31 décembre 2009

Un éternel Treblinka, de Charles Patterson

Un éternel Treblinka
de Charles Patterson

traduit par Dominique Letellier


Un livre exceptionnel,
à lire absolument.


La souffrance des animaux, leur sensibilité d’êtres vivants, est un des plus vieux tabous de l’homme. Dans ce livre iconoclaste – que certains considéreront même comme scandaleux –, mais courageux et novateur, l’historien américain Charles Patterson s’intéresse au douloureux rapport entre l’homme et l’animal depuis la création du monde.

Il soutient la thèse selon laquelle l’oppression des animaux sert de modèle à toute forme d’oppression, et la « bestialisation » de l’opprimé est une étape obligée sur le chemin de son anéantissement. Après avoir décrit l’adoption du travail à la chaîne dans les abattoirs de Chicago, il note que Henry Ford s’en inspira pour la fabrication de ses automobiles. Ce dernier, antisémite virulent et gros contributeur au parti nazi dans les années 30, fut même remercié par Hitler dans Mein Kampf. Quelques années plus tard, on devait retrouver cette organisation du « travail » dans les camps d’extermination nazis, où des méthodes étrangement similaires furent mises en œuvre pour tétaniser les victimes, leur faire perdre leurs repères et découper en tâches simples et répétitives le meurtre de masse de façon à banaliser le geste des assassins.

Un tel rapprochement est lui-même tabou, étant entendu une fois pour toutes que la Shoah est unique. Pourtant, l’auteur yiddish et prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer (qui a écrit, dans une nouvelle dont le titre de ce livre est tiré, « pour ces créatures, tous les humains sont des nazis ») fut le premier à oser la comparaison entre le sort réservé aux animaux d’élevage et celui que les hommes ont fait subir à leurs semblables pendant la Shoah.

S’inspirant de son combat, Patterson dénonce la façon dont l’homme s’est imposé comme « l’espèce des seigneurs », s’arrogeant le droit d’exterminer ou de réduire à l’esclavage les autres espèces, et conclut son essai par un hommage aux défenseurs de la cause animale, y compris Isaac Bashevis Singer lui-même.

« Le livre de Charles Patterson pèsera lourd pour redresser les torts terribles que les hommes, au fil de l’histoire, ont infligés aux animaux. Je vous incite vivement à le lire et à réfléchir à son important message. » Jane Goodall, primatologue

« Le défi moral posé par Un éternel Treblinka en fait un livre indispensable pour celui qui cherche à explorer la leçon universelle de la Shoah. »
Maariv, journal israélien

Pour en savoir plus

- Le site du livre
- Un entretien avec l’historien Charles Patterson
- Le résumé des "Cahiers Antispécistes"
- L'avis d'une lectrice
- L'avis de "Sciences Humaines" : Un crime contre l'animalité
- La boutique L214

Sommaire

I Une débâcle fondamentale
1 La grande division
Suprématie humaine et exploitation des animaux
- Le grand bond en avant
- La domestication des animaux
- Impitoyable et indifférent
- Esclavage humain
- Des esclaves comme animaux domestiques
- La domination de l'homme sur les animaux
- La grande chaîne des êtres
- La division entre l'humain et l'animal
- Moins qu'humains
2 Loups, singes, cochons, rats, vermine
Humilier les autres en les traitant d'animaux
- Africains
- Peuples premiers américains
- La "guerre indienne" dans les Philippines
- Singes jaunes
- Cochons chinois
- Termites vietnamiens, cafards irakiens
- Rabaissement des Juifs
- Affronter la Shoah
II Espèces supérieures, race supérieure
3 L'industrialisation de l'abattage
Le chemin qui mène à Auschwitz passe par l'Amérique
- Massacre dans les colonies
- La ville du porc
- Union Stock Yards
- La mort à une échelle monumentale
- Pas si différent
- Ca reste en famille
- Massacre high-tech
- Evolution récente
- Henry Ford : de l'abattoir au camp de la mort
4 Améliorer le troupeau
De la reproduction animale au génocide
- L'émergence de l'eugénisme
- Association des éleveurs américains
- Le mouvement eugéniste américain
- Etudes de familles
- Stérilisation obligatoire
- L'eugénisme en Allemagne
- Le partenariat américano-allemand
- Le soutien américain à l'eugénisme nazi
- Américains en visite
- Himmler, Darré, Höss
- Le programme T4 de l'Allemagne et l'invention de la chambre à gaz
- De l'exploitation animale aux meurtres de masse
5 Sans l'hommage d'une larme
Centres de tuerie en Amérique et en Allemagne
- Rationaliser le processus
- Rampe / entonnoir / tube / boyau
- Régler le sort du malade, du faible et du blessé
- Tuer les jeunes
- Les animaux dans les camps
- Hitler et les animaux
- Nous vivons comme des princes
- Massacre humain
III Echos de la Shoah
6 Nous étions comme ça, nous aussi
Les avocats de la cause animale liés à la Shoah
- Combattre une aberration mentale
- La voix des survivants
- Quelque chose de terrible
- Trois commandements
- Vision aux rayons X
- Images de la Shoah
- Savon et chaussures
- Une rencontre fatidique
- Troisième génération de militants
- Un couple étrange
- Ce qui a rendu ça possible
- Nous n'avons rien appris
7 Cet abattoir sans limites
Le regard compatissant d'Isaac Bashevis Singer
- Le 11ème commandement
- Vers l'Amérique
- Une forme d'amusement ignoble
- Satan et sauvagerie
- Une débauche de chair
- Viande et folie
- Créature sacrée
- Protestation végétarienne
- Treblinka était partout
- Eux aussi sont des enfants de Dieu
- Affection pour les animaux
- L'ombre d'une destruction imminente
- Une manière de vivre
8 L'autre face de la shoah
Voix allemandes pour les "sans-voix"
- De la Wehrmacht aux droits des animaux
- Révolté et consterné
- Le bébé de Hitler
- Les mangeurs de viande pourraient bien remettre ça
- Frères animaux
- Le mensonge d'Auschwitz
- L'holocauste des animaux
Postface
Bibliographie
Répertoire des associations citées
Remerciements
Table des matières

Un extrait du livre

Choisir un extrait ne fut pas simple tant cet ouvrage est exceptionnel mais puisqu'il me fallait faire un choix, j'ai opté pour le chapitre décrivant le rapport particulier d'Hitler aux animaux, en espérant ainsi mettre un terme à cette malsaine légende d'un Hitler végétarien.

Ci-dessous, une retranscription du texte où je n'ai conservé, pour une facilité de lecture, qu'une partie des références, puis en images, ce même texte dans son intégralité.

HITLER ET LES ANIMAUX
P185-P192


Comme beaucoup de ses frères humains, Adolf Hitler utilisait des noms d'animaux pour avilir les autres. Il traitait souvent ses adversaires de «gorets» et de «sales chiens». Les bolcheviks étaient des «animaux» et les Russes, ce «peuple bestial», «une famille lapin» slave, que Staline avait transformée en Etat totalitaire. Après la conquête de la Russie, Hitler voulut que «la centaine de millions de Slaves ridicules» vive «dans des porcheries». Il traitait les diplomates britanniques de «vers de terre», et quant au peuple d'Amérique «mi-judaïsé, mi-négrifié», il avait «le cerveau d'une poule». Hitler n'avait que mépris pour son propre peuple, auquel il faisait référence en disant «le grand troupeau stupide de notre peuple moutonnier», et tandis que les défaites s'accumulaient à la fin de la guerre, il rejetait sur eux la faute de n'avoir pas été à la hauteur du défi. Hitler traitait ses propres sœurs de «petites dindes».

Quelles qu'aient pu être les déficiences dont souffrait le Volk germanique, Hitler considérait pourtant que la race aryenne-nordique était infiniment supérieure à la mer de sous-hommes qui l'entourait, «ces monstruosités, entre homme et singe», comme il le dit clairement dans un discours à Munich en 1927 :

"Nous avons devant nous la race aryenne, qui est manifestement porteuse de toute culture, la véritable représentante de toute l'humanité. Notre science industrielle est sans exception le travail des Nordiques. Tous les grands compositeurs, de Beethoven à Richard Wagner, sont aryens. L'homme doit tout ce qui a quelque importance au principe de lutte et à une race qui a porté en elle le succès. Retirez les Allemands nordiques et il ne reste rien que la danse des singes [1]."

Hitler aimait les chiens, en particulier les bergers allemands (il considérait que les boxers étaient «dégénérés»), qu'il aimait contrôler et dominer. Au front, pendant la Première Guerre mondiale, il s'était lié à un terrier blanc, Fuchsl, qui avait traversé les lignes ennemies. Plus tard, quand son unité avança et qu'on ne retrouva pas Fuchsl, Hitler en fut bouleversé. «Je l'aimais tant, se souvint-il. Lui seul m'obéissait.» Hitler tenait souvent un fouet et l'utilisait parfois pour frapper son chien, à la manière cruelle dont son père frappait son propre chien [2]. Au quartier général du Führer pendant la Seconde Guerre mondiale, le berger allemand de Hitler, Blondi, lui offrit ce qu'il connut de plus proche de l'amitié [3]. «Mais avec ses chiens, comme avec tout être avec qui il entrait en contact, écrit Ian Kershaw, toute relation était fondée sur la subordination au maître qu'il était.»

Si Hitler consommait des produits animaux comme le fromage, le beurre et le lait, il tentait d'éviter la viande pour calmer son «estomac nerveux». Il souffrait d'indigestions et de douleurs épisodiques depuis l'adolescence, ainsi que de flatulences et d'une sudation incontrôlable [4]. La première preuve de ses tentatives pour soigner ses problèmes d'estomac en veillant à son régime figure dans une lettre écrite en 1911, quand il vivait à Vienne : «Je suis heureux de pouvoir vous informer que je me sens déjà beaucoup mieux [...]. Ce n'était rien qu'un petit dérangement de l'estomac, et je tente de me soigner par un régime de fruits et de légumes.» Il découvrit que lorsqu'il réduisait sa consommation de viande, il ne transpirait pas autant et qu'il y avait moins de taches sur ses sous-vêtements. Hitler fut aussi bientôt convaincu que manger des légumes améliorait l'odeur de ses flatulences, un problème qui l'ennuyait terriblement et lui causait bien de l'embarras. Il avait très peur du cancer, qui avait tué sa mère, et croyait que la consommation de viande et la pollution causaient le cancer.

Néanmoins, jamais Hitler ne renonça complètement à ses plats préférés de viande, surtout pas aux saucisses bavaroises, aux boulettes de foie et au gibier farci. La cuisinière Dione Lucas, qui travaillait comme chef dans un hôtel de Hambourg avant la guerre, se souvient qu'on l'appelait souvent pour qu'elle prépare le plat préféré de Hitler. «Je ne veux pas vous gâcher l'appétit pour les pigeonneaux farcis, écrivit-elle dans son livre de cuisine, mais cela vous intéressera peut-être de savoir que c'était un grand favori de M. Hitler, qui dînait souvent à l'hôtel. Mais n'en tenons pas rigueur à cette belle recette !» Un de ses biographes prétend que Hitler, en matière de viande, s'en tenait presque uniquement aux saucisses [5].

Quelles qu'aient été ses préférences culinaires, Hitler montra peu de sympathie pour la cause végétarienne en Allemagne. Quand il arriva au pouvoir, en 1933, il interdit les sociétés végétariennes, arrêta leurs chefs et fit fermer la rédaction du principal magazine végétarien publié à Francfort. Les persécutions nazies contraignirent même les végétariens allemands, petite minorité dans une nation de carnivores, soit à fuir le pays, soit à se cacher. Pacifiste et végétarien allemand, Edgar Kupfer-Koberwitz s'enfuit à Paris, puis en Italie, où la Gestapo l'arrêta et l'envoya au camp de concentration de Dachau. Pendant la guerre, l'Allemagne nazie interdit toutes les organisations végétariennes dans les territoires occupés, alors même qu'elles auraient aidé à soulager la pénurie de nourriture en temps de guerre.

Selon l'historien Robert Payne, le mythe qui veut que Hitler ait été strictement végétarien fut principalement l'œuvre du ministre de la Propagande de l'Allemagne nazie, Joseph Goebbels :

"L'ascétisme de Hitler joua un rôle important dans l'image qu'il projetait sur l'Allemagne. Selon une légende à laquelle beaucoup croyaient, il ne fumait ni ne buvait, il ne mangeait pas non plus de viande et n'avait aucune liaison. La première affirmation seule était vraie. Il buvait de la bière et souvent du vin coupé d'eau, il aimait tout particulièrement les saucisses bavaroises et il avait une maîtresse, Eva Braun, qui vivait avec lui discrètement au Berghof - entre autres aventures discrètes avec des femmes. Son ascétisme était une fiction inventée par Goebbels pour faire croire au don total de sa personne, au contrôle qu'il exerçait sur lui, à la distance qui le séparait des autres hommes. En faisant publiquement étalage de son ascétisme, il pouvait prétendre être tout dévoué au service de son peuple [6]."

En fait, Hitler était «remarquablement complaisant envers lui-même et n'avait pas le moindre instinct ascétique», écrit Payne. Son cuisinier, un homme incroyablement gros appelé Willi Kannenberg, confectionnait des repas délicieux et jouait les fous du roi. «Si Hitler n'avait pas de goût pour la viande, sauf sous forme de saucisses, s'il ne mangeait jamais de poisson, il adorait le caviar [7]. C'était un connaisseur en bonbons, fruits confits et gâteaux à la crème, qu'il consommait en quantités impressionnantes. Il buvait du thé et du café qu'il noyait de crème et de sucre. Aucun dictateur n'a autant aimé les sucreries.»

Quant à la compassion et la gentillesse, c'étaient des anathèmes pour Hitler, qui considérait que la force prime sur le droit et que les puissants méritent d'hériter de la terre. Il n'avait que mépris pour la philosophie végétarienne non violente et se moquait de Gandhi. Intimement convaincu que la nature était gouvernée par la loi de la jungle, il voulait que les jeunes Allemands soient brutaux, autoritaires, sans peur et cruels («La jeunesse qui va grandir dans ma forteresse effraiera le monde»). Ils ne devaient être ni faibles ni gentils. «La lumière de la merveilleuse bête de proie libre doit à nouveau éclairer leurs yeux. Je veux que ma jeunesse soit forte et belle [8].» Hitler a un jour résumé sa vision du monde en une courte phrase : «Qui ne possède pas la force perd le droit de vivre.»

La prétendue affection de Hitler et d'autres grosses huiles nazies pour les animaux, en particulier leurs chiens, a été replacée dans sa bonne perspective par Max Horkheimer et Theodor Adorno. Pour certaines personnalités autoritaires, écrivent-ils, «l'amour des animaux» fait partie de la manière dont ils intimident les autres. Quand les magnats de l'industrie et les dirigeants fascistes veulent un animal de compagnie, leur choix se porte sur des animaux intimidants comme les dogues allemands et les bébés lions, qui doivent ajouter à leur puissance par la terreur qu'ils inspirent. «Le colosse fasciste meurtrier se dresse de manière si aveugle devant la nature qu'il ne considère les animaux que comme un moyen d'humilier les hommes. L'intérêt passionné des fascistes pour les animaux, la nature et les enfants s'enracine dans le besoin de persécuter.» En présence du pouvoir, aucune créature n'est un être de plein droit. «Une créature n'est qu'un matériau pour assouvir les buts sanglants du maître.»

Notes :

[1] Ici, Hitler se faisait l'écho des opinions de son idole, Richard Wagner, qui a écrit que les "races inférieures" peuvent retracer leurs origines "depuis les singes", alors que les aryens retracent les leurs "depuis les dieux".

[2] En 1926, Hitler frappa son chien férocement en présence de Mimi Reiter, seize ans, qui avait attiré son attention et qu'il voulait apparemment impressionner. "Il fouetta son chien comme un fou [Irrsinniger] de sa cravache en le tenant par sa laisse courte. Il s'excita à l'extrême [...]. Je n'aurais jamais cru que cet homme pouvait frapper un animal avec tant de cruauté - un animal dont il avait dit un instant auparavant qu'il ne pourrait vivre sans lui. Et voilà qu'il fouettait son compagnon le plus fidèle !" Devant une autre jeune fille, à une autre occasion, quand son chien ne lui obéit pas, "il fit une démonstration de son idée de la virilité, de la maîtrise et du pouvoir en fouettant brutalement l'animal".

[3] Le 29 avril 1945, la veille du jour où il se suicida, Hitler empoisonna Blondi pour s'assurer que les capsules de cyanure que Himmler lui avait données étaient efficaces.

[4] Un jour, selon un intime, pendant la campagne électorale de 1932, Hitler, désolé de ne manger qu'une soupe de légumes, "demanda d'un air plaintif si on pouvait l'assurer que ce régime végétarien pourrait guérir ses crampes d'estomac, sa sudation excessive et sa mélancolie".

[5] Vers la fin de la guerre, le médecin personnel de Hitler, le docteur Theodor Morell, le mit à un régime strict, qui comportait une petite quantité de lard et de beurre, du blanc d'oeuf, du babeurre et de la crème.

[6] Ralph Meyer écrit que ce portrait de Hitler en paisible végétarien brossé par Goebbels trompa même les hommes d'Etat et les biographes. "Ce canular est répété ad nauseum aux végétariens et avocats des droits des animaux. Combien de gens ont été découragés de même envisager le problème tant ils abhorrent tout ce qui peut être associé à Hitler ?"

[7] Dans ses mémoires, Albert Speer écrivit que, dès que Hitler découvrit le goût du caviar, il en mangea "d'un bel appétit [...] à pleines cuillères", jusqu'à ce qu'il apprenne par Kannenberg combien c'était cher. Bien que la dépense ait été insignifiante comparée au train de vie de la chancellerie, Hitler rejeta le caviar, une extravagance car "l'idée d'un Führer mangeant du caviar lui était insupportable".

[8] Pour éliminer tout ce qui pouvait en eux être faible ou gentil, certains membres des SS devaient élever un berger allemand pendant douze semaines, puis étrangler le chiot devant un officier.

Le même extrait, en images
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