans ces lieux évidemment à l'abri des regards du public, on rencontre fréquemment l'indifférence des abatteurs, des vétérinaires, des administrations. Partout des attentes d'animaux conscients et intelligents, comme les porcs, dans des pièces sales, insalubres, bruyantes, puant la sueur et le sang, sans eau, sans confort, sans égard, sans autre contact que la brutalité sous toutes ses formes. Souvent « pour ce qui concernait le personnel, c'est simple : il était incompétent et n'avait reçu aucune formation ; celle-ci est pourtant obligatoire » (p60). Quant aux administrations et aux pouvoirs publics, ils brillent souvent par leur absence lorsque l'auteur les sollicite conformément à la loi : « nous étions face à une inertie totale » (p61).

Écoeuré par ce qu'il a vu, l'auteur est devenu végétarien, et, témoignage jusqu'à bout, son livre se termine par des parcours de vie de personnes devenues végétariennes. Conscient du fait que Rome ne se fera pas en un seul jour, l'auteur donne aussi quelques conseils de bon sens, pour ceux qui ne se sentiraient pas en mesure de faire un choix végétarien immédiat : « Le plus facile, pour commencer, est d'effectuer le bon choix lorsque vous achetez des oeufs » (p231) : les oeufs de poules élevées en plein air issus de l'agriculture biologique (code « 0 ») proviennent d'oiseaux non mal traités. A ceux qui soutiennent la thèse abominable qu'on ne peut pas se préoccuper à la fois du bien-être des animaux et de celui des humains, Jean-Luc Daub apporte, par son attitude, un démenti formel, puisqu'il a mis sa vie professionnelle au service des humains handicapés et consacré ses loisirs au bénévolat de la protection animale.

Finalement, on l'aura compris, le livre de Catherine Rémy et celui de Jean-Luc Daub, très différents dans leur conception, dans leur projet, dans leur mode de pensée même, se complètent fort bien et convergent vers une mise en question de la mise à mort des animaux. Les deux ouvrages donnent une bien triste image de l'espèce humaine, qui pourtant aime tant se placer en haut des hiérarchies qu'elle invente ! Combien de temps notre espèce, fière des capacités de son cerveau, continuera-t-elle à se vautrer dans de telles pratiques ? Des pratiques que beaucoup de ses membres n'oseraient même pas affronter personnellement, sans se réfugier dans ce que Catherine Rémy a diagnostiqué comme une distanciation dans l'imaginaire, un refus de ne pas voir en face la réalité de ce qu'on fait, finalement un effort pour dégrader des êtres sensibles qui ne le méritent pas.

Sur le même thème

widgets by blogtips

Aucun commentaire: