31 décembre 2009

Un éternel Treblinka, de Charles Patterson

Un éternel Treblinka
de Charles Patterson

traduit par Dominique Letellier


Un livre exceptionnel,
à lire absolument.


La souffrance des animaux, leur sensibilité d’êtres vivants, est un des plus vieux tabous de l’homme. Dans ce livre iconoclaste – que certains considéreront même comme scandaleux –, mais courageux et novateur, l’historien américain Charles Patterson s’intéresse au douloureux rapport entre l’homme et l’animal depuis la création du monde.

Il soutient la thèse selon laquelle l’oppression des animaux sert de modèle à toute forme d’oppression, et la « bestialisation » de l’opprimé est une étape obligée sur le chemin de son anéantissement. Après avoir décrit l’adoption du travail à la chaîne dans les abattoirs de Chicago, il note que Henry Ford s’en inspira pour la fabrication de ses automobiles. Ce dernier, antisémite virulent et gros contributeur au parti nazi dans les années 30, fut même remercié par Hitler dans Mein Kampf. Quelques années plus tard, on devait retrouver cette organisation du « travail » dans les camps d’extermination nazis, où des méthodes étrangement similaires furent mises en œuvre pour tétaniser les victimes, leur faire perdre leurs repères et découper en tâches simples et répétitives le meurtre de masse de façon à banaliser le geste des assassins.

Un tel rapprochement est lui-même tabou, étant entendu une fois pour toutes que la Shoah est unique. Pourtant, l’auteur yiddish et prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer (qui a écrit, dans une nouvelle dont le titre de ce livre est tiré, « pour ces créatures, tous les humains sont des nazis ») fut le premier à oser la comparaison entre le sort réservé aux animaux d’élevage et celui que les hommes ont fait subir à leurs semblables pendant la Shoah.

S’inspirant de son combat, Patterson dénonce la façon dont l’homme s’est imposé comme « l’espèce des seigneurs », s’arrogeant le droit d’exterminer ou de réduire à l’esclavage les autres espèces, et conclut son essai par un hommage aux défenseurs de la cause animale, y compris Isaac Bashevis Singer lui-même.

« Le livre de Charles Patterson pèsera lourd pour redresser les torts terribles que les hommes, au fil de l’histoire, ont infligés aux animaux. Je vous incite vivement à le lire et à réfléchir à son important message. » Jane Goodall, primatologue

« Le défi moral posé par Un éternel Treblinka en fait un livre indispensable pour celui qui cherche à explorer la leçon universelle de la Shoah. »
Maariv, journal israélien

Pour en savoir plus

- Le site du livre
- Un entretien avec l’historien Charles Patterson
- Le résumé des "Cahiers Antispécistes"
- L'avis d'une lectrice
- L'avis de "Sciences Humaines" : Un crime contre l'animalité
- La boutique L214

Sommaire

I Une débâcle fondamentale
1 La grande division
Suprématie humaine et exploitation des animaux
- Le grand bond en avant
- La domestication des animaux
- Impitoyable et indifférent
- Esclavage humain
- Des esclaves comme animaux domestiques
- La domination de l'homme sur les animaux
- La grande chaîne des êtres
- La division entre l'humain et l'animal
- Moins qu'humains
2 Loups, singes, cochons, rats, vermine
Humilier les autres en les traitant d'animaux
- Africains
- Peuples premiers américains
- La "guerre indienne" dans les Philippines
- Singes jaunes
- Cochons chinois
- Termites vietnamiens, cafards irakiens
- Rabaissement des Juifs
- Affronter la Shoah
II Espèces supérieures, race supérieure
3 L'industrialisation de l'abattage
Le chemin qui mène à Auschwitz passe par l'Amérique
- Massacre dans les colonies
- La ville du porc
- Union Stock Yards
- La mort à une échelle monumentale
- Pas si différent
- Ca reste en famille
- Massacre high-tech
- Evolution récente
- Henry Ford : de l'abattoir au camp de la mort
4 Améliorer le troupeau
De la reproduction animale au génocide
- L'émergence de l'eugénisme
- Association des éleveurs américains
- Le mouvement eugéniste américain
- Etudes de familles
- Stérilisation obligatoire
- L'eugénisme en Allemagne
- Le partenariat américano-allemand
- Le soutien américain à l'eugénisme nazi
- Américains en visite
- Himmler, Darré, Höss
- Le programme T4 de l'Allemagne et l'invention de la chambre à gaz
- De l'exploitation animale aux meurtres de masse
5 Sans l'hommage d'une larme
Centres de tuerie en Amérique et en Allemagne
- Rationaliser le processus
- Rampe / entonnoir / tube / boyau
- Régler le sort du malade, du faible et du blessé
- Tuer les jeunes
- Les animaux dans les camps
- Hitler et les animaux
- Nous vivons comme des princes
- Massacre humain
III Echos de la Shoah
6 Nous étions comme ça, nous aussi
Les avocats de la cause animale liés à la Shoah
- Combattre une aberration mentale
- La voix des survivants
- Quelque chose de terrible
- Trois commandements
- Vision aux rayons X
- Images de la Shoah
- Savon et chaussures
- Une rencontre fatidique
- Troisième génération de militants
- Un couple étrange
- Ce qui a rendu ça possible
- Nous n'avons rien appris
7 Cet abattoir sans limites
Le regard compatissant d'Isaac Bashevis Singer
- Le 11ème commandement
- Vers l'Amérique
- Une forme d'amusement ignoble
- Satan et sauvagerie
- Une débauche de chair
- Viande et folie
- Créature sacrée
- Protestation végétarienne
- Treblinka était partout
- Eux aussi sont des enfants de Dieu
- Affection pour les animaux
- L'ombre d'une destruction imminente
- Une manière de vivre
8 L'autre face de la shoah
Voix allemandes pour les "sans-voix"
- De la Wehrmacht aux droits des animaux
- Révolté et consterné
- Le bébé de Hitler
- Les mangeurs de viande pourraient bien remettre ça
- Frères animaux
- Le mensonge d'Auschwitz
- L'holocauste des animaux
Postface
Bibliographie
Répertoire des associations citées
Remerciements
Table des matières

Un extrait du livre

Choisir un extrait ne fut pas simple tant cet ouvrage est exceptionnel mais puisqu'il me fallait faire un choix, j'ai opté pour le chapitre décrivant le rapport particulier d'Hitler aux animaux, en espérant ainsi mettre un terme à cette malsaine légende d'un Hitler végétarien.

Ci-dessous, une retranscription du texte où je n'ai conservé, pour une facilité de lecture, qu'une partie des références, puis en images, ce même texte dans son intégralité.

HITLER ET LES ANIMAUX
P185-P192


Comme beaucoup de ses frères humains, Adolf Hitler utilisait des noms d'animaux pour avilir les autres. Il traitait souvent ses adversaires de «gorets» et de «sales chiens». Les bolcheviks étaient des «animaux» et les Russes, ce «peuple bestial», «une famille lapin» slave, que Staline avait transformée en Etat totalitaire. Après la conquête de la Russie, Hitler voulut que «la centaine de millions de Slaves ridicules» vive «dans des porcheries». Il traitait les diplomates britanniques de «vers de terre», et quant au peuple d'Amérique «mi-judaïsé, mi-négrifié», il avait «le cerveau d'une poule». Hitler n'avait que mépris pour son propre peuple, auquel il faisait référence en disant «le grand troupeau stupide de notre peuple moutonnier», et tandis que les défaites s'accumulaient à la fin de la guerre, il rejetait sur eux la faute de n'avoir pas été à la hauteur du défi. Hitler traitait ses propres sœurs de «petites dindes».

Quelles qu'aient pu être les déficiences dont souffrait le Volk germanique, Hitler considérait pourtant que la race aryenne-nordique était infiniment supérieure à la mer de sous-hommes qui l'entourait, «ces monstruosités, entre homme et singe», comme il le dit clairement dans un discours à Munich en 1927 :

"Nous avons devant nous la race aryenne, qui est manifestement porteuse de toute culture, la véritable représentante de toute l'humanité. Notre science industrielle est sans exception le travail des Nordiques. Tous les grands compositeurs, de Beethoven à Richard Wagner, sont aryens. L'homme doit tout ce qui a quelque importance au principe de lutte et à une race qui a porté en elle le succès. Retirez les Allemands nordiques et il ne reste rien que la danse des singes [1]."

Hitler aimait les chiens, en particulier les bergers allemands (il considérait que les boxers étaient «dégénérés»), qu'il aimait contrôler et dominer. Au front, pendant la Première Guerre mondiale, il s'était lié à un terrier blanc, Fuchsl, qui avait traversé les lignes ennemies. Plus tard, quand son unité avança et qu'on ne retrouva pas Fuchsl, Hitler en fut bouleversé. «Je l'aimais tant, se souvint-il. Lui seul m'obéissait.» Hitler tenait souvent un fouet et l'utilisait parfois pour frapper son chien, à la manière cruelle dont son père frappait son propre chien [2]. Au quartier général du Führer pendant la Seconde Guerre mondiale, le berger allemand de Hitler, Blondi, lui offrit ce qu'il connut de plus proche de l'amitié [3]. «Mais avec ses chiens, comme avec tout être avec qui il entrait en contact, écrit Ian Kershaw, toute relation était fondée sur la subordination au maître qu'il était.»

Si Hitler consommait des produits animaux comme le fromage, le beurre et le lait, il tentait d'éviter la viande pour calmer son «estomac nerveux». Il souffrait d'indigestions et de douleurs épisodiques depuis l'adolescence, ainsi que de flatulences et d'une sudation incontrôlable [4]. La première preuve de ses tentatives pour soigner ses problèmes d'estomac en veillant à son régime figure dans une lettre écrite en 1911, quand il vivait à Vienne : «Je suis heureux de pouvoir vous informer que je me sens déjà beaucoup mieux [...]. Ce n'était rien qu'un petit dérangement de l'estomac, et je tente de me soigner par un régime de fruits et de légumes.» Il découvrit que lorsqu'il réduisait sa consommation de viande, il ne transpirait pas autant et qu'il y avait moins de taches sur ses sous-vêtements. Hitler fut aussi bientôt convaincu que manger des légumes améliorait l'odeur de ses flatulences, un problème qui l'ennuyait terriblement et lui causait bien de l'embarras. Il avait très peur du cancer, qui avait tué sa mère, et croyait que la consommation de viande et la pollution causaient le cancer.

Néanmoins, jamais Hitler ne renonça complètement à ses plats préférés de viande, surtout pas aux saucisses bavaroises, aux boulettes de foie et au gibier farci. La cuisinière Dione Lucas, qui travaillait comme chef dans un hôtel de Hambourg avant la guerre, se souvient qu'on l'appelait souvent pour qu'elle prépare le plat préféré de Hitler. «Je ne veux pas vous gâcher l'appétit pour les pigeonneaux farcis, écrivit-elle dans son livre de cuisine, mais cela vous intéressera peut-être de savoir que c'était un grand favori de M. Hitler, qui dînait souvent à l'hôtel. Mais n'en tenons pas rigueur à cette belle recette !» Un de ses biographes prétend que Hitler, en matière de viande, s'en tenait presque uniquement aux saucisses [5].

Quelles qu'aient été ses préférences culinaires, Hitler montra peu de sympathie pour la cause végétarienne en Allemagne. Quand il arriva au pouvoir, en 1933, il interdit les sociétés végétariennes, arrêta leurs chefs et fit fermer la rédaction du principal magazine végétarien publié à Francfort. Les persécutions nazies contraignirent même les végétariens allemands, petite minorité dans une nation de carnivores, soit à fuir le pays, soit à se cacher. Pacifiste et végétarien allemand, Edgar Kupfer-Koberwitz s'enfuit à Paris, puis en Italie, où la Gestapo l'arrêta et l'envoya au camp de concentration de Dachau. Pendant la guerre, l'Allemagne nazie interdit toutes les organisations végétariennes dans les territoires occupés, alors même qu'elles auraient aidé à soulager la pénurie de nourriture en temps de guerre.

Selon l'historien Robert Payne, le mythe qui veut que Hitler ait été strictement végétarien fut principalement l'œuvre du ministre de la Propagande de l'Allemagne nazie, Joseph Goebbels :

"L'ascétisme de Hitler joua un rôle important dans l'image qu'il projetait sur l'Allemagne. Selon une légende à laquelle beaucoup croyaient, il ne fumait ni ne buvait, il ne mangeait pas non plus de viande et n'avait aucune liaison. La première affirmation seule était vraie. Il buvait de la bière et souvent du vin coupé d'eau, il aimait tout particulièrement les saucisses bavaroises et il avait une maîtresse, Eva Braun, qui vivait avec lui discrètement au Berghof - entre autres aventures discrètes avec des femmes. Son ascétisme était une fiction inventée par Goebbels pour faire croire au don total de sa personne, au contrôle qu'il exerçait sur lui, à la distance qui le séparait des autres hommes. En faisant publiquement étalage de son ascétisme, il pouvait prétendre être tout dévoué au service de son peuple [6]."

En fait, Hitler était «remarquablement complaisant envers lui-même et n'avait pas le moindre instinct ascétique», écrit Payne. Son cuisinier, un homme incroyablement gros appelé Willi Kannenberg, confectionnait des repas délicieux et jouait les fous du roi. «Si Hitler n'avait pas de goût pour la viande, sauf sous forme de saucisses, s'il ne mangeait jamais de poisson, il adorait le caviar [7]. C'était un connaisseur en bonbons, fruits confits et gâteaux à la crème, qu'il consommait en quantités impressionnantes. Il buvait du thé et du café qu'il noyait de crème et de sucre. Aucun dictateur n'a autant aimé les sucreries.»

Quant à la compassion et la gentillesse, c'étaient des anathèmes pour Hitler, qui considérait que la force prime sur le droit et que les puissants méritent d'hériter de la terre. Il n'avait que mépris pour la philosophie végétarienne non violente et se moquait de Gandhi. Intimement convaincu que la nature était gouvernée par la loi de la jungle, il voulait que les jeunes Allemands soient brutaux, autoritaires, sans peur et cruels («La jeunesse qui va grandir dans ma forteresse effraiera le monde»). Ils ne devaient être ni faibles ni gentils. «La lumière de la merveilleuse bête de proie libre doit à nouveau éclairer leurs yeux. Je veux que ma jeunesse soit forte et belle [8].» Hitler a un jour résumé sa vision du monde en une courte phrase : «Qui ne possède pas la force perd le droit de vivre.»

La prétendue affection de Hitler et d'autres grosses huiles nazies pour les animaux, en particulier leurs chiens, a été replacée dans sa bonne perspective par Max Horkheimer et Theodor Adorno. Pour certaines personnalités autoritaires, écrivent-ils, «l'amour des animaux» fait partie de la manière dont ils intimident les autres. Quand les magnats de l'industrie et les dirigeants fascistes veulent un animal de compagnie, leur choix se porte sur des animaux intimidants comme les dogues allemands et les bébés lions, qui doivent ajouter à leur puissance par la terreur qu'ils inspirent. «Le colosse fasciste meurtrier se dresse de manière si aveugle devant la nature qu'il ne considère les animaux que comme un moyen d'humilier les hommes. L'intérêt passionné des fascistes pour les animaux, la nature et les enfants s'enracine dans le besoin de persécuter.» En présence du pouvoir, aucune créature n'est un être de plein droit. «Une créature n'est qu'un matériau pour assouvir les buts sanglants du maître.»

Notes :

[1] Ici, Hitler se faisait l'écho des opinions de son idole, Richard Wagner, qui a écrit que les "races inférieures" peuvent retracer leurs origines "depuis les singes", alors que les aryens retracent les leurs "depuis les dieux".

[2] En 1926, Hitler frappa son chien férocement en présence de Mimi Reiter, seize ans, qui avait attiré son attention et qu'il voulait apparemment impressionner. "Il fouetta son chien comme un fou [Irrsinniger] de sa cravache en le tenant par sa laisse courte. Il s'excita à l'extrême [...]. Je n'aurais jamais cru que cet homme pouvait frapper un animal avec tant de cruauté - un animal dont il avait dit un instant auparavant qu'il ne pourrait vivre sans lui. Et voilà qu'il fouettait son compagnon le plus fidèle !" Devant une autre jeune fille, à une autre occasion, quand son chien ne lui obéit pas, "il fit une démonstration de son idée de la virilité, de la maîtrise et du pouvoir en fouettant brutalement l'animal".

[3] Le 29 avril 1945, la veille du jour où il se suicida, Hitler empoisonna Blondi pour s'assurer que les capsules de cyanure que Himmler lui avait données étaient efficaces.

[4] Un jour, selon un intime, pendant la campagne électorale de 1932, Hitler, désolé de ne manger qu'une soupe de légumes, "demanda d'un air plaintif si on pouvait l'assurer que ce régime végétarien pourrait guérir ses crampes d'estomac, sa sudation excessive et sa mélancolie".

[5] Vers la fin de la guerre, le médecin personnel de Hitler, le docteur Theodor Morell, le mit à un régime strict, qui comportait une petite quantité de lard et de beurre, du blanc d'oeuf, du babeurre et de la crème.

[6] Ralph Meyer écrit que ce portrait de Hitler en paisible végétarien brossé par Goebbels trompa même les hommes d'Etat et les biographes. "Ce canular est répété ad nauseum aux végétariens et avocats des droits des animaux. Combien de gens ont été découragés de même envisager le problème tant ils abhorrent tout ce qui peut être associé à Hitler ?"

[7] Dans ses mémoires, Albert Speer écrivit que, dès que Hitler découvrit le goût du caviar, il en mangea "d'un bel appétit [...] à pleines cuillères", jusqu'à ce qu'il apprenne par Kannenberg combien c'était cher. Bien que la dépense ait été insignifiante comparée au train de vie de la chancellerie, Hitler rejeta le caviar, une extravagance car "l'idée d'un Führer mangeant du caviar lui était insupportable".

[8] Pour éliminer tout ce qui pouvait en eux être faible ou gentil, certains membres des SS devaient élever un berger allemand pendant douze semaines, puis étrangler le chiot devant un officier.

Le même extrait, en images
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30 décembre 2009

Le droit des animaux, de Céline Halpern et Benjamin Pitcho

Le droit des animaux
de Céline Halpern et Benjamin Pitcho


Animal vient de anima, âme, principe de la vie. On définit généralement l'animal comme étant un être vivant, un être animé, doué de sensibilité et capable de se mouvoir. Pourtant, il n'existe pas à proprement dit de Code du Droit des animaux. Aussi incroyable et malheureux que cela puisse paraître, l'animal reste une chose pour le droit français... Comment cela est-il possible et quelles sont les implications de cette qualification sur l'animal ? Quel est le statut juridique de l'animal ? Quels sont les droits et obligations de son propriétaire ? Quels sont les enjeux juridiques et les conséquences d'un accident survenu par le biais d'un animal ? Qui est responsable ? Comment l'animal est-il protégé ?

Dans cet ouvrage pratique, Céline Halpern et Benjamin Pitcho nous éclairent sur de nombreux aspects de ce droit en pleine évolution. Ils nous expliquent, avec un vocabulaire clair et précis les enjeux juridiques des relations entre l'animal et l'humain, tout en nous éclairant au cours de la lecture de l'ouvrage, par les textes nécessaires à la compréhension des informations pratiques apportées. Ce guide est destiné aux amis et propriétaires d'animaux, aux médecins vétérinaires, à leurs auxiliaires, aux étudiants, mais aussi à tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin au monde des bêtes et à ceux qui les soignent.

Le droit des animaux, Céline Halpern, Benjamin Pitcho, Editions Eska, 2007, 104 pages

Pour en savoir plus

- L'article "Les animaux ont-ils des droits ?"
- La retranscription d'un tchat avec les auteurs (extraits ci-dessous)

A propos des auteurs

Passionnée par la nature et les animaux, Maître Céline Halpern, avocate au Barreau de Paris, est également chargée de cours à l'université. Diplômée en droit de la santé, elle oriente son activité vers le droit de la santé, le droit vétérinaire et le droit des animaux. Elle est également l'auteur de nombreux ouvrages sur la santé humaine et animale.

Benjamin Pitcho est maître de conférences à l'université Paris VIII, en particulier dans le domaine animal, et donne de nombreux colloques spécialisés à ce sujet. Il poursuit également ses recherches sur la nature de l'animal et son statut, ainsi que sur les obligations et les droits de leurs propriétaires.

Sommaire

- Le statut de l'animal
- Les droits et obligations du propriétaire de l'animal
- La responsabilité du fait des animaux
- La protection de l'animal

Extraits d'un entretien avec les auteurs
"L'Animal devrait avoir les mêmes droits que l'Homme"


Entretien intégral sur cette page.

Le droit des animaux a-t-il évolué depuis quelques années ?

Oui, c'est indéniable, surtout dans les décisions de justice. Cependant les sanctions ne sont pas encore assez sévères, surtout en matière de maltraitance.

Quelle place accorde-t-on aujourd'hui à l'animal sur le plan juridique ? Quels sont ses droits ?

Les animaux ne sont pas titulaires de droits. Ils font simplement aujourd'hui l'objet d'une protection. Mais leur place grandit tous les jours du fait qu'ils sont considérés comme "êtres sensibles" et non pas comme des choses.

A quand des peines plus lourdes contre les sévices ou mauvais traitements infligés aux animaux ?

Récemment un homme qui avait tué son chien dans des conditions atroces et volontaires a été condamné à 13 mois de prison ferme. Il est regrettable que ce soit une décision isolée. Mais on peut espérer que la jurisprudence évolue.

Que pensez-vous de la vivisection ?

C'est une catastrophe, il existe tout de même une convention internationale qui interdit les expériences trop douloureuses ou inutiles sur les animaux mais l'application reste théorique. L'Homme se considère supérieur à l'animal, mais là, on rentre sur le terrain philosophique.

Y'a t-il actuellement une loi qui impose aux fabricants d'apposer sur leurs produits une mention précisant s'ils ont ou non été testés sur les animaux, ou n'est-ce pas obligatoire ?

A ce jour, l'absence de tests sur les animaux relève du marketing afin de sensibiliser le public. Divers projets devaient permettre de signaler - obligatoirement - la réalisation de tests sur les animaux. Ils n'ont pas été promulgués.

A quand une interdiction de cosmétiques d'origine animale ?

On y vient doucement mais il existe encore sur le marché beaucoup trop de cosmétiques issus de graisses animales et autres. Cela relève d'intérêts financiers conséquents et de multiples paramètres interfèrent pour interdire l'évolution vers le quasi-végétal du cosmétique. C'est dommage car actuellement, on arrive à concevoir des produits cosmétiques sans origine animale et tout aussi efficaces.

Etes-vous personnellement pour un statut juridique spécifique à l'animal ou pour leur accorder le même droit qu'aux humains ?

Céline Halpern : Personnellement, je prône les mêmes droits pour tous les êtres sensibles. Les humains sont loin de la vraie compréhension et de la connaissance véritable de l'animal. Je suis sûre que dans 300 ans, on aura découvert que l'animal est bien plus élaboré et plus proche de l'homme que ce dernier ne le croit aujourd'hui. L'Homme ne s'intéresse pas à l'animal pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il représente par rapport à l'Homme.

Benjamin Pitcho : Je pense que le Droit est utilisé pour régler les rapports entre les hommes seulement. Aussi, il est impératif que les animaux fassent l'objet d'une protection stricte, car comme Céline l'a rappelé, il s'agit d'êtres vivants et sensibles. Toutefois, il m'apparaît dangereux de leur accorder des droits au même titre que les êtres humains. De toute façon, seuls les êtres humains peuvent sanctionner les atteintes qu'ils subissent.

Que pensez-vous des abattoirs ?

Il existe un problème majeur de traitement dégradant des animaux, surtout dans les abattoirs, dans lesquels l'animal subit des douleurs atroces. Il existe des règles protectrices qui sont malheureusement peu respectées. Le plus important pour les abattoirs reste le rendement.

Comment en êtes-vous arrivés à faire une spécialisation sur les animaux ?

Nous avons commencé par nous spécialiser en droit de la santé humaine puis notre amour pour les bêtes nous a conduit à vouloir combler les lacunes du droit en la matière.

Les droits de l'animal, de Jean-Marie Coulon et Jean-Claude Nouët

Les droits de l'animal
de Jean-Marie Coulon
et Jean-Claude Nouët
préface de Raymond Depardon

L’animal est incapable de se protéger contre l'arbitraire et la violence de l'être humain et cette incapacité le rend impuissant et vulnérable. Et puisqu’il ne sait se défendre par lui-même, il a besoin d’être protégé. Il a besoin que les êtres humains plaident en faveur de la reconnaissance et du respect de ses droits.

La Déclaration universelle des droits de l’animal, proclamée le 15 octobre 1978, constitue une première prise de position philosophique sur les rapports qui doivent désormais s’instaurer entre l’espèce humaine et les autres espèces animales. Mais, cela est encore bien insuffisant. Pour s’interroger sur les droits des animaux et nos devoirs envers eux, il faut sans doute déjà considérer et accepter que le respect des animaux par l’homme est inséparable du respect des hommes entre eux. Vaste programme…

Bon nombre d’associations et de fondations combattent activement pour la défense des animaux et leur action ne concerne pas que les animaux domestiques. La reconnaissance des droits de l’animal, c’est accorder aussi le droit, pour toute espèce, de ne pas disparaître par la faute de l’homme ; c’est encore le droit, pour tous les animaux vertébrés, déjà reconnus comme sensibles à la douleur, et pour les animaux invertébrés qui pourraient l’être aussi, de ne pas souffrir par la faute de l’homme ; enfin, c’est pour tous les animaux tenus sous la dépendance de l’homme, le droit à un bien-être conforme à leurs impératifs biologiques et comportementaux.

Sous la forme d'un dialogue vivant, accessible à un large public et construit autour de quelque 70 questions, Jean-Marie Coulon et Jean-Claude Nouët nourrissent une réflexion rationnelle et très moderne, fondée sur une triple argumentation : éthique, juridique et scientifique, à distance de toute forme de sensiblerie anthropomorphique et compassionnelle. L'ouvrage se veut être aussi, en filigrane, un hymne à la vie sous toutes ses formes et un appel à son respect pour la survie et le bien-être des hommes comme de toutes les autres espèces animales.

Les animaux sont les seuls êtres au monde à ne pouvoir être traités ni comme sujets ni comme objets. Alors, reconnaître "les droits de l’animal" est une conquête éthique et juridique légitime et indispensable.

Les droits de l'animal, Jean-Marie Coulon, Jean-Claude Nouët, Editions Dalloz-Sirey, 2009, 146 pages

A propos des auteurs

Jean-Marie Coulon, magistrat, est représentant de la France à l'Agence de l'Union européenne des droits fondamentaux. Jean-Claude Nouët, professeur des universités, est membre du comité consultatif de la santé et de la protection animales.

Sommaire

- Des droits pour l'animal ? Lesquels et pourquoi ?
- Comment passe-t-on du concept de droits de l'animal aux prescriptions du droit ?
- Quelles relations entre droits de l'animal et droits de l'homme ?
- Comment l'animal est-il appréhendé par le droit positif français ?
- Quelles perspectives juridiques d'avenir pour les droits de l'animal ?

28 décembre 2009

La protection de l'animal, de Florence Burgat

Présentation

L’essor actuel de la protection animale s’inscrit, socialement et politiquement, dans le cadre des mouvements de protection des "groupes vulnérables", selon l’expression de l’Unesco, ainsi que dans le cadre des perspectives écologiques au sens large. Si le caractère fondamentalement disponible de l’animal, et l’absence de toute dimension transgressive de sa mise à mort sont patentes dans les pratiques, elles ne vont pas de soi pour l’éthique.

Cet ouvrage retrace l'histoire de la législation française sur la protection de l'animal ainsi que la réglementation sur l'utilisation des animaux sauvages et domestiques. Les réseaux et les objectifs des différentes associations sont présentés, ainsi que les problèmes auxquels peuvent être confrontés les propriétaires d'animaux.

La protection de l'animal, Florence Burgat, Editions PUF, 1997, 127 pages

Pour en savoir plus

- Un compte-rendu du livre, signé Yves Bonnardel
- Autres livres de Florence Burgat

A propos de l'auteur

Florence Burgat, philosophe, chargée de recherche à l'INRA, consacre ses travaux à la condition animale dans les sociétés industrielles. Tout en poursuivant ses recherches sur le statut ontologique de l'animalité, elle entreprend actuellement une étude sur l'animal dans la pensée de Gandhi et les mouvements de protection des animaux en Inde, où elle a effectué une mission sur ce thème.

"S'agissant des souffrances endurées par les animaux,
il ne tient qu'à nous d'y mettre fin."


Un texte de Florence Burgat,
publié le 4 octobre, à l'occasion de la "Journée mondiale de l'animal"


Nous sommes le 04 octobre 2009.

Parce que c'est le jour de la Saint François d'Assise, le 04 octobre est déclaré "journée mondiale des animaux". Une journée par an. Non pas pour nous souvenir de la manière dont l'humanité a, durant des siècles, traité les animaux, et se demander comment cela a pu être possible. Mais une journée par an pour parler de ce qu'ils subissent tous les jours, sans répit, partout dans le monde et depuis toujours. Quand les choses vont-elles enfin changer ?

Deux choses ont changé dans l'histoire sombre des animaux.

La première chose, c'est qu'on n'a jamais autant tué d'animaux qu'aujourd'hui, on n'en a jamais autant exploités. Jamais la condition des animaux n'a été aussi dure. Ce sont par milliards qu'ils sont enfermés dans les bâtiments d'élevage, abattus à la chaîne, tués par balle, par poison ou par piège à la chasse, pêchés, capturés pour leur fourrure ou leur "exotisme", utilisés dans les laboratoires, dressés et mutilés dans les cirques, abrutis de solitude dans les zoos…

L'urgence grandit. Car nous avons désormais les moyens scientifiques et techniques d'obtenir d'eux toujours plus : plus de viande, plus de lait, plus de connaissances scientifiques, plus de tout… Le monde animal est exténué. L'homme est en passe d'éradiquer les derniers animaux libres, au profit d'un stock à gérer apte à répondre à tous nos besoins, y compris les plus futiles. Le fait est là.

La seconde chose, c'est qu'un mouvement mondial de protection et de défense des droits des animaux s'est levé, structuré, amplifié. Il veille, informe, dépense toute l'énergie possible pour dissiper l'indifférence ou l'inconscience de gens qui, pour la plupart, n'ont aucune idée de ce à quoi ils participent par des achats qui semblent bien anodins : du jambon, un yaourt, une paire de chaussures, un rouge à lèvres.

Quand les choses vont-elles enfin changer ? Souvent, nous déplorons notre impuissance en apprenant que se passent dans le monde des tortures d'humains, des crimes, des enfermements…

S'agissant des souffrances endurées par les animaux, il ne tient qu'à nous d'y mettre fin : en nous informant et en nous abstenant d'acheter les produits issus de l'exploitation animale. Nous avons pratiquement chaque fois le choix. L'alternative nous est quasiment toujours offerte. Cessons de marcher tête baissée, aveugles et sourds à ce qui – il est vrai – est caché, afin que nul ne voie ni n'entende.

L'animal dans les pratiques de consommation, de Florence Burgat

Présentation
(Extrait de l'introduction)

Cet ouvrage est la refonte du "Que sais-je?", n°374, écrit par l'ingénieur agronome Henry Rouy, édité en 1950 et réédité en 1967. Il était alors intitulé "La viande". Le nouveau titre, "L'animal dans les pratiques de consommation", implique que nous ne limitions pas cette étude au seul produit "viande", mais que nous exposions la totalité du processus par lequel l'animal destiné à la boucherie est préparé et transformé à cette fin. Il ne sera question que des animaux dits de boucherie (bovins, ovins, caprins, équidés), de charcuterie (porcins), de basse-cour (cailles, faisans, gros gibier). Nous ne parlerons ni de la chasse qui induit d'autres pratiques, ni de la pêche. Par ailleurs, le sujet était traité dans l'ouvrage précédent, comme on a coutume de le faire, dans la seule perspective économique; sans négliger cet aspect, nous avons réservé une partie de cette étude aux représentations sociales qui affectent l'alimentation carnée.

Notre plan suivra les trois moments de cette logique :

1 / L'animal vivant (élevage, transport):
2 / La mise à mort (boucherie, abattoirs et techniques d'abattage);
3 / La viande (d'une part l'évolution de la production et de la consommation, d'autre part le déguisement de la présentation d'un produit de plus en plus éloigné de son processus d'engendrement).

L'animal dans les pratiques de consommation, Florence Burgat, Editions PUF, 1995, 127 pages

Pour en savoir plus

- Un compte-rendu du livre, signé Estiva Reus
- Autres livres de Florence Burgat

A propos de l'auteur

Florence Burgat, philosophe, chargée de recherche à l'INRA, consacre ses travaux à la condition animale dans les sociétés industrielles. Tout en poursuivant ses recherches sur le statut ontologique de l'animalité, elle entreprend actuellement une étude sur l'animal dans la pensée de Gandhi et les mouvements de protection des animaux en Inde, où elle a effectué une mission sur ce thème.

