28 janvier 2011

Des animaux presque humains, Collectif

Des animaux presque humains
Histoires vraies

Collectif


Ce recueil d'histoires vraies, où se mêlent la tendresse, l'humour et l'émotion, nous démontre combien les rapports entre l'homme et l'animal peuvent être variés et enrichissants.

Un beau livre destiné aux petits comme aux grands, pour nous permettre de mieux observer, comprendre et respecter le monde vivant qui nous entoure.

Des animaux presque humains, Collectif, Editions Sélection du Reader's Digest, 1983, 416 pages, livre illustré, grand format

Au sommaire

Adieu, Voyageur ! - Gerald Movius
Un chien nommé Jus de Pomme - Corey Ford
Une dernière fois, amigo - William J. Buchanan
Kola, l'ours du Caucase - George et Helen Papashvily
Groin-Groin l'original - F.G. Turnbull
La petite guenon et ses ours en peluche - Gerald Durrell
Les poulpes et leurs astuces - Ronald Rood
Spike, chien de traîneau - Jack O'Brien
Un poisson-chat qui marche - June Mellies Reno
Paddy, mon bébé castor - R.D. Lawrence
Des grands ducs dans la maison - Farley Mowat
Petit taureau deviendra grand - James Herriot
Le chien qui venait du froid - William Iversen
Mon maître le chat - Paul Gallico
Sandy, la grue cendrée - Dayton O. Hyde
Les visiteurs de l'hiver - Louise de Kiriline
L'été du petit veau - Dorothy Rood Stewart
Pauvre petit Irving - Herbert Tanzer et Nick Lyons
Madame Sans-Gêne - Miriam Pope Cimino
Un rescapé de la marée noire - Marie Philip
Mes amies fantasques - Elma M. Williams
Un chat bon éducateur - Monte Bourjaily Jr.
Un cheval en congé payé - Frederic Sondern Jr.
Connaissez-vous les ratons laveurs ? - Sterling North
Une invasion de rats - C. Brooke Worth
Désillusions d'un hocco - Gerald Durrell
Tchit ou les malheurs d'un kangourou - Dorothy Cottrel
Un chien qui rapporte - Estelle Mendelsohn
Bonne chance, Canard - Virginia Bennett Moore
Un ours dans la baignoire - Irving Petite
Un loup chez les hommes - Richard Tomkies
Un bébé phoque très sociable - Harry Goodridge et Lew Dietz
Opération rhinocéros - John Gordon Davis
Sad Sam, l'irréductible - Fred Gipson
La chienne qui soignait les enfants - Elizabeth Yates
L'appel du koala - Ambrose Pratt
Une étonnante expérience de télépathie - Esse Campbell
Nos voisins, quels ours ! - Eileen Lambert
Robert la caille - Margaret A. Stanger
Qui s'y frotte s'y pique - Ronald Rood
Un cerf altier - A. Kulik
J'aime les éléphants - Frank Whitbeck
La laie du docteur Schweitzer - Albert Schweitzer
Les espiègleries d'Edal, la loutre - Gavin Maxwell
Monsieur le Maire - Willie Morris
M. Tweedy, merle tutélaire - Anne Marie Schilling
L'escapade d'une mouffette - Constance Taber Colby
Le testament d'un chien de qualité - Eugene O'Neill
Un lion dans la vitrine - Anthony Bourke et John Rendall
Les 400 coups du hibou - William Service
Les chèvres des neiges - Barbara Curtis Horton
Le chien de Mme Donovan - James Herriot
Etincelle, cheval sibérien - Nicholas Kalashnikoff
Les aventures d'une mangouste - Cherry Kearton
Il gazouillait sous les bombes - Clare Kipps
Un commando de singes - Henry Trefflich, Baynard Kendrick
Les épreuves d'un zoologiste - Konrad Z. Lorenz
Ce n'était qu'un chien perdu - Jerome Brondfield
Une perruche déconcertante - Marguerite Courtney
Comment élever une marmotte - Faith McNulty
Un dauphin facétieux - Horace E. Dobbs
Lulu, l'antilope - Isak Dinesen
L'incroyable voyage - Sheila Burnford
Un cri de joie - Loren Eisley
Le chat mystérieux - Ronald Rood
Histoire d'une petite souris - Faith McNulty
La vie tribale des hyènes - Hugo et Jane van Lawick-Goodall
Le cheval de trait devenu champion de saut - Guido Artom et Robert Littell
Bastet, l'Egyptienne - Arthur Weigall
Des gorilles plein les bras - David Taylor
Le temps presse, l'eau monte ! - John Walsh, Robert Gannon
Il y a des chiens fugueurs - James Thurber
La danse nuptiale du manakin - M.D. England
La vie de chien d'un pékinois - James Herriot
Un oiseau-lyre, charmeur et facétieux - Ambrose Pratt
Un fameux petit lapin - R.M. Lockley
Portrait d'un gros chat - Maurice Wiggin
Lora, mon amie phoque - Rowena Farre
Le pêcheur de requins - Lester C. Gunther Jr.
Walter et les oies - H. Gordon Green
Les caprices d'un âne - Frank P. Jay
Un triste et merveilleux Noël - Lincoln Steffens
Sources

Quelques extraits

Les épreuves d'un zoologiste
Pour bien connaître les animaux, il faut les laisser libres.

Le grand zoologiste K. Lorenz raconte ses mésaventures et ses joies.

Par Konrad Z. Lorenz

P279-P282



Pourquoi parler d'abord des inconvénients de la cohabitation avec les animaux ? Parce que c'est dans la mesure où l'on est disposé à subir ces inconvénients qu'on les aime véritablement. Je dois une reconnaissance infinie à mes parents, qui se contentaient de hocher la tête ou de pousser un soupir résigné lorsque, lycéen ou étudiant, je ramenais à la maison un nouvel animal plus ou moins familier et sans doute plus dévastateur encore que les précédents.
Et ma femme ! Que n'a-t-elle pas enduré au cours de toutes ces années ! Qui d'autre que moi aurait pu oser demander à son épouse d'accepter de laisser courir dans la maison une rate apprivoisée, qui grignotait de jolis petits trous ronds dans les draps pour tapisser ses nids - qu'elle installait en outre dans les endroits les plus incongrus, mon chapeau melon, par exemple.
Qui d'autre eût toléré qu'un cacatoès arrachât tous les boutons du linge qu'on avait mis à sécher sur une corde dans le jardin, ou qu'une oie cendrée passât la nuit dans notre chambre, pour s'envoler au petit matin par la fenêtre ? (Il est impossible d'apprendre la propreté aux oies cendrées.) Et j'imagine la réaction de toute autre épouse en s'apercevant que les taches bleues dont les oiseaux chanteurs décorent les meubles et les rideaux après un festin de myrtilles résistent à tous les nettoyages ! Que dirait une maîtresse de maison, si... Je pourrais continuer ainsi pendant une bonne vingtaine de pages.
Tout cela est-il bien nécessaire ? Eh bien, oui ! Absolument. Certes, on peut mettre des animaux en cage et les laisser dans un salon, mais il est impossible de connaître le haut degré d'activité mentale que peuvent avoir les animaux sans les laisser libres de leurs mouvements.
Si vous saviez comme un singe ou un perroquet en cage est triste et borné, et à quel point il est vif, drôle et attachant quand il est en liberté ! De tels pensionnaires vous causeront sans doute des dégâts et des contrariétés, et il faut s'y préparer, mais c'est le prix à payer si l'on veut observer des sujets en pleine possession de leurs facultés. C'est pourquoi, en tant que spécialiste du comportement des animaux supérieurs, ma règle a toujours été de ne leur infliger aucune contrainte.
Chez moi, en Autriche, à Altenberg, la cage a toujours joué un rôle paradoxal : en effet, elle défendait la maison et le jardin d'agrément contre les intrusions des animaux. Il leur était aussi strictement interdit de franchir les grillages qui protégeaient nos plates-bandes de fleurs ; mais les choses interdites exercent une attraction irrésistible sur les animaux supérieurs, comme sur les jeunes enfants. De plus, l'oie cendrée, d'un naturel affectueux, recherche assidûment la compagnie des humains. Il arrivait constamment qu'à notre insu vingt ou trente oies paissent dans nos parterres ou, pire encore, qu'elles envahissent notre véranda vitrée, en trompetant de joie.
Il est extrêmement difficile de chasser un oiseau qui peut voler et qui n'a aucune crainte de l'homme. Les cris les plus perçants, les moulinets de bras les plus farouches ne font aucun effet. Notre épouvantail le plus efficace était un grand parasol de jardin rouge vif. Tel un chevalier, la lance en arrêt, ma femme s'approchait, le parasol roulé sous le bras, et fonçait sur les oies qui, une fois de plus, se régalaient de ses jeunes plants. Poussant un féroce cri de guerre, elle déployait brusquement le parasol. C'en était trop, même pour nos oies, qui s'envolaient dans un tonnerre de claquements d'ailes.
Malheureusement, l'attitude de mon père annulait en grande partie les efforts d'éducation de mon épouse. Il avait un faible pour les oies et il admirait en particulier le courage chevaleresque des jars. Aussi, rien ne pouvait le détourner d'inviter chaque jour les oies à venir prendre le thé avec lui, dans son bureau contigu à la véranda vitrée.
Un jour, en sortant dans le jardin, je fus étonné de n'y trouver presque aucune oie cendrée. Craignant le pire, je courus au bureau de mon père, et que vis-je ? Sur le magnifique tapis persan, deux douzaines d'oies se pressaient autour du vieux monsieur, qui buvait son thé et lisait tranquillement le journal, sans cesser d'offrir aux oies de petits morceaux de pain.
Les palmipèdes se sentaient un peu intimidés dans ce cadre insolite, ce qui avait un effet déplorable sur leurs fonctions intestinales. Les années ont passé depuis, et les taches vert foncé du tapis ont viré au jaune pâle.
Les animaux vivaient donc en totale liberté chez nous, tout en restant très familiers. Ils s'efforçaient constamment non de nous fuir, mais de nous approcher.
Dans les autres maisons, en cas d'alerte, on entend : "Fermez les fenêtres, vite, l'oiseau vient de s'échapper de sa cage !". Chez nous, on criait : "Pour l'amour du ciel, fermez les fenêtres, le cacatoès (ou le corbeau, ou le singe, etc.) essaie d'entrer !"
L'application la plus paradoxale du système de la "cage inversée", ce fut ma femme qui l'inventa, dans la toute première enfance de notre fils aîné. A l'époque, nous possédions plusieurs animaux, assez grands et potentiellement dangereux : quelques corbeaux, deux grands cacatoès à huppe jaune, deux makis et deux singes capucins - qu'il eût été imprudent de laisser seuls avec un bébé. C'est pourquoi ma femme improvisa une vaste cage dans le jardin et y enferma... la voiture d'enfant.
Chez les animaux supérieurs, la propension à détruire et la capacité d'y parvenir sont malheureusement directement proportionnelles à leur degré d'intelligence. C'est pour cette raison qu'il est impossible de laisser constamment certains animaux, en particulier les singes, livrés à eux-mêmes sans surveillance, ce qu'il est possible de faire avec les lémuriens. En effet, ceux-ci sont moins à redouter, car les meubles et les objets d'une maison n'éveillent guère leur intérêt. Les simiens, en revanche, sont d'une curiosité insatiable en présence de tout ce qui leur est inconnu et ils pratiquent sans merci la méthode expérimentale. Cette attitude, fort intéressante pour le spécialiste du comportement animal, devient rapidement ruineuse pour le budget domestique. Je vais vous en donner un exemple.
Dans l'appartement de mes parents, à Vienne, étant étudiant, j'élevais un magnifique spécimen de singe capucin, une guenon nommée Gloria. Elle occupait dans mon bureau une cage spacieuse. Quand j'étais à la maison et en mesure de la surveiller, je la laissais aller et venir à son gré dans la pièce. Mais, quand je m'absentais, je l'enfermais dans sa cage ; elle s'y ennuyait à mourir et cherchait par tous les moyens à en sortir le plus vite possible. Un soir, en rentrant après une absence prolongée, j'ouvris la porte et tournai le commutateur. La pièce resta plongée dans l'obscurité, mais le ricanement de Gloria, provenant non de sa cage, mais de la tringle à rideaux, ne me laissa pas de doute quant à l'origine de la panne de lumière.
Quand je revins avec une bougie allumée, un spectacle désolant s'offrit à mes yeux : Gloria s'était emparée de ma lourde lampe de chevet en bronze, l'avait traînée à travers la pièce (malheureusement, sans débrancher la prise murale), puis hissée jusqu'au plus haut de mes aquariums et, s'en servant comme d'une masse, elle en avait assené un coup sur le couvercle de verre, de sorte que la lampe avait sombré dans l'eau. De là, le court-circuit.
Ensuite, ou peut-être auparavant, Gloria avait ouvert ma bibliothèque fermée à clef, véritable tour d'adresse, étant donné la petitesse de la clef ; elle en avait extrait les tomes II et IV du manuel de médecine de Strumpel, qu'elle avait transportés jusqu'à l'aquarium.
Là, elle les avait méthodiquement déchirés en lambeaux, lesquels se trouvaient entassés dans l'aquarium. Sur le plancher gisaient, vides, les deux couvertures des volumes, et, dans le bac, des anémones de mer très éprouvées étouffaient, les tentacules pleins de papiers.
Quelles sont donc les valeurs positives qui compensent ces désagréments, ces incessantes pertes de temps et d'argent ? J'ai déjà parlé de la nécessité qui s'impose, pour l'intérêt de certaines observations, de ne pas garder un animal prisonnier. En outre, le fait qu'un animal, libre de s'échapper, préfère rester près de moi me procure un plaisir indéfinissable, surtout si ce choix semble résulter d'un attachement à ma personne.
Un jour que je me promenais sur la rive du Danube, j'entendis le croassement sonore d'un corbeau. Je lui répondis en lançant le même cri. Alors, du plus haut du ciel, le grand oiseau, repliant ses ailes, piqua sur moi à toute vitesse, puis, les déployant dans un puissant souffle d'air pour amortir sa chute, se posa sur mon épaule avec une impondérable aisance. Je me sentis largement dédommagé de tous les livres déchirés, de tous les nids de canards pillés que ce corbeau, élevé par mes soins, avait sur la conscience. Pour moi, le renouvellement de ce miracle n'en émousse pas le bonheur. L'émerveillement demeure, bien que cela se produise quotidiennement et que l'oiseau d'Odin me paraisse un animal aussi naturellement familier qu'un chien ou un chat.
Des relations d'amitié sincère entre les animaux sauvages et moi me semblent si normales qu'il faut parfois des circonstances spéciales pour que je prenne conscience de leur caractère exceptionnel. Par une brumeuse matinée de printemps, je descendais vers le Danube. Le fleuve était encore réduit à sa largeur hivernale, et des oiseaux migrateurs - morillons, harles, piettes et, de temps en temps, une bande d'oies rieuses - venaient en vol frôler les eaux sombres. Parmi ces migrateurs, et ne s'en distinguant en rien, une escadrille d'oies cendrées passait dans le ciel.
Je remarquai que l'oie volant à la deuxième place, à gauche, de la formation triangulaire avait perdu une rémige primaire. A ce moment, mon esprit fut traversé par des souvenirs très précis de cette oie à la rémige primaire manquante et de tout ce qui était arrivé le jour où elle l'avait cassée. Car, bien entendu, ces oies étaient mes oies cendrées : il n'y en a pas d'autres sur le Danube, même pendant la période de migration.
Le deuxième oiseau sur la gauche du triangle était le jars Martin. Il venait de se fiancer à ma préférée, Martina, et c'est d'elle qu'il tenait son nom. (Auparavant, il n'était qu'un numéro, car seules les oies que j'élevais moi-même recevaient des noms ; celles qui étaient élevées par leurs parents était numérotées.) Chez les oies cendrées, le jeune mâle suit littéralement sa femelle à la trace. Mais Martina se promenait, libre et effrontée, à travers toutes les pièces de la maison, sans demander l'avis de son galant, qui, lui, avait grandi dans le jardin et devait, par conséquent, s'aventurer en territoire inconnu.
Si l'on considère que l'oie cendrée est, par nature, un oiseau des vastes espaces libres, qui doit surmonter de puissantes réticences instinctives pour se hasarder même entre les buissons ou sous les arbres, Martin, il faut le reconnaître, eut l'étoffe d'un héros lorsque, le cou tendu, à la suite de sa belle, il franchit la porte d'entrée, traversa le vestibule, gravit l'escalier et pénétra dans notre chambre.
Je le revois encore arrivant dans la pièce, le plumage tout aplati de terreur, tremblant d'appréhension, mais droit et fier, lançant à cet univers insolite de puissants sifflements de défi. Puis, tout à coup, derrière lui la porte se referma en claquant. Rester imperturbable en de telles circonstances était trop demander, même d'un héros de l'espèce Anser cinereus. Il déploya ses ailes et monta comme une fusée vers le lustre. Ce dernier perdit quelques pendeloques dans l'aventure, mais Martin perdit, lui, une rémige primaire.
C'est ainsi que je connais toute l'histoire de la plume qui manque à l'aile de l'oiseau volant en deuxième position sur le côté gauche du triangle. Mais je sais aussi quelque chose de profondément réconfortant : quand je reviendrai de promenade, ces oies cendrées, qui volent maintenant en compagnie de migrateurs sauvages, se seront posées sur les marches du perron de la véranda, et elles viendront à ma rencontre, le cou tendu en avant, dans cette attitude qui a, chez les oies, la même signification que le frétillement de la queue chez les chiens.
Et, tandis que je suis du regard les oies, qui rasent la surface de l'eau et vont disparaître derrière la courbe du fleuve, je me sens brusquement en proie à cet étonnement émerveillé qui est la source et l'origine de toute philosophie. Et, soudain, je me mets à interroger ce qui m'est le plus familier.
Tandis que je surveille les oies, je me prends à penser que c'est presque un miracle pour un homme de science, à l'esprit rationnel et positif, d'avoir pu établir des liens de véritable amitié avec des animaux libres et sauvages. Cette constatation m'emplit d'un étrange bonheur. J'éprouve soudain le sentiment que l'expulsion de l'homme du paradis terrestre n'est plus tout à fait aussi irrévocable.

Un cri de joie
Le souvenir obsédant d'un oiseau capturé,

puis relâché dans l'immensité lumineuse.

Par Loren Eisley

P334-P335



Nous arrivâmes dans cette vallée à travers les nappes de brume d'une nuit de printemps. Le lieu semblait inexploré, mais nous avions envoyé des éclaireurs et nous savions qu'il y avait une cabane abandonnée là-haut, à flanc de coteau.
J'atteignais la cabane le premier. Au-dessous de moi, je pouvais voir notre caravane, marquée par le miroitement des phares des camions sur le métal des coffres dans lesquels reposaient nos trouvailles. La colonne serpentait, s'enfonçait dans la brume, puis en émergeait un moment plus tard.
Debout sur un rocher, contemplant ce spectacle, je restai un moment songeur en pensant à tout l'argent et à tout le matériel qu'il fallait pour remonter dans le temps et retrouver le passé.
On nous avait demandé, en outre, de mettre la main sur des témoignages du présent. Nous devions rapporter des animaux vivants : oiseaux, reptiles, ou autres. Un zoo avait besoin d'être repeuplé, j'allais aider à capturer des oiseaux, aussi me fallait-il parvenir à la cabane avant les camions.
La cabane était inoccupée depuis des années. Son toit était défoncé, et des oiseaux nichaient sûrement dans la charpente. Une cabane qui tombe en ruine dans un endroit sauvage attire toujours les oiseaux. Ils découvrent un trou, entrent, et tout à coup l'endroit leur appartient. Les hommes n'existent plus.
J'ouvris doucement la porte, une lampe de poche à la main pour les éblouir et les empêcher de voir les ouvertures du toit. Je m'étais muni d'une petite échelle que je comptais appuyer contre le mur du fond près d'une étagère où je pensais faire les plus belles prises. En entrant, j'avais entendu un bruissement, mais il n'y avait pas eu d'envol.
Je traversai la pièce à pas feutrés et grimpai à l'échelle jusqu'à ce que mes coudes soient au niveau de l'étagère. Tout était plongé dans l'obscurité ; seule une faible clarté venant des étoiles filtrait par un petit trou situé au-dessus de moi dans le toit. Je tendis le bras avec précaution, prêt à saisir tout ce que je trouverais, puis je plaçai ma lampe sur le bord de l'étagère. De cette manière, j'allais pouvoir me servir de mes deux mains.
J'allumai prestement ma lampe, ce qui provoqua aussitôt un tumulte de battements d'ailes, mais c'est moi qui me fis prendre. J'entendis l'oiseau pousser un petit cri métallique lorsque la lumière éclaira la cabane et que ma main s'abattit sur sa compagne, à côté de lui. Le mâle me planta alors rageusement le bec dans le pouce, tandis que ses serres me lacéraient la main. En me débattant, je renversai la lampe ; et la femelle, recouvrant soudain l'usage de la vue, fila tout droit vers l'ouverture du toit. Le tout avait duré quinze secondes.
L'oiseau ne lâchait pas prise, mais je finis par l'attraper. C'était un épervier dans sa prime jeunesse. Il avait sauvé sa compagne en créant une diversion et ne protestait plus maintenant. Résigné, il me fixait d'un regard farouche et presque indifférent. Il était sans pitié et ne s'attendait pas à ce qu'on lui fit grâce. J'eus alors l'étrange sentiment que nous nous comprenions, et je me sentis soudain mal à l'aise.
Je mis l'oiseau dans une boîte un peu exiguë pour qu'il ne se blesse pas en se débattant, et je sortis à la rencontre des camions qui arrivaient. Le lendemain, cet oiseau commencerait une vie nouvelle. On allait l'emmener dans une grande ville et il passerait dans une cage le reste de son existence. Ce sera d'ailleurs une bonne chose, pensai-je en contemplant mon pouce ensanglanté.
Le lendemain matin, la brume s'était dissipée. Le ciel était d'un bleu intense et la vue s'étendait sur des kilomètres au-dessus des grands affleurements de pierre. Je m'étais levé de bonne heure et, avec la boîte contenant mon petit épervier, je m'étais installé dans le pré, devant la cabane, pour construire une cage. Une brise fraîche comme la rosée du matin caressait l'herbe et jouait dans mes cheveux. C'était un de ces jours où il fait bon vivre. Je regardai le ciel autour de moi et mon regard s'arrêta sur l'ouverture du toit par laquelle la femelle s'était échappée. Elle doit être bien loin maintenant, pensai-je. Mais avant de reprendre le travail j'eus envie de voir de plus près ma capture de la veille.
Je pris l'oiseau, les ailes bien repliées, en faisant attention de ne pas l'effaroucher. Il était tout palpitant dans ma main et je sentais son cœur battre très fort sous son plumage. Il ne se souciait pas de moi. Tourné vers les hauteurs, son regard allait bien au-delà : c'était un dernier regard sur un point du ciel si lumineux que mes yeux, éblouis, ne pouvaient le voir.
Le geste que je fis alors n'était peut-être pas purement impulsif mais, sans être vraiment conscient de ce qui me poussait à agir ainsi, j'étendis soudain le bras, ouvris la main et déposai le petit épervier sur l'herbe.
Il resta ainsi une longue minute, immobile et sans le moindre espoir, les yeux toujours fixés sur la voûte azurée.
Il devait se sentir déjà si loin de tout cela qu'il ne s'était pas rendu compte que je l'avais relâché. Il était là, simplement, le ventre dans l'herbe.
L'instant d'après, il était parti. Comme un éclair, il disparut sous mes yeux. Il s'était envolé tout droit dans l'immensité si lumineuse que mes yeux pouvaient à peine en supporter l'intensité. Pendant un moment il y eut un silence. Puis un cri venu de très haut se fit entendre.
J'étais jeune alors et n'avais pas encore vu grand-chose, mais ce cri me bouleversa. Ce n'était pas celui de l'épervier que j'avais capturé. Changeant ma position par rapport au soleil, je pouvais maintenant voir plus loin. De là-haut, où elle devait tournoyer sans relâche depuis des heures, la femelle s'était élancée vers son petit compagnon retrouvé. Et, retentissant de sommet en sommet, son cri exprimait une joie si indicible et si délirante que je l'entends encore résonner à mes oreilles après tant d'années.
Je les voyais tous deux maintenant. Le mâle s'élevait rapidement dans les airs et les deux oiseaux se rencontrèrent dans une grande spirale ascendante qui devint bientôt comme un tourbillon, puis un véritable ballet d'ailes. Une fois encore, mais une seule, leurs voix se joignirent en un étrange duo de questions et de réponses qui se répercutèrent sur les hauteurs dominant la vallée. Puis ils disparurent à jamais, dans ces régions élevées où les yeux des humains ne peuvent les suivre.

26 janvier 2011

La nuit des baleines, de Diane Ackerman

La nuit des baleines
et autres aventures
parmi les chauves-souris,
les crocodiles, les manchots
et... les baleines

de Diane Ackerman

Sait-on que les chauves-souris sont des créatures très généreuses, merveilleux parents, et, d'un point de vue écologique, d'une importance capitale ? Sait-on, encore, que les crocodiles et les alligators sont cent fois plus anciens que l'homme, seuls survivants de l'époque des dinosaures ? Ou bien que les baleines utilisent la rime pour mémoriser leurs chants ? Que les manchots offrent des cadeaux à leur fiancée ?

Diane Ackerman, avec le sérieux scientifique et le style incisif qui l'ont imposée auprès des lecteurs, nous convie cette fois-ci à une magnifique célébration d'un monde animal inattendu. Qu'elle soit à califourchon sur le dos d'un alligator dans les marais de Floride, qu'elle nage avec les baleines dans les eaux glacées de Patagonie ou qu'elle reste impavide sous une averse de pipi de chauve-souris, elle fait un sort à bien des idées reçues à propos des animaux.

La nuit des baleines et autres aventures... est enfin une ode à l'homme et à l'harmonie qui peut régner entre les deux espèces.

La nuit des baleines, Diane Ackerman, Traduction : Alexandre Kalda, Editions Grasset, 1993, 304 pages

A propos de l'auteur

Diane Ackerman collabore au prestigieux "New Yorker". Poète et essayiste, elle est l'auteur du "Livre des sens" (Grasset, 1991).

Au sommaire

- Introduction
- Eloge des chauves-souris
- Les paupières de l'aube
- La lune et les baleines
- Lanternes blanches

Pour en savoir plus

- Le site des Editions Grasset
- Le naufrage de Noé, de Diane Ackerman

Quelques extraits choisis

Un passage du chapitre "Eloge des chauves-souris"

p23 [Dans une grotte] ./. Les chercheurs qui s'y aventurèrent portaient des masques à oxygène et des vêtements très ajustés. Non seulement ils risquaient de recevoir l'averse des crottes de chauves-souris suspendues au-dessus de leurs têtes (en certains endroits, 1800 adultes au mètre carré et, dans la crèche où se trouvent les petits, tout glabres et roses, une foule affamée et criaillante de quelque 5000 bébés au mètre carré), mais il y avait aussi les épaisses couches de guano poudreux, les larves rampantes des insectes, la chaleur infernale et les vapeurs intenses d'ammoniac. Une aubaine pour les chauves-souris que cet incubateur douillet. Pour elles, l'enfer serait d'essayer de vivre comme nous, dans des boîtes réfrigérées où nous n'avons ni air frais ni soleil et que nous encombrons d'obstacles et envahissons d'odeurs aussi irritantes que la menthe, le citron et l'eau de Javel. Et peut-être, tout comme moi, trouveraient-elles bizarre que nous nous nourrissions d'animaux démembrés qui n'ont plus rien d'animaux, bien que, paradoxalement, nous tenions à les faire cuire à la température de la proie vivante. ./.

Des passages du chapitre "La lune et les baleines"

p189 [Roger] "./. Nous nous apercevrons vite que ce ne sont pas seulement les mammifères qui ont des droits - les oiseaux en ont aussi, et les amphibies, les lézards, les insectes et aussi les plantes et le plancton et tout le reste, jusqu'à ce que la paix règne entre nous et les autres formes de vie sur terre. Et nous reconnaîtrons que nous ne sommes qu'une espèce parmi tant d'autres. C'est merveilleux d'y penser..."

p200 ./. De la hutte sur la falaise, je vis dans l'eau la même baleine et le même baleineau que j'avais vus plus tôt. Elle avait une grande blessure caractéristique au flanc. Et les callosités formaient comme des parenthèses sur sa tête. Un autre observateur ayant trouvé qu'elles ressemblaient à des crocs, on l'appelait Fang (Croc). Son nouveau baleineau était blotti contre elle. Ils avaient passé la matinée près du camp. Le soleil dessinait une voie scintillante sur la mer. A chaque fois que les baleines faisaient surface, des gouttes d'eau étincelaient autour d'elles.
Fang et son baleineau étaient juste au-dessous de moi. Mais la baie tout entière était une valse de mères et de petits. Les baleines franches ne sont grosses que pendant un an à peu près, ce qui semble bien court. Après tout, chez les éléphants, la femelle porte son petit pendant 22 mois, et les baleines sont plus grosses que les éléphants. Quand naît un éléphanteau, il doit se lever tout chancelant et se tenir sur ses pattes, alors qu'un baleineau peut passer directement du liquide amniotique du ventre de sa mère à la matrice de l'océan. Il n'a pas à se soutenir. Mammifères à sang chaud, les baleines, qui respirent comme nous, pourraient, en principe, vivre sur la terre ferme. Mais en ce cas, leur poids écraserait leurs organes. Il leur faut l'eau pour soutenir leur masse; c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles les baleines échouées sur les rivages se portent si mal. Un baleineau n'ayant pas à se tenir debout, ses os sont si flexibles que l'on pourrait prendre une de ses côtes et la courber dans les deux sens comme du caoutchouc dur. Les bébés n'ont pratiquement pas de poids. On dirait qu'ils volent. Autre détail merveilleux à propos des mères et de leurs petits : une mère est elle-même faite d'eau à 97%. Quand elle parle, le son traverse directement l'eau, son corps et sa matrice, et son petit l'entend. Mais comme la matrice ne contient pas d'air, le bébé ne peut pas répondre. Le bébé doit attendre dans la matrice pendant un an, écouter patiemment, jusqu'au moment où il naît et peut enfin répondre.
Un nouveau-né ne quitte pas sa mère, il nage souvent de concert avec elle. Il arrive que la mère nage de façon à toucher le baleineau à chaque fois que sa queue entre en contact avec l'eau. Parfois, le bébé chahute un peu et se cogne dans sa mère, ou bien même lui grimpe sur le dos. Pour finir, elle perd patience et pour le punir, roule rapidement sur le dos alors qu'il s'apprête à lui rentrer dedans pour la énième fois. Puis, elle l'attrape par la queue et le maintient sous l'eau. Il postillonne, il ahane, il éternue, il tousse. Au bout d'un petit moment, elle le libère. Après quoi, tous deux nagent à nouveau de concert, et le baleineau ne s'aventure pas à recommencer ses galipettes. Les baleineaux affamés donnent des coups de tête dans leurs mères, leur grimpent dessus, font du toboggan sur leur dos pour les forcer à rouler sur elles-mêmes et à les allaiter. Il arrive qu'une mère apaise un baleineau trop remuant en se glissant sous lui ; elle se retourne pour le faire sortir de l'eau et le garder en équilibre sur sa poitrine en le tenant contre ses nageoires. De temps à autre, avec une nageoire de la taille d'un mur, elle caresse doucement son petit. ./.

p204 ./. Il approcha sa gueule du bateau, qu'il bouscula un peu. Passant la main par-dessus le plat-bord, je lui touchai délicatement la tête avec un doigt. Tout son corps tressaillit. Comment peut-il être sensible au point de percevoir le contact le plus léger d'un être humain ? me demandai-je. Et sa peau était étonnamment douce, pareille à de la peau de chamois. ./.

p214 ./. A l'extrémité sud de la baie, une baleine éleva la queue et la maintint en l'air en se laissant dériver sous le vent pendant cinq minutes. Puis, elle revint à son point de départ, en fit le tour, remit sa queue en l'air et se laissa de nouveau dériver sous le vent. De joie, Roger se donna une grande claque sur le genou. La baleine "faisait de la voile". Elle se servait de sa longue queue comme d'une toile et prenait le vent qui, assez fort, lui faisait traverser la baie. Ainsi les baleines franches voguent-elles parfois pendant une heure et demie sans s'arrêter; il semble que ce soit l'un de leurs sports préférés. On pourrait croire qu'il y a beaucoup d'animaux qui font la même chose, parce que ça économise les forces et que ça doit être amusant. Mais non. Les seuls autres animaux qui le fassent sont trois espèces de méduses. ./.

p222 ./. Une baleine qui dort culbute lentement sur le côté et peut même poser la tête sur le fond. Ou bien elle reste calmement étendue, comme un cadavre. Quand elle remonte à la surface pour respirer au coeur de son sommeil, elle s'élève avec la lenteur d'un rêve, fend l'eau, respire à plusieurs reprises et, sans même plonger, se laisse couler vers le fond. En Argentine, par temps calme, il arrive que les baleines franches dorment dans la matinée. Certaines semblent avoir la tête lourde et la queue légère. Résultat, elles piquent du nez, et leur queue sort de l'eau. Il est en revanche assez rare de voir dormir les baleines à bosse : elles flottent moins bien et coulent d'habitude très vite. Mais on n'a aucun mal à étudier le comportement des baleines franches : ce sont des baleines de surface. Elles sont si grasses qu'elles flottent dès qu'elles se détendent. Et elles passent beaucoup de temps le dos à l'air. Quand elles dorment à la surface, leur rythme respiratoire tombe de façon incroyable, leurs évents ne se referment pas entre deux respirations, ce qui fait qu'il leur arrive de ronfler. Au vrai, elles font en dormant des bruits merveilleux et grossiers de fin de repas. A leur réveil, elles s'étirent, ouvrent la bouche et bâillent. Quelquefois, elles élèvent la queue et la secouent. Puis, elles vaquent à leurs occupations. Elles dorment souvent si longtemps à la surface, quand il fait beau, qu'elles attrapent des coups de soleil dans le dos : et elles pèlent tout comme les humains, mais sur une échelle beaucoup plus vaste. La peau qui se détache de leur dos tombe dans la mer, où elle devient nourriture pour les oiseaux. Lorsqu'elles fendent l'eau, elles rejettent ainsi une grande quantité de peau. Ce que voyant, les mouettes arrivent à tire-d'aile. La queue perd peu de peau. Les mouettes le savent. Et quand une baleine se contente de frapper l'eau avec la queue, elles ne pipent pas.
Une mouette s'abattit, arracha un bout de peau dans le dos de Fang, et de douleur Fang secoua tout ensemble la tête et la queue, s'arc-bouta, puis plongea. La mouette vola vers deux autres baleines, non loin de là, les attaqua et repartit. Les mouettes de la baie avaient pris une étrange habitude. Au lieu d'attendre que les baleines perdent leur peau, elles se posaient sur leur échine et découpaient la peau et le blanc. ./. C'est ainsi que des baleines comme Fang étaient grêlées de cratères dus aux mouettes. Lorsqu'une mouette atterrissait sur le dos d'une baleine, celle-ci était prise de panique. Cette année, les baleines étant moins nombreuses dans la baie, Roger pensait que les mouettes de varech y étaient pour quelque chose. Les baleines devaient être dans d'autres baies, où les mouettes ne connaissaient pas encore le truc. ./.