Sommaire
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Folie des vaches, folie des hommes.
L'oubli de l'animal


Un texte de Florence Burgat
publié par Le Monde diplomatique en mai 1996

Si, malgré l'absence de preuves absolument irréfutables, la transmission de la maladie de la « vache folle » à l'espèce humaine semble probable et engendre, à ce titre, une légitime inquiétude chez les consommateurs et les responsables politiques, ce mouvement de recul devant la viande ne pourrait-il être l'occasion de penser la nature particulière de ce produit ? De penser l'animal dans la viande, de s'arrêter un instant sur la logique qui rend possible la transformation des bêtes en nourriture, de traiter autrement que par la dérision ceux qui, fidèles à une question qui date de Pythagore, refusent l'alimentation carnée ? Une alimentation d'ailleurs devenue à la fois pléthorique et abstraite grâce aux méthodes de l'élevage et de l'abattage industriels. Élisabeth de Fontenay, qui ouvre l'analyse des Traités sur les animaux de Plutarque (1) par le symptôme de la « démence des bovins » rendus carnivores, montre en quel sens ces textes nous invitent à une méditation sur notre modernité technicienne.

Plutarque s'interroge sur l'horreur du geste fondateur de la boucherie : « Quelles affections, quel courage ou quels motifs firent autrefois agir l'homme qui, le premier, approcha de sa bouche une chair meurtrie (...), servit à sa table des corps morts, et pour ainsi dire des idoles, et fit sa nourriture de la viande de membres d'animaux qui, peu auparavant, bêlaient, mugissaient, marchaient et voyaient ? Comment ses yeux purent-ils souffrir de voir un meurtre ? (...) Comment son goût ne fut-il pas dégoûté d'horreur, quand il en vint à manier l'ordure des blessures (2) ? » Nul aujourd'hui n'ose venir troubler la volupté de la fête carnivore. Collision entre deux ordres étrangers, la distance qui sépare l'univers chatoyant de la bonne chère de celui des bêtes chaudes et douces qui, traitées à la chaîne, sortent de l'abattoir sous forme de carcasses rigides et décapitées, est difficilement pensable. Attachées aux seuls aspects sanitaires, les discussions autour de la « vache folle » occultent le sort et la condition des animaux d'abattoirs, désignés comme des coupables, en aucun cas des victimes. C'est ainsi qu'Alain Finkielkraut constate, en réclamant un peu de « pitié pour les vaches », que, « comme les victimes sont des bêtes, c'est à elles de payer (3) ».

Les bêtes malades ou seulement suspectes, celles dont le sang est impur, seront exterminées : la caméra est braquée sur une vache qui vacille et s'effondre sur le ciment ; le plan suivant vient rassurer le téléspectateur en montrant les fours crématoires dans lesquels on pousse les gros cadavres aux pattes raides tendues vers le haut, sous un ciel obscurci par une épaisse fumée. La lourdeur administrative et le temps nécessaire à cette tâche ont conduit les autorités anglaises à envisager d'utiliser les carcasses comme combustible pour produire de l'énergie (4). Le sobriquet de « vache folle » lui-même est presque amusant, un peu enfantin : il rappelle celui de Bison futé et n'induit en rien l'idée d'un corps mortellement atteint, qui souffre, et que nul ne songe à soigner. Pour illustrer la transparence des circuits de la viande bovine en France, les images documentaires passent du veau tétant sa mère à sa carcasse, dont un boucher vante les qualités. Ce raccourci, où l'assimilation de l'animal à la viande est présentée comme allant de soi, montre combien nous avons manqué la rencontre avec le monde animal. Qui, d'ailleurs, oserait parler de la viande autrement que dans les termes de la gastronomie ? Ou dans ceux, plus austères, mais plus utiles encore à sa banalisation, de la diététique ?

Un carnivore en tenue de soirée « Dans la viande tendre de l'étal, une rose rouge de papier hurle à la mort » et « un carnivore en tenue de soirée passe devant la fleur sans la voir ni l'entendre (5) ». Substance abstraite, continuum, matière sans origine. La décision des éleveurs d'identifier la viande française ne porte aucunement atteinte à cet anonymat-là. La viande doit rester gaie, le plaisir de manger dégagé de toute inquiétude empathique, comme la publicité ne cesse de nous le rappeler par des images festives. Que personne ne s'avise de coller son oreille à la chair inerte, au risque d'y entendre le souffle rauque de la bête qui s'affale. La pitié pour l'opaque misère des animaux de rente s'estompe vite, dès lors que le spectacle de leur souffrance est caché, et leur exploitation justifiée par la force des arguments économiques. Du calvaire de l'animal, le consommateur ne sait rien et ne veut rien savoir : les lieux de mise à mort sont d'ailleurs distincts des lieux de vente, et celui qui tue n'est plus celui qui vend. En soustrayant à la perception la présence effective de la mort, c'est la possibilité même de l'alimentation carnée qui devient peu à peu impensable, parce qu'inimaginable, hors représentation. La séparation des tâches a contribué à consolider une scission entre l'animal et la viande, épargnant ainsi notre réflexion.