Un passage du chapitre "Lanternes blanches"

p280 ./. Sur 100 manchots que nous voyons là, il n'y en a que 24 qui reviendront. Ils meurent souvent d'inanition. Les petits ne savent pas toujours s'y prendre pour pêcher. Ou bien leurs parents peuvent les laisser trop tôt. Ou les oeufs peuvent éclore trop tard dans la saison. Ou les petits ont des malformations. Ou ils sont trop malingres. Ou les sheatbills attaquent souvent les manchots quand ils nourrissent leurs petits. Mais ce n'est pas les petits qui les intéressent. C'est le krill que les parents ont rapporté. ./. Comme si cela ne suffisait pas encore, on a déjà trouvé des métabolites de DDT dans les tissus des manchots d'Adélie. L'ornithologue Roger Tory Peterson l'a fait remarquer : "Les manchots vont peut-être finir par nous servir de révélateur de la condition de la mer et d'indicateur de la santé de notre planète aqueuse."

24 janvier 2011

Fabuleux monstres marins, de Piero et Alberto Angela, et Alberto Luca Recchi

Fabuleux monstres marins
de Piero et Alberto Angela

et Alberto Luca Recchi

Des photos inédites pour découvrir
le fascinant peuple des mers.


Nudibranches à la chair toxique, céphalopodes changeant de couleur, squilles à la fulgurante vitesse de frappe, galathées capables de s'amputer d'un membre pour survivre... Cet ouvrage vous présente en 200 photographies spectaculaires et inédites une galerie extraordinaire de monstres marins. Repérés dans toutes les mers de la planète, ces animaux insolites aux formes de vie primitives étonnent, inquiètent, fascinent... Les auteurs, scientifiques de renom spécialistes des fonds marins, vous invitent à découvrir ce monde trop souvent inconnu et vous racontent, à travers ces habitants étranges des profondeurs abyssales, la stupéfiante histoire de la vie.

Fabuleux monstres marins, Piero et Alberto Angela, Alberto Luca Recchi, Editions Solar, 2002, 160 pages, 200 photos couleurs

L'avis du site JNE
Journalistes-écrivains pour la nature et l'écologie

Mâchoires d'acier, épines multicolores, aiguillons venimeux et tentacules hérissés de ventouses, cet ouvrage est d'abord un livre de photos très spectaculaires sur la faune sous-marine… Mais il donne aussi beaucoup d'explications scientifiques sur les stratégies de survie des différentes espèces.

21 janvier 2011

Pas si bêtes les poissons, de Jacques Bruslé et Jean-Pierre Quignard

Pas si bêtes les poissons
Scènes de leur vie intime

de Jacques Bruslé
et Jean-Pierre Quignard


Que l'on soit plongeur, aquariophile, pêcheur ou simple amoureux des choses de la nature, le monde des poissons est source intarissable d'émerveillement. Mais sommes-nous sûrs de bien le connaître ? Sait-on, par exemple, que le mâle du célèbre poisson-clown, dominé par sa compagne, ambitionne de la remplacer et de devenir à son tour une femelle ? Que la baudroie est une spécialiste de la pêche à la ligne ? Ou que certains poissons des grands fonds clignotent en rouge et en bleu pour trouver l'âme sœur ?

C'est une sélection des plus belles scènes de la vie intime des poissons que propose ce livre. Guidé par l'œil expert de deux naturalistes passionnés, le lecteur découvrira combien les stratégies et tactiques développées par les poissons pour accomplir les actes fondamentaux de leur vie quotidienne - communiquer, s'alimenter, se protéger et se reproduire - sont élaborées et ingénieuses. A l'heure où nombre d'espèces sont menacées par les activités humaines et le réchauffement climatique, puisse cette plongée dans les eaux des mers, rivières et lacs du monde entier inciter chacun à mieux respecter l'environnement si fragile des poissons.

Pas si bêtes les poissons, Jacques Bruslé, Jean-Pierre Quignard, Editions Belin, 2006, 237 pages

A propos des auteurs

Jacques Bruslé est professeur émérite à l'université de Perpignan. Il a dirigé à l'université de Paris, de 1973 à 1996 le laboratoire de biologie marine centré sur l’étude des poissons (ichtyologie) : alimentation, sexualité, reproduction ainsi que les maladies du foie dont certaines sont induites par les pesticides, les métaux lourds et les toxines d’algues. Jean-Pierre Quignard est professeur de biologie marine à l'université de Montpellier, spécialiste des poissons méditerranéens. Ils sont auteurs chez Belin de "Les poissons font-ils l'amour ?" et de "Alliances animales".

Pour en savoir plus

- Les poissons font-ils l'amour ? de Jacques Bruslé et Jean-Pierre Quignard
- Alliances animales, de Rémi Gantès et Jean-Pierre Quignard
- Poissons : Le carnage, de Joan Dunayer

L'avis du site JNE
Journalistes-écrivains pour la nature et l'écologie

Enfin un livre qui nous parle de la vie intime des poissons et de leur comportement, et non seulement de pêche ou d'aquariophilie. Et c'est absolument passionnant ! Unique en son genre, l'ouvrage aborde les grands registres de la vie de ces êtres aquatiques, la communication (entre autres par des chants), l'alimentation, les ruses de protection et la reproduction (et il s'en passe de belles !), en commençant par rappeler qu'aujourd'hui, le mot « poisson » ne signifie plus rien pour un biologiste systématicien, et que le brochet est génétiquement plus proche de nous qu'il ne l'est du requin. C'est donc une plongée dans un monde totalement inconnu, sous l'éclairage des dernières découvertes scientifiques, à laquelle nous invitent les auteurs.

20 janvier 2011

Bestiaire érotique, de Jean-Luc Hennig

Bestiaire érotique
de Jean-Luc Hennig

Saviez-vous que la libellule, lorsqu'elle s'accouple, fait le saut de l'ange ? Que le dauphin est parfois attiré par les animaux de son sexe ? Qu'un accouplement de crapauds peut durer jusqu'à cinquante-six jours ? Que la taupe mâle, malgré sa petite taille, possède les attributs les plus conséquents qui soient ? Que le dos du crocodile, reptile amphibien qui expédie l'acte d'amour en quelques secondes, offre aux femmes un siège fort excitant ? Décidément, le monde animal recèle d'insoupçonnables merveilles.

Ce sont les plus belles d'entre elles que Jean-Luc Hennig, infatigable curieux, auteur du "Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes", nous fait partager dans ce bestiaire peu commun. Mêlant savamment humour et érudition, il nous conte de A à Z la fascinante singularité du comportement animal.

De la mythologie indienne aux fables africaines, de Lucrèce à Alexandre Vialatte, cet élégant répertoire zoologique fourmille d'histoires amusantes, incroyables, torrides. Troublant et brillant essai sur les rapports entre l'homme et l'animal, sur l'imaginaire qu'ils ont suscité dans la littérature et l'histoire de l'art, ce "Bestiaire érotique" nous révèle aussi la part de bestialité qui est en nous. Miroir de notre âme et de notre sexualité la plus secrète et inavouée, la gent animale a beaucoup à nous apprendre. Une belle leçon d'érotisme et de savoir aimer.

Bestiaire érotique, Jean-Luc Hennig, Editions Albin Michel, 1998, 394 pages

A propos de l'auteur

D'une érudition sans faille, d'une curiosité extrême, Jean-Luc Hennig est presque toujours où on ne l'attend pas. Avec son humour pince-sans-rire, il est capable de trouver de l'érotisme dans les fruits et légumes et de la beauté dans la poussière. A l'affût des sujets qui fâchent, surprennent, instruisent ou divertissent, il explore dans ses écrits de nombreux univers.

Voir également

- Les animaux amoureux, de Pascal Picq et Eric Travers
- Manuel universel d'éducation sexuelle, d'Olivia Judson
- Les jeux de l'amour, du hasard et de la mort, de Paul Galand
- Les petites bêtes, de Christine Bravo
- Les grosses bêtes, de Christine Bravo
- Le dépit du gorille amoureux, de Marie-Claude Bomsel

17 janvier 2011

Drôles de bêtes et drôles d'histoires, de Philippe Ragueneau

Drôles de bêtes
et drôles d'histoires

De l'humour à l'émotion

de Philippe Ragueneau

illustrations de Martine Fontayne


Quel rapport peut-il bien exister entre un sanglier, un chat, un mainate, un cheval, un loup, un chevreuil, un canard ou un chien ?

Aucun, je vous l'accorde, si l'on excepte une extrême sensibilité, un instinct sans faille, une bonté que l'on aimerait trouver, parfois, chez nos semblables, voire une intelligence aiguë - il n'y a pas d'autre qualificatif.

Le narrateur qui a recueilli ces histoires, toutes authentiques, c'est Philippe Ragueneau - l'auteur bien connu pour les histoires véridiques du chat Moune. On navigue de l'humour à l'émotion ; ici, on essuie une larme ; là, on arbore un sourire ravi.

Mais la conclusion que l'on peut tirer après la lecture de ces récits drôles ou émouvants, c'est qu'il ne faudra plus jamais appeler "frères inférieurs" ceux qui enrichissent notre vie par ce qu'ils nous offrent de leurs propres vies.

Drôles de bêtes et drôles d'histoires, Philippe Ragueneau, Illustrations de Martine Fontayne au début de chaque chapitre, Editions Grancher, 2002, 236 pages

Pour en savoir plus

- Une biographie de l'auteur
D'autres livres de Philippe Ragueneau
- L'excellente série du chat Moune (en 5 volumes)
- Médecins des bêtes sauvages
- Ulysse, le chat qui traversa la France
- L'autre côté de la vie
Ou encore
- Le sixième sens des animaux, de Philippe de Wailly

Au sommaire

- Avant-propos
- Le guépard amoureux
- C'est malin, les oiseaux
- Frères loups
- Jalna, une chienne bien utile...
- Le chat qui berna le savant
- ... Et celui qui mystifia Angela Sayer
- Sultan, le cheval au grand coeur
- Loustic, le bien nommé
- Noblesse des sangliers
- Le mainate et le chasseur
- Victor règle ses comptes
- Diabolicus
- La souris belliqueuse
- Elles n'en font parfois qu'à leur tête...
- Roustan, le démineur
- Les sangliers n'aiment pas la voiture
- L'écureuil qui voulait jouer
- Les petits spectacles de la rue
- L'imprudence est fille de la curiosité
- ... Et en voici un autre bon exemple
- Jalousie d'un hippopotame
- Milord, le trop aimé
- Le pigeon infidèle
- Le mulot courageux
- Les visiteurs du soir
- La force d'un regard
- La souris et le prisonnier
- Amitiés singulières
- S'entendre comme chien et chat
- ... Et, parfois, elles nous sauvent la vie
- Le chevreuil miraculé
- Les bêtes et l'outil
- Une bonne surprise
- Le chat qui venait de nulle part
- Méprises
- On n'apprend pas ça, à l'Ecole...
- L'odyssée de Cornélius
- Pas si sauvages que ça...
- Tobby a des visions
- Filiu, un bon père de famille
- Mystérieuses communications...
- Un gardien vigilant
- Comment Sheila se fit piéger
- La corneille qui ne voulait pas voler
- Le spectacle était dans la salle
- Quand vient l'heure de la séparation...

L'avant-propos

Toutes les histoires de bêtes ne sont pas tristes, heureusement, et toutes ne finissent pas tragiquement. Les bêtes ne passent pas tout leur temps à s'entre-tuer. Elles ne sont pas toutes la cible des chasseurs. On ne met pas en cage tous les oiseaux, ni à l'attache tous les chiens. Les chats ne sont pas tous abandonnés quand sonne l'heure des vacances, et ceux qui traversent la route étourdiment ne se font pas tous écraser. Le renard n'attrape pas toujours le lapin et, neuf fois sur dix, l'épervier loupe la fauvette. Alors, bonnes gens, rentrez vos mouchoirs ! A leur manière, les bêtes savent aussi rire et nous faire rire, s'amuser et nous amuser, inventer des tours pendables, nous étonner et nous divertir.
Et puis il y a les histoires émouvantes, celles qui nous tirent une larmichette au coin de l'œil quand on les raconte ou qu'on les écoute. Il y a, avec les bêtes, les moments d'émotion.
Alors je vous propose un florilège d'histoires drôles et émouvantes.

Quelques extraits

Un extrait du chapitre "C'est malin, les oiseaux"

P14


./. Le pain avait été liquidé, mais il restait les biscottes. J'en cassai un petit morceau, à tout hasard. Le piaf s'en saisit et s'envola. Et alors il se passa quelque chose d'extraordinaire : avec son morceau de biscotte au bout du bec, il piqua droit sur la piscine, la frôla sur toute sa longueur en n'y trempant que le bec, et il remonta dans les arbres.
L'eau avait ramolli la biscotte : il pouvait désormais la manger.
Je refis l'expérience le jour suivant. Cette fois, ce furent trois oiseaux qui trempèrent leur biscotte dans l'eau de la piscine, en volant au ras de la surface ! ./.

Des extraits du chapitre "... Et, parfois, elles nous sauvent la vie"
P138-P143

Je revenais de Genève par avion. Un prêtre du canton de Vaud occupait le siège voisin du mien. Nous nous étions civilement salués et, peu après le décollage, nous avons engagé la conversation. Je ne sais plus par quels méandres elle en vint à dériver vers la superstition dont le bon abbé, bien entendu, se gaussait :
- ... Et pourtant, avouait-il, il doit nous rester, dans le cerveau, des bribes de ces fables, héritées peut-être d'une grand'mère, car un jour, Dieu me pardonne, j'y ai succombé.
- Racontez...
- Je roulais sur une petite route de montagne en corniche qui surplombait un précipice. Soudain, assis sur le parapet à ma gauche, je vis un grand chat noir qui me regardait venir. Instinctivement je serrai au maximum sur ma droite, à toucher la muraille, et bien m'en a pris ! Au détour d'un virage une voiture fonçait vers moi. Elle mordait la ligne médiane au point qu'en passant elle arracha mon rétroviseur. Et le chauffard disparut sans s'arrêter. Je l'avais échappé belle ! Si, dans mon esprit, la vue de ce chat noir ne s'était pas associée au mot "malheur", nous étions morts tous les deux.
- Vous voyez, mon père, que les chats noirs ne sont pas maléfiques, en dépit de ce que prétend une légende imbécile. Au contraire ! Car tout paraît donner à penser que celui-là vous a prévenu d'un danger et vous a sauvé la vie.
- J'en conviens. ./.

./. Maela et Dan avaient ramené du Brésil un magnifique ara, une espèce qui reproduit à la perfection notre vocabulaire. Hélas, l'аrа, baptisé Casta, se refusait à proférer le moindre mot. On avait beau lui répéter cinq cents fois la même phrase, il ne répondait que par "Kwakk"...
Deux mois plus tard, en rentrant chez eux, ils eurent la surprise de l'entendre lancer des "au secours ! au secours !" stridents. Or, ni Maela ni Dan ne le lui avaient enseigné. Entre deux cris de l'oiseau, ils entendirent, dans le lointain, une voix très faible qui appelait "au secours ! au secours !". Dan sortit précipitamment de la maison et tendit l'oreille. Les supplications provenaient de l'autre coté de la route. Dan y découvrit Ann John, une vieille dame solitaire, blessée et quasi-mourante. Depuis des heures, Casta l'entendait crier sa détresse et l'ara s'était décidé à parler pour relayer ses appels. ./.

./. A Meidrim, au pays de Galles, Donald Mottram descendit de son tracteur pour soigner l'un de ses veaux qui s'était blessé. Avant tout, il s'assura que son taureau, un impressionnant et irascible Charolais, se tenait loin de lui, au bout du champ. Alors qu'il pratiquait une injection, il sentit sur sa nuque le souffle de la bête qui, aussitôt, le chargea. Atteint de plusieurs coups de corne, Donald perdit connaissance. Une heure et demie plus tard, il revint à lui. Le taureau était toujours dans les parages mais, rangées devant lui, flanc contre flanc, toutes les vaches faisaient barrage et le maintenaient à distance. Quand il se releva, son bouclier vivant l'accompagna jusqu'à la barrière.

Pour les vacances de Noël, Valentin, six ans, accompagnait ses parents dans leur chalet de montagne, en Transylvanie. Parti se promener seul, en forêt, Valentin se perdit. Une battue fut aussitôt organisée, avec l'aide des voisins. Il urgeait de retrouver l'enfant avant la tombée du jour car, en cette saison, les nuits sont mortellement froides...
On ne le découvrit qu'à l'aube. Couché au pied d'un arbre, il dormait profondément. Trois castors à l'épaisse fourrure étaient couchés sur lui. Ils l'avaient protégé de cette nuit glaciale.
L'affaire fit "la une" de la presse locale car il y avait dix témoins.
L'étonnant de cette histoire tient au fait que le castor est une bête farouche qui fuit l'homme du plus loin qu'il le sent. ./.

Un extrait du chapitre "On n'apprend pas ça, à l'Ecole..."
P176


./. Le même jeune vétérinaire se présente chez un certain Dupont pour vacciner ses vaches. Le Dupont en question est un petit vieux de 85 ans. Il accueille le praticien, assis sur la margelle du puits. A côté de lui, un panier plein d'épis de maïs. Les deux hommes sympathisent, parlent de la pluie et du beau temps, mais le vétérinaire regarde sa montre :
- Bon, il est temps d'aller piquer vos vaches !
- Oh doucement, petit ! Mes trois génisses ne sont pas encore attrapées !
- Elles sont loin ?
- Va savoir ! Elles vont où elles veulent...
- Il vaut mieux que je revienne demain, quand vous aurez mis la main dessus.
- Mais non, tu vas voir !
Le petit vieux se lève, égrène un peu de maïs et appelle :
- Hector ! Hector !...
Et, dans la minute, un corbeau apparaît. Il se pose sur la margelle et picore le maïs. Quand il a fini, le petit vieux lui dit :
- Allez, Hector, va voir où sont les vaches.
Le corbeau s'envole et disparaît.
Cinq minutes plus tard il est de retour.
Le petit vieux se lève :
- Viens, petit. Prends ton attirail. Il a trouvé et on n'a plus qu'à le suivre.
Derrière le corbeau, qui vole de branche en branche, ils entrent dans le bois. Et cinq cents mètres plus loin, ils découvrent les génisses en train de paître.
Pas plus difficile que ça. ./.

Un extrait du chapitre "Tobby a des visions"
P190-P194


- Voilà, je suis prêt, annonça Bertrand V. à Mathilde, son épouse. Je n'ai plus qu'à l'attendre.
Ce matin, à dix heures, se tiendrait à Epernay la réunion annuelle des membres du réseau de résistance auquel Bertrand, de 1941 à 1945, avait appartenu. Lors de la création de l'association, il avait été décidé que ces amicales rencontres seraient itinérantes, de façon à ne pas privilégier uniquement les Parisiens : tantôt dans une ville et tantôt dans une autre.
Bertrand avouait qu'il n'avait guère la fibre amicaliste. Certes, il était content de revoir de temps en temps ses camarades de l'armée des ombres, mais le seul plaisir de remuer des souvenirs de plus en plus brumeux ne le motivait pas suffisamment pour qu'il eût envie de courir à Marseille ou à Lille, toutes affaires cessantes.
Cependant, cette fois-ci, c'est Epernay qui accueillait les vaillants survivants de l'épopée, dont Robert S. qui, lui aussi, résidait à Reims et avait, la veille, téléphoné à son ami :
- C'est idiot de prendre deux voitures. Je passerai te chercher à neuf heures trente, ça te va ?
Et c'est donc lui que Bertrand attendait.
Depuis le début de la matinée, Tobby, un fox-terrier à poil ras, affichait une nervosité inhabituelle. On le savait, comme tous les chiens de sa race, passablement agité et remuant, mais là, il envoyait le bouchon un peu loin, aboyant sans raison et tournicotant dans les jambes de Bertrand que son manège agaçait :
- Je ne sais pas ce qu'il a, ce matin ! Il n'a pas arrêté de m'embêter pendant que je m'habillais. Il a emmené ma chemise dans la salle de bains, puis ça a été la cravate...
- Il n'aime pas te voir partir, c'est tout, avançait Mathilde.
- Mais il me voit partir tous les jours, et il ne dit rien !
- Alors je ne comprends pas...
- Je vais attendre Robert sur le pas de la porte. Il n'y a plus une seule place dans la rue Buirette pour se garer.
Il embrassa Mathilde et se dirigea vers la sortie. Mais Tobby l'agrippa par le bas de son pantalon et le tira sauvagement en arrière.
- Mais tu es fou, Tobby ! Qu'est-ce qui te prend ? Il est possédé ce chien, ma parole !... Lâche mon pantalon, s'il te plaît !
- Je n'aime pas ça, dit Mathilde toute songeuse. Tobby ne veut pas que tu partes, c'est clair.
- Je crois plutôt qu'il veut jouer, seulement ce n'est pas le moment.
- Non, Bertrand, je ne suis pas d'accord. Tu sais bien que les bêtes sentent des choses qui nous échappent...
Pour calmer le chien, Bertrand prit le parti de s'asseoir :
- Tu rêves, ma chérie ! Je ne vois pas ce qu'il pourrait sentir ou pressentir, il ne sait même pas où je vais !
- Veux-tu me faire plaisir ?... Ne va pas à cette réunion.
- Mais c'est ridicule ! Pour une fois qu'elle se tient à vingt-six kilomètres de chez moi ! Les camarades ne vont pas comprendre !... Et Robert qui se dérange pour me prendre, qu'est-ce que je lui dis ? Que le chien ne veut pas que je sorte de la maison ? Ils n'ont pas fini de rigoler, les copains !
Il se leva, se dirigea vers la porte et, de nouveau, Tobby le retint par le bas de son pantalon.
- Cette fois, dit Mathilde, je te supplie de ne pas y aller.
Elle semblait soucieuse, grave même.
Bertrand jeta son manteau et son chapeau sur un fauteuil :
- Bon. Je ne veux pas te contrarier à ce point-là. Mais je te laisse le soin d'expliquer à Robert que, dans la maison, c'est maintenant Tobby qui fait la loi !
Quinze minutes plus tard, Robert sonnait à la porte. Mathilde s'acquitta de sa mission du mieux qu'elle le put. Robert commença par s'esclaffer, puis chercha à raisonner le couple. Il se heurta à un mur : Mathilde.
Dix minutes plus tard, il réitéra ses regrets, prit congé du couple, monta dans sa voiture et mit le moteur en route.
Quarante minutes plus tard, sur la N51, le chauffeur d'un camion perdit le contrôle de ses dix tonnes et emboutit de plein fouet la Peugeot de Robert. Il fut tué sur le coup.
S'il avait été à ses côtés, Bertrand aurait subi le même sort.
Merci, Tobby.
Biologistes, vétérinaires et psychologues sont d'accord : les bêtes sont capables d'étonnantes prémonitions et les exemples sont innombrables. Le docteur Philippe de Wailly, dont le livre fourmille de cas vérifiés et d'observations objectives, en cite de saisissants...
A Fribourg, on peut admirer la statue d'un canard, au centre d'une place fréquentée. Pendant la guerre de 40-45, il a sauvé la vie à des milliers d'habitants en les prévenant, bien avant les sirènes, qu'une vague de bombardiers alliés approchait de la ville.
En juin 1972, le chien Voyou, un bâtard noir et blanc, a tout tenté pour empêcher son maître de prendre, gare de l'Est, le train qui devait le conduire à Lens. Il tournait autour de lui en aboyant, l'empêchait d'avancer et, comme Tobby, il l'agrippa par le pantalon quand il monta dans son wagon. Voyant qu'il ne parvenait pas à le retenir, Voyou courut en tête du train et se jeta entre les rails, devant la locomotive, pour tenter d'arrêter le convoi. Et le vétérinaire parisien, qui a vécu cette malheureuse histoire, conclut :
- Je n'ai eu que plus tard l'explication de ce geste insensé : Voyou savait que j'étais en danger et a sacrifié sa vie pour essayer de sauver la mienne. Le train que j'avais pris a déraillé dans le tunnel de Vïerzy, et je n'ai échappé à la mort que par miracle. Voyou "savait", et il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour tenter de m'avertir ! ./.

Un extrait du chapitre "Mystérieuses communications..."
P206-P207


./. Ce lien télépathique m'a toujours fasciné. Encore faut-il préciser qu'il ne s'établit pas entre n'importe quel homme et n'importe quelle bête. Il faut, pour cela, qu'une très profonde connivence rapproche l'un et l'autre, une connivence faite d'amour mutuel, de confiance et de complicité.
Ce lien, je l'avais avec Moune, ce beau chat noir dont j'ai conté, en cinq volumes, les malices et les exploits. Du temps que je dirigeais les programmes de la télévision française, la plus grande fantaisie gouvernait mes heures de retour au logis. Elles dépendaient de l'imprévisible et du fortuit : tantôt un visionnage de dernière minute, tantôt un rendez-vous qui se prolongeait. Mais, quelle que soit l'heure à laquelle ma voiture quittait la rue de Turenne pour s'engager dans la rue Villehardouin, Moune, à l'instant même, abandonnait le fauteuil où il roupillait pour se poster devant la porte d'entrée de mon appartement. J'étais pourtant encore loin ! Mais lui savait que, dans dix minutes, ma clé tournerait dans la serrure.
Ce type de communication peut jouer en sens inverse : de la bête vers l'homme. Lorsqu'il habitait dans la vallée de Saint-Amarin, au cœur des Vosges, Hervé Grosjean eut l'occasion de constater qu'entre son chien Lucky et lui, ce lien télépathique existait bel et bien et, mieux encore, qu'il fonctionnait à la perfection...
Il était neuf heures du soir. Hervé, son dîner achevé, lisait tranquillement au coin de la cheminée où crépitait un joyeux feu de bois. Tout semblait calme. La nuit, dehors, imposait le poids de son silence aux bruits de la vie. Lucky, lui, vadrouillait dans les parages. Rituellement, à la tombée du jour, il se payait une promenade vespérale et digestive, levant ici un campagnol à la recherche d'insectes, effarouchant là un lapin sorti du terrier. Et, soudain, Hervé perçut, mentalement mais distinctement, les appels de désespoir de son chien. Aucun son, pourtant, ne passait les murs épais de la maison...
- Bon, j'ai rêvé, se dit-il. Et il reprit sa lecture.
Mais les appels se renouvelaient, devenaient pressants... Il se leva, enfila son manteau et sortit. Sans se poser l'ombre d'une question, il se dirigea droit vers le bois qui, à deux cents mètres, profilait sur le ciel la masse plus sombre de ses arbres.
- J'étais, me dit-il, comme guidé par un fil invisible et je marchais sans hésitation dans une direction qui m'était imposée.
Il pénétra profondément dans le bois et, dix minutes plus tard, les aboiements plaintifs de Lucky lui parvinrent pour la première fois. Il le trouva enfin. Le chien avait posé la patte sur un piège à mâchoire et, ne pouvant s'en dégager, il appelait son ami à son secours...
Hervé réussit à le libérer et les blessures que le piège avait occasionnées cicatrisèrent vite. Mais un fait s'imposait : c'est bien par la télépathie que Lucky avait alerté Hervé Grosjean.
Le Docteur Philippe de Wailly cite, dans "Le sixième sens des animaux" des cas similaires, notamment celui-ci :
"En 1952, le Docteur Karlis Osio a testé les phénomènes extrasensoriels chez les chats en leur commandant par la pensée de choisir entre deux coupes de nourriture placées aux extrémités d'une boîte en forme de T. L'humain, par la seule force de sa pensée, demandait au chat de tourner à droite ou à gauche sans que le chat puisse voir l'observateur." Et le chat s'exécutait.
De nombreuses hypothèses ont été avancées pour tenter d'expliquer ce phénomène. Aucune, à ce jour, n'emporte une totale adhésion.

Le chapitre (intégral) "Quand vient l'heure de la séparation..."
P228-P233

D'aucuns jugeront peut-être que ce triste aspect des choses n'a pas sa place dans un recueil "d'histoires drôles".
Si je m'y décide, néanmoins, c'est que la relation des bêtes avec la mort est fort différente de la nôtre. Ce sentiment de rupture irrémédiable et définitive, qui nous habite quand vient l'heure de la séparation, leur est totalement étranger. Tout donne à penser, au contraire, que nos animaux familiers ont foi en une continuité qui, au-delà de la mort, maintient d'indestructibles liens, comme s'ils savaient qu'un jour les vivants que nous sommes aujourd'hui retrouveront les disparus d'hier dans un au-delà sans chagrin.
Du même coup, la mort, telle que la vivent les bêtes, n'est pas désespérante. Elle est une chose naturelle et programmée, comme l'est la vie elle-même. Elle n'est qu'un passage que nous emprunterons nous-mêmes un jour.
Cette familiarité avec ce qui, pour nous, est "le pire de ce qui peut arriver" a, chez les bêtes, deux conséquences. La première est qu'ils la sentent venir de très loin, qu'il s'agisse de leur propre mort ou de celle de ceux qu'ils aiment. L'autre conséquence est qu'elles accompagnent, mentalement et physiquement, l'ami qui s'en va puisque cet adieu à la vie terrestre n'interrompt qu'un souffle mais en aucun cas un sentiment, et elles l'accompagnent parfois au point de se laisser elles-mêmes mourir pour rejoindre l'ami plus tôt que ne le prévoyait leur propre destin.
Nous avons beaucoup d'exemples de ces deux comportements parfaitement cohérents et complémentaires. Ceux de la fidélité, d'abord.
J'ai rapporté, dans un livre publié en 1991 mais que tout le monde n'a pas lu (hélas) cette belle histoire que m'a narrée Françoise Sallé.
Cela se passe à Thouars, dans les Deux-Sèvres. Vivaient là, en parfaite harmonie, un vieux monsieur à la retraite et sa fille Françoise qui escortait son crépuscule avec amour et dévouement. Vivait là aussi un chat, Doudou, un Européen noir comme l'ébène, qui vouait à Monsieur Sallé une véritable passion. Et le bonheur habitait la maison.
Et puis, un matin, Monsieur Sallé se réveilla très mal en point. La Faculté diagnostiqua une maladie très grave. Il déclina rapidement et, une nuit, il s'éteignit doucement, comme la flamme d'une bougie à bout de course.
Françoise pleura toutes les larmes de son corps et, deux jours plus tard, elle enferma Doudou dans la maison et s'en fut conduire son père dans le cimetière de Thouars, à l'autre bout de la ville.
Deux semaines passèrent.
C'est en refermant une fenêtre malencontreusement ouverte qu'elle s'aperçut que Doudou en avait profité pour s'évader. Elle le chercha dans le voisinage, car il lui arrivait de fuguer, mobilisa médias et gendarmerie et dut se rendre à l'évidence : Doudou demeurait introuvable.
Le dimanche suivant, elle se rendit au cimetière pour déposer des fleurs sur la tombe de son papa et là, que vit-elle ? Doudou assis sur le marbre, immobile et squelettique...
Et cela, déjà, est stupéfiant ! Ce cimetière, il n'y était jamais allé, Doudou... Et à l'autre bout de la ville, en plus ! Cette tombe, rien ni personne ne lui avait indiqué que c'était la bonne !... Et pourtant, il ne s'était pas trompé...
Françoise voulut le ramener chez elle. Le chat s'y refusa énergiquement. Alors elle rentra seule et, un peu plus tard, elle lui ramena de quoi manger et boire. Elle tenta encore de le convaincre de la suivre, elle le caressa, le prit dans ses bras... Peine perdue. Doudou sauta sur le marbre froid du tombeau et s'y allongea, décidé à ne jamais quitter son grand ami.
Des témoins alertèrent un journaliste de Thouars et la presse locale s'empara de l'affaire. J'ai lu les articles qui furent alors publiés et Françoise me confia une superbe photo de Doudou, assis sur la tombe de Monsieur Sallé.
Et bien, croyez-le ou pas, pendant deux ans, Françoise vint tous les jours au cimetière nourrir le chat. Et, une nuit d'hiver où il gelait à pierre fendre, Doudou mourut de froid, seul dans ce grand cimetière enneigé. Il avait enfin rejoint celui qu'il aimait jusqu'à en mourir.
Bien d'autres cas de ce genre sont dans les mémoires. Les mélomanes se souviennent que lorsque Mozart fut enterré, une tornade dispersa le cortège qui suivait le convoi. Au cimetière, à l'heure d'inhumer le grand musicien, devant le trou encore béant, il n'y avait personne. Personne sauf son chien qui, lui, l'avait suivi jusqu'au bout...
Mais les bêtes, ai-je dit, sentent aussi, de très loin, la mort frapper. Le docteur Philippe de Wailly rappelle un fait troublant qui défraya, à l'époque, la chronique. Un acteur très connu, William Ferris, fut assassiné par un fou alors qu'il s'apprêtait à entrer en scène. Il était 7h20. Exactement à la même heure et à des kilomètres de là, Davie, son chien entra en transes, aboyant et mordant dans le vide, désespéré de ne rien pouvoir faire pour sauver son maître...
Mon ami, Michel Bokanowski, ancien ministre du Général de Gaulle et Compagnon de la libération, m'a raconté, il y a fort longtemps, que lorsque son père, Maurice Bokanowski, lui aussi ministre, se tua en avion, sa chatte, à 400 kilomètres de là, devint comme folle à l'heure exacte de l'accident.
Les bêtes sentent aussi venir leur propre mort...
C'était l'été dernier. Nous séjournions à la campagne avec nos deux chats. Quelques jours plus tôt, Gros-Mimi nous avait fait une belle frayeur : une crise d'épilepsie spectaculaire dont il semblait s'être bien remis mais qui avait nécessité une hospitalisation de vingt-quatre heures chez le bon docteur Philippe de Smet. "Quel âge a-t-il ?" m'avait demandé le vétérinaire en nous accueillant. "Plus de vingt ans..." Le toubib avait hoché la tête et fait la grimace. "Bon. Je vais le garder en observation jusqu'à demain..."
Tout le temps que dura ce séjour en clinique, Petit-Lulu le chercha partout, fouillant chaque recoin des trois hectares du domaine, miaulant désespérément pour appeler "son" chat, son inséparable et tendre compagnon. Et, quand il le revit enfin, ce fut la fête !
Juillet passa, sans alertes ni problèmes, et le mois d'août se glissa en douceur au coeur d'une nature épanouie. Nous étions tous ensemble, ce soir-là, dans le fumoir où une chatière permet aux bêtes d'aller et venir en toute liberté. Les "parents" regardaient la télé. Les "enfants" se prélassaient sur un canapé. Dix heures venaient de sonner. Soudain Mimi sauta sur le sol, nous lança un bref miaulement et sortit.
On ne l'a plus jamais revu...
Sa mort l'avait appelé. Et, sans hésiter, sans gémir, sans protester, il s'était rendu tout droit au rendez-vous ultime. Discrètement, pudiquement. "Ne vous dérangez pas. Je sais ce qui m'attend et ce que j'ai à faire."
Nous l'avons cherché partout, pendant huit jours, et même au-delà du domaine. Il s'en était allé très loin, mourir tout seul, courageusement, lucidement, sans molester personne.
Le plus étonnant de l'histoire est que Petit-Lulu qui, d'habitude, le suit où qu'il aille comme son ombre, n'avait pas bougé lorsque "son" chat était sorti. Et dans les heures et les jours qui suivirent, il fut le seul à ne pas le chercher. Il savait, lui aussi !
Quelle mystérieuse communication entre Gros-Mimi et lui l'avait informé ? Ou bien son sixième sens était-il entré en jeu ?
Personne ne pourra jamais nous le dire.
Guy Sabatier, ancien député-maire de Laon, m'a relaté, sur le même sujet, un phénomène curieux...
Retraité depuis bon nombre d'années il réside à présent, avec son épouse, dans une belle maison de bord de mer, au Brusc, à deux pas de Six Fours les Plages. Si près de l'eau, il est naturel que les oiseaux de mer les visitent. Madame Sabatier qui, toute sa vie durant, a entretenu avec les oiseaux une relation affectueuse et confiante, se fait un devoir de parsemer le gravier de son jardin de petits morceaux de pain, de graines et de fruits. Et, tout aussi rituellement, les tourterelles, qui abondent dans ce coin de la côte, viennent picorer les gâteries qu'elle leur dispense.
Un bel après-midi d'été, alors qu'une tribu d'oiseaux faisait bombance, elle remarqua qu'une tourterelle chancelait, battait de l'aile, semblait malade. Elle piqua cependant une miette et remonta vers le ciel d'un vol lourd. Elle revint le lendemain, et aussi le surlendemain. Elle paraissait de plus en plus faible... Alors, d'un pas hésitant, elle s'approcha de l'amie des oiseaux, comme pour lui demander son aide, puis, à la surprise générale, elle entra dans la maison, ce qu'aucun oiseau ne faisait jamais.
"Je l'ai prise", m'a dit l'amie des oiseaux, "très doucement. Je l'ai caressée un grand moment, et elle est morte dans mes mains".
L'explication de cet étrange comportement, le vétérinaire de Six Fours les Plages l'a fournie :
"Les tourterelles savent, depuis longtemps, qu'ici c'est la maison du bon Dieu. On y trouve à manger tous les jours, et personne n'effarouche les oiseaux. Les gens qui l'habitent ne peuvent être que de braves gens, bons et généreux, auxquels on peut faire confiance. Alors c'est ici que, le moment venu, on peut trouver de l'aide et, peut-être même, mourir. Paisiblement."
Et c'est sur cette note qu'il faut clore ce chapitre : paisiblement.

14 janvier 2011

Histoires extraordinaires d'un voyant, de Belline

Histoires extraordinaires d'un voyant
de Belline


Le voyant, c'est celui qui vit au rythme des autres, de leurs angoisses, de leurs passions ou de leurs espoirs. C'est dans cet instant de sublime générosité où il les prend totalement en charge qu'il "voit".

Ce qu'il voit derrière cet homme d'affaires sûr de lui, à la mise soignée, à la voix calme, c'est un petit garçon en costume marin secoué de sanglots : cette vision surgie d'un passé lointain suffira-t-elle à chasser les fantômes de l'humiliation et de la rancune ? Quant à ces trois chiffres qui passent obstinément devant ses yeux tandis qu'une jeune femme lui raconte les terribles souffrances physiques et morales qui l'accablent, sont-ils la clé de sa délivrance ?

Redonner aux êtres déchirés qui viennent le consulter la confiance qui leur manque ou le courage d'affronter leur vie, telle est la mission du voyant, une mission d'amour à laquelle Belline n'a jamais failli.

Histoires extraordinaires d'un voyant, Belline, Editions François de Villac, 1989, 243 pages

Sommaire

Préface de Frédéric Royer : Belline, écrivain et voyant
Introduction
La vérité récompensée (Histoire d'Edmond)
Une visite hors série
La mort du costume marin
La clef
Un piège du destin
Le porteur d'eau
Le ciel déchiré
La nomination
Une mémorable journée
La gitane
La demoiselle aux guirlandes
Le plus vieux métier du monde
La tête contre les murs
Clémence
Rencontre en plein ciel
Antonio
Un nez mutin
Faites comme tout le monde
Un village d'Ile-de-France
Trois chiffres pour aider
Le coup de Madame X
La colline du bonheur
Délivrance
Les volets de fer
Les sept diamants d'Amsterdam
Bruxelles
Les patinettes de Copenhague
Le cheval des Canaries
L'homme de Téhéran
Le général est mort à l'aube
Des rennes par milliers
La pierre cubique
Un visiteur venu d'Afrique
La rizière d'Indochine
Des pierres dans un taxi
La villa en Virginie
Ni cobaye ni gadget
Prophète à Jérusalem
Le château normand
Vision et réalité
Les feuillées
Marthe ou le bonheur fragile
Dix serpents de papier
La fessée
Les mains blanches
La longue route
Trop tard
Un enfant s'est évadé
Le petit garçon perdu

La préface, de Frédéric Royer

Belline, écrivain et voyant

Belline exerce son don de voyance à Paris depuis 1954 dans un cabinet discret de la rue Fontaine où vécut jadis le poète visionnaire Villiers de l'Isle-Adam.
Très vite, ainsi qu'en témoigne la presse internationale, il devint l'un des voyants les plus réputés de ce temps. "C'est le mage le plus attachant et le plus sincère que j'aie rencontré", estimait le Prix Nobel Miguel Asturias. Et le philosophe Gabriel Marcel disait de lui : "C'est le prince des voyants."
Entre 1956 et 1977, des centaines de journaux dans le monde, du Daily Mirror au Nouvel Observateur, de la Tribune de Genève au Figaro et à Science et Vie, relatent ou commentent ses prévisions les plus marquantes :
- le vaccin antipoliomyélitique - la mort d'Einstein - la maladie d'Eisenhower - le naufrage de l'Andréa Doria - l'incendie de l'Humanité - le rappel des réservistes en 1956 - l'affaire de Suez - le résultat de grandes compétitions sportives - l'apparition du "Spoutnik" - le suicide de Marylin Monroe - la fin tragique des frères Kennedy - la guerre des Six Jours - les barricades de mai 1968.
Dans son numéro du 8 juillet 1968, l'Express écrit : "Jugez de notre surprise à tous devant les événements de mai et de juin 1968 expressément prédits pourtant par le mage Belline. Il avait vu la dissolution de l'Assemblée, les barricades et les Français, au plus fort de l'orage, se rassembler sous les branches du grand chêne (de Gaulle)." Et le Nouvel Observateur du 8 février 1976 titre : "Belline : un voyant à voir".
Mais le destin frappe durement Belline. Dans la nuit du 2 août 1969, son fils unique, Michel, trouve la mort dans un accident de voiture. Désemparé, désespéré par la douleur de son épouse, Belline tente l'impossible, concentre toutes ses facultés, essaie de communiquer avec son enfant par-delà la mort. Après vingt mois de silence, raconte-t-il, la voix de Michel lui parvient enfin. Craignant d'être "la proie d'une illusion provoquée par la douleur et le désir de faire revivre son fils", Belline hésite. Mais encouragé par ses amis, il note jour après jour son expérience de clair-audience et publie ses dialogues extraordinaires avec Michel dans "La troisième oreille", ouvrage préfacé par le philosophe Gabriel Marcel et postfacé par des "mantras" de l'écrivain allemand Ernst Junger qui avait, lui, perdu son fils à la guerre.
L'objectivité de l'enquête sur les problèmes de la survie qui clôt ce livre, "La troisième oreille", ainsi que la qualité du récit, valent à celui-ci une audience internationale. Plus de cent personnalités éminentes des Sciences, des Lettres et des Arts n'hésitèrent pas, en effet, à lui confier soit leurs expériences parapsychologiques personnelles soit leur point de vue positif ou négatif sur les questions de la survie. Citons, entre autres noms, le Pr Alfred Kastler, Prix Nobel, l'historien Alfred Toynbee, Werner von Braun, le rabbin Josy Eisenberg, le cardinal Daniélou, Federico Fellini, Fritz Lang, Max Pol Fouchet, Olivier Messiaen, Georges Simenon, Maurice Chevalier, Michèle Morgan, le mime Marceau...
Sur France-Inter, Jacques Chancel consacre à Belline, en 1969 et 1972, deux volets de son émission "Radioscopie". La spontanéité et la générosité des propos du voyant lui attirent de nombreux messages de sympathie et l'intérêt d'un large public.
En dehors des prévisions mondiales, "la vraie voyance, dit Belline, c'est d'abord un don de sympathie qui conduit un homme à capter les ondes (ou les raisons profondes) d'un autre être, pour rassembler un certain nombre d'informations, généralement cachées, et les mettre à son service. Un voyant est (ou devrait être) un homme qui éprouve le besoin de comprendre son prochain. Sans une telle 'approche', et quelle que soit sa force intérieure, il ne verra pas l'essentiel".
Les "Histoires Extraordinaires", que Belline nous raconte ici, sont toutes authentiques, j'ai moi-même été le témoin de plusieurs d'entre elles.
En les livrant au public, Belline enrichit le vaste dossier de la voyance.

Frédéric Royer

L'introduction, de Belline

L'homme de la rue aborde l'idée de voyance avec une énorme masse de préjugés, de malentendus. La voyance a vu se déchaîner contre elle à la fois l'obscurantisme et les "lumières", l'Inquisition et le rationalisme.
Je n'ai pas l'intention de faire ici une analyse historique, psychologique ou philosophique de ce phénomène né avec l'homme, avec l'inquiétude de l'homme.
Mon but est, plus modestement, de tracer le portrait d'un voyant d'aujourd'hui, de le montrer aux prises avec la vie du XXe siècle, avec les hommes de notre temps livrés aux angoisses modernes.
Vous verrez que cette histoire d'un voyant est souvent l'histoire des autres. Des autres au sens le plus large : hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres, méchants et bons, sages et fous. Ceux qui connaissent le drame ou la passion et ceux qui n'ont rien dans leur vie et qui en font un monde, comme il est naturel, car la plus humble existence est immense, fût-ce de l'immensité du désert.
Mon rôle à moi est de me substituer à chacun de ces "autres", l'espace d'un moment, avec assez de générosité pour ne rien laisser à l'écart, ni personne. C'est à cet instant qu'intervient le don. Encore inexpliqué, mais non inexplicable, et guère plus surprenant que les miracles de chaque jour.
Devenu "l'autre", des images me viennent, qui sont l'expression condensée, fulgurante et symbolique de cette vie étrangère, empruntée un instant. Le plus difficile reste à faire : redevenir un témoin lucide et analyser les éléments fournis par l'image apparue. Interpréter, pour conseiller.
Les histoires qui vont suivre vous rendront sensible ce mécanisme toujours différent, toujours déroutant. Tristes ou drôles, tragiques ou aigres-douces, elles vous conduiront, l'espace d'un livre, dans l'univers d'un voyant. Vous verrez que le souffle prophétique qui l'anime n'est peut-être, après tout, qu'une certaine forme de sympathie profonde, d'amour de l'homme.
Ceux que j'ai dépeints se reconnaîtront peut-être : ils ne seront pas reconnus. Leurs noms, certains lieux, certains détails ont été changés : j'ai dégagé la vérité qui importait à tous et laissé dans l'ombre celle qui n'appartient qu'à un seul.