Divers relais et médiations achèvent de lever l'interdit et d'abolir tout sentiment de culpabilité et de responsabilité. On ne peut déplorer les conditions de vie et de mort des animaux de boucherie et, en même temps, cautionner ces conditions par une consommation quotidienne de viande. Ceux qui s'en abstiennent pour des raisons éthiques font preuve de sens critique à l'égard d'un très fort suivisme social et manifestent ainsi une réelle volonté de voir émerger une réflexion sur ce qu'est véritablement la viande. L'histoire de la découpe et de la décoration des viandes met en évidence une mutation des représentations affectant les produits carnés ; les morceaux présentés dans des barquettes sous cellophane ont, comme l'écrit Pierre Gascar, peu à peu acquis « une autonomie, une réalité indépendante de l'ensemble dans lesquels ils étaient inclus (...). La boucherie est un lieu d'innocence (6) ». Pour la plupart, les enfants n'établissent aucune relation entre la viande que, avec leurs parents, ils achètent au supermarché, et les animaux hyperhumanisés de leurs dessins animés. Lorsqu'ils en prennent conscience, nombre d'entre eux sont choqués, dégoûtés. Par ailleurs, le recours à la tradition, aux arguments nutritifs, tout comme le procédé publicitaire utilisé depuis le début du siècle qui consiste à mettre en scène l'assentiment de l'animal à devenir une carcasse, et donc à traiter avec humour sa mise à mort, sont autant de biais qui libèrent la consommation carnée de tout souci éthique. Bref, il s'agit de faire de cette trajectoire une évidence et de présenter du même coup toute compassion comme l'émanation d'une sensiblerie incongrue. L'indifférence à la condition des animaux de boucherie pourrait étonner dans des pays où les animaux de compagnie sont présents dans de nombreux foyers. La confrontation avec un être qui manifeste des besoins et des désirs, donne et reçoit de la tendresse, partage des émotions avec les humains pourrait être la voie royale vers le refus de voir l'animal réduit à une machine à produire. Mais, à l'évidence, la connexion ne se fait pas. La distribution des rôles se dessine à l'intérieur du monde animal : il y a les nobles et les bâtards, les compagnons et les consommables... Il ne faudrait d'ailleurs pas croire que les animaux de compagnie sont à ce point l'objet de toutes les sollicitudes : le nombre d'abandons va croissant, comme le montrent les chiffres du ministère de l'agriculture.

Le chien lâché sur l'autoroute est tout de même une sérieuse entorse à cette prétendue « zoophilie », voire « zoolâtrie », affection réelle ou supposée que l'on doit radicalement distinguer d'un souci éthique pour la condition animale en général. Les propos amusés que suscitent le spectacle ou l'évocation de la souffrance animale ne font-ils pas, à l'inverse, s'interroger sur l'humanité de ceux qui les tiennent ? On ne saurait non plus passer sous silence le sophisme des boîtes pour chats ou chiens, dépense scandaleuse entre toutes. Remarquons que c'est le nourrissage des animaux qui est insupportable à ceux qui disent prendre fait et cause pour les populations affamées, et non le fait que nous, les humains, fassions des repas pantagruéliques. C'est la bouillie faite à partir du cinquième quartier, c'est-à-dire des restes d'animaux d'abattoirs impropres à la consommation humaine, qui focalise tous les sarcasmes. Et, puisqu'il est question de la distribution des richesses alimentaires, plus personne n'ignore que les protéines végétales sont enlevées, pour une bonne partie d'entre elles, aux pays souffrant de la faim pour engraisser les animaux que nous mangeons (7).

Le débat sur la « vache folle » est monopolisé par la préoccupation hygiéniste, c'est-à-dire ici phobique et patriotique, que l'on peut résumer, en France, par l'injonction « mangeons français ! ». Rien sur la souffrance des bêtes que notre « agriculture contre nature (8) » a rendues mortellement malades ; rien sur la destination, présentée comme « naturelle », de milliards d'animaux pour la boucherie. Si la prédation et l'entre-dévoration des espèces entre elles à des fins vitales constitue, dans la plupart des cas, une « loi naturelle », la démesure à laquelle nous nous livrons au moyen des modes de production industriels engendre une différence de nature, et non de degré, avec des pratiques de chasse de survie qui comportaient, et comportent encore, pour les populations démunies de ressources alimentaires, un principe de limite.

Le fait de tuer l'animal pour s'en nourrir devait conserver un caractère exceptionnel et transgressif, demeurer un acte grave. Ce que, précisément, l'élevage et l'abattage industriels ont balayé comme une superstition, une attitude poétique ou prélogique, non rationnelle, en somme. En pensant que des herbivores pourraient s'accommoder d'une alimentation carnée, on est allé un cran plus loin dans la réduction de l'animal à une machine. N'y a-t-il pas là de quoi méditer sur une agriculture qui a proprement quitté le sol, dérobant aux bêtes l'air et la terre, les rivant au seul temps de l'engraissement dans des bâtiments clos, le corps entravé ?

C'est un fait que notre monde est devenu, pour l'animal, « un immense camp de concentration, avec ses salles de torture que l'on nomme gavage, élevage en batterie, éclairage continu en lumière artificielle (9) », misérable séjour qui précède un transport, parfois très long, avant d'arriver à l'abattoir, et dont l'association Protection mondiale des animaux de ferme (PMAF) a révélé en images les conditions atroces (10). La finalité est un rendement accru et, pour l'éleveur, une libération qui consiste à ne plus avoir à s'occuper personnellement des bêtes. Le vocabulaire vient seconder une technicisation qui va de pair avec l'oubli croissant de l'animal, avec sa désindividualisation : « viande sur pied », « viande vivante », telles sont les expressions par lesquelles les professionnels désignent cette matière en devenir qui ne peut décemment plus porter le beau nom d'animal, car on n'y entend plus rien de l'anima, l'âme (11).

(1) Elisabeth de Fontenay, « La raison du plus fort », préface aux Trois traités pour les animaux, de Plutarque, POL, Paris, 1992.
(2) Plutarque, « S'il est loisible de manger chair », cité par Elisabeth de Fontenay, op. cit.
(3) Le Monde, 2 avril 1996.
(4) Le Monde, 4 avril 1996.
(5) Jacques Prévert, « Au pavillon de la boucherie », Histoires, Gallimard, Paris, 1963.
(6) Pierre Gascar, Les Bouchers, Delpire, Paris, 1973.
(7) Lire Joni Seager, « Bilan sur la consommation de viande et ses conséquences », Atlas de la Terre. Le coût écologique de nos modes de vie, Autrement, Paris, 1995.
(8) Eric Fottorino, « Une agriculture contre nature », Le Monde, 28