Belline

Quelques extraits

LA CLEF
P25-P29


Il dit :
- C'est un ami qui m'envoie.
Puis il se tut comme s'il attendait non pas que je lui parle, mais que le temps passe, que la vie s'écoule, qu'on en finisse.
Il avait sans doute perdu depuis longtemps l'habitude d'avoir une impulsion personnelle, un désir à lui.
Je voyais une clef, une de ces clefs minces et fines qui ferment les verrous de sûreté. Elle s'imposait, s'effaçait, revenait parmi d'autres images. Obsédante. Voici un camp de prisonniers militaires, un homme est là, à l'écart des autres ; il ouvre et referme sa main sur une clef : la même, toujours la même. Et voici le Pont-Neuf. Le prisonnier est encore là, appuyé au parapet. Il a le visage défait, l'air exténué. Il jette la clef dans la Seine.
L'homme, en face de moi, n'a pas bougé. J'ai l'intuition qu'il faut l'arracher à cette indifférence. Je lui dis ce que je vois et au fur et à mesure que je parle, ma vision se poursuit. Une image me vient, demeure un long moment insistante. C'est un visage de femme que je vois de très près, mais qui est cependant flou, seulement éclairé par une lumière blanche qui estompe ses traits, efface les angles.
Ce visage est d'une douceur, d'une pureté n'ayant plus rien de terrestre. On dirait la dernière image d'un film, la fin d'une longue histoire triste, une de ces images que l'on emporte avec soi, inoubliables.
Mon visiteur est en larmes.
- Denise... C'était ma femme... Nous nous étions rencontrés au début de 1939. Nous venions tous les deux de perdre nos parents, nous nous sentions assez seuls. Denise était une jeune fille blonde et pâle, avec des yeux gris. Son esprit et son coeur étaient également limpides. Notre rencontre fut vraiment inattendue. Un jour, nous nous sommes heurtés au coin de la rue de Seine et de la rue de Buci. Ce matin-là, il faisait un temps glacial et nous étions tous les deux soucieux, grognons, pressés et aussi mal disposés que possible pour lier connaissance et faire du sentiment. Comment vous expliquer ce qui se passa entre nous à la minute même ? Oh, évidemment, je pourrais appeler cela un coup de foudre, mais ce serait à la fois trop dire et pas assez. C'était plutôt la soudaine assurance qu'il n'y avait plus à chercher ni à craindre, que notre vie était désormais tracée, quoi qu'il arrive.
Quelques semaines plus tard, nous faisions des projets d'avenir. Au mois de juin, je trouvais un petit appartement sur les hauteurs de Montmartre. Au mois d'août, j'épousais Denise, au mois de septembre, je partais pour le front.
Denise... je l'ai revue une fois encore à Noël pendant mes quelques jours de permission. Il nous semblait que la guerre n'éclaterait jamais en conflit sanglant, que tout allait se résoudre d'un jour à l'autre.
En juin 1940, j'étais fait prisonnier en Prusse-Orientale. Dès que cela fut possible, j'envoyai à ma femme une lettre sur ce papier ligné d'un blanc grisâtre que nous octroyait la "Poste des Prisonniers de Guerre" et qui comportait une feuille pour la réponse. Cette feuille ne me revint jamais. J'écrivis une lettre encore, puis une carte (chaque fois séparées par de longs intervalles car elles nous étaient comptées), elles ne reçurent pas davantage de réponse.
Je me sentis alors incapable d'attendre la fin de la guerre dans cette inaction mortelle, sans savoir ce que Denise était devenue.
C'est alors que je me suis évadé. Les dangers étaient grands, je n'y pensais même pas. Durant ces longs jours où j'avais froid, où j'avais faim, c'est cette petite clef qui m'a soutenu. Je l'avais accrochée à mon cou, elle était le symbole de mon amour et je crois que je ne l'aurais cédée ni pour un morceau de pain blanc, ni pour un lit de plumes et Dieu sait, pourtant, que le pain et le lit m'apparurent à cette époque comme un vrai mirage, comme une oasis dans le désert !
Je finis par rejoindre les lignes soviétiques. Une fois en Russie, j'ai fait toutes les démarches possibles et imaginables par l'intermédiaire de la Croix-Rouge, pour retrouver Denise. Rien, aucun résultat ! J'ai cru devenir fou.
Le temps passait, malgré tout. En 1945, enfin, je pris à Odessa un bateau à destination de Marseille. La clef était toujours à mon cou. Finalement, c'était le seul gage qui pouvait encore me faire croire à la réalité de mon passé. Parfois, il m'arrivait de penser que j'avais rêvé. Rêvé Denise, rêvé cet amour, rêvé mon bonheur. Je regardais alors la clef et je reprenais courage.
Ce fut à la fois un voyage merveilleux et terrible. J'espérais tout, je redoutais davantage encore. Je m'épuisais en imagination, en souvenirs.
Il était très tard quand je suis arrivé à la gare de Lyon. J'ai fait à pied le trajet jusqu'à Montmartre. Nous étions au mois d'août, le mois de mon mariage. Il y avait tout juste six ans. S'il n'y avait pas eu la guerre... Un enfant... deux, peut-être. Un foyer... une vie professionnelle ascendante... Denise toujours à mes côtés... si...
La nuit d'été était pleine de parfums, j'étais hanté par mes suppositions. Tout en moi aspirait au bonheur, mais je n'osais pas me laisser aller un instant. Si Denise n'était pas là... si elle ne m'aimait plus... si...
Le coeur battant, j'arrivai dans ma rue, devant ma maison. L'escalier n'avait pas changé ; il me semblait que c'était un signe favorable. Un étage... deux... trois... La porte était exactement celle de mes souvenirs. Ma main tremblait. La clef entra aisément dans la serrure. La porte s'ouvrit. J'entrai sans faire de bruit, par instinct. Je n'ai jamais su moi-même si c'était pour ne pas réveiller Denise ou pour l'empêcher de se composer un visage, pour la surprendre "telle qu'elle était". J'avais, après six ans de silence, un immense besoin de vérité, un immense besoin de savoir.
J'entrai par le balcon directement et me dirigeai tout droit vers notre chambre. La fenêtre était ouverte sur cette chaude nuit d'août, une nuit assez claire pour identifier chaque objet. Je m'approchai du lit, je vis deux corps endormis côte à côte.
J'ai reculé comme devant un spectacle d'épouvante et je me suis enfui, emportant ma clef.
Je repassai par les mêmes rues que je venais d'emprunter, il y avait un voile noir entre la lumière de l'été et moi.
Quand j'arrivai au Pont-Neuf, les premières lueurs de l'aube éclairaient le fleuve. Je restai là, longtemps, tandis que les pensées se bousculaient dans ma tête, impossibles à ordonner. Pourquoi moi...? Pourquoi...?
Je pensai à mes parents, à mon père que j'avais perdu très peu de temps avant la guerre. Une tendresse désespérée me submergea. S'ils avaient été là encore... Je rêvais à d'impossibles retrouvailles. Fou de désespoir, je jetai ma clef dans la Seine.
Je repris ma marche. Je finis par me trouver plus ou moins consciemment devant la grille du cimetière Montparnasse où se trouve notre caveau de famille. J'attendis l'heure d'ouverture presque avec impatience. Mes parents, au moins, seraient fidèles au rendez-vous.
Quand je pénétrai dans le cimetière, la journée était déjà chaude. Je retrouvai mon chemin sans hésitation pour avoir souvent accompagné mon père après la mort de ma mère.
Je vis le petit monument de granit, les noms en lettres dorées. Bertrand... 1938 : mon père. Rose-Marie... 1937 : ma mère. C'est alors que je découvris... Ah, monsieur, je ne peux pas vous dire... Quelques secondes plus tôt, je me croyais au fond de la douleur. "Denise... 15 janvier 1942."
Elle était morte trois ans après notre première rencontre.
Je ne peux pas vous dire quel apaisement, quelle consolation m'a apportée la vision que vous avez eue tout à l'heure ! Cette vision de Denise, radieuse, en paix, c'est certainement une des plus grandes douceurs que Dieu m'ait envoyées depuis que je vis !

En Amérique...
DES PIERRES DANS UN TAXI

P142-P144


Ai-je la vocation des voyages ?
Certes, je ne suis pas de ceux qui, brusquement, mettent la clef sous le paillasson, vont à la gare la plus proche, et comme le faisait l'humoriste, disent au guichet :
- Donnez-m'en pour deux cents kilomètres.
Je ne prépare pas non plus mes départs comme des expéditions en terre Adélie. Non, mais si je pars calmement, au moment que j'estime propice, selon l'occasion ou l'époque, c'est cependant sous l'impulsion d'une décision rapide.
D'Israël en Laponie, d'Italie aux Iles Canaries, mes itinéraires sont ceux d'un modeste curieux. J'essaie d'oublier qui je suis, ce qui n'est pas toujours facile. En somme, je laisse mes tarots au vestiaire, mais je n'y abandonne pas ma voyance. Elle m'appartient, Je lui appartiens et elle ne me laisse pas quitte, sous prétexte que je change de latitude.
Mon voyage aux Etats-Unis n'était pas à proprement parler un voyage d'affaires. Ma curiosité me poussait vers ce pays où se mêlent à chaque instant, à chaque endroit, un prodigieux sens commercial et la volonté de tout ramener à l'analyse scientifique; j'y allais aussi pour rencontrer des amis, et pour accomplir un pèlerinage. Je voulais me recueillir sur la tombe de John Kennedy, dont l'image frappée d'une immobilité soudaine, le corps raidi, la tète légèrement renversée en arrière, m'était apparue quelque temps avant sa mort.
Cette immobilité soudaine, cela ne voulait pas nécessairement dire la mort. En tout cas, j'espérais ardemment qu'une signification moins terrible s'attachait à cette vision. On sait ce qu'il en fut.
Pendant plus de cinq minutes, notre Boeing tournoya au-dessus de Kennedy Air Port.
Nous étions en mai. New York s'étendait à nos pieds, noyé dans ce nuage gris-bleu qui recouvre désormais toutes les grandes cités comme un manteau de fumée et de vapeur.
Je n'étais pas attendu comme un homme d'Etat, ni comme une vedette. Je savais que les New-Yorkais n'allaient pas déchirer leurs annuaires pour en faire des confettis et me les lancer des fenêtres de Broadway ! Un ami cependant m'attendait, qui m'entraîna vers un taxi. Nous rangeâmes les bagages dans le coffre arrière de la voiture qui se glissa dans le flot de la circulation.
Nous approchions du centre de la ville qui grandissait d'un instant à l'autre et, si ce spectacle "en direct" dont j'avais vu bien souvent les images à l'écran m'intéressait fort, mon attention était retenue par un petit paquet égaré sur notre banquette.
Ce paquet n'était pas à moi et ne semblait pas appartenir à mon ami. Je pensai à un oubli du client précédent. J'allais en parler au chauffeur, jusque-là peu prolixe, fort occupé à suivre sa file au cœur d'une circulation qui s'intensifiait. J'ouvrais la bouche pour lui demander, banalement, s'il avait remarqué la présence du colis, lorsque d'autres mots me vinrent aux lèvres :
- Pourquoi voulez-vous nous éprouver ? Que font ces pierres dans ce paquet ?
Le chauffeur cachait mal son étonnement.
- Ça vous est arrivé, déjà ? demanda-t-il. On vous a déjà fait le coup ?
Mon ami suivait difficilement cet étrange dialogue. Son regard allait du chauffeur à ce paquet mystérieux.
- Alors... vous...!
Il en avait presque pris l'accent de Belleville, le chauffeur new-yorkais.
- Comment avez-vous pu deviner ? Des pierres... eh bien oui, il y a des pierres dans le paquet. Et vous avez compris que c'était pour éprouver le client... Incroyable !
Je retrouvais bien là ce goût du test qui habite chaque Américain. Le colis chargé de pierres n'était pas à proprement parler une ruse. Notre chauffeur étudiait, analysait, jugeait ses clients d'après leur nationalité, leur attitude envers le colis. C'était son hobby.
Peut-être même tirait-il une philosophie personnelle de ses expériences qui ressemblaient à celles de La Caméra Invisible.
J'avais pressenti l'épreuve, c'est ce qui l'étonnait le plus. J'avoue que je restai surpris moi-même, car enfin, ma voyance s'était adressée aux intentions secrètes du chauffeur, qui obéissait aux lois d une psychologie typiquement américaine.
Mon séjour commençait bien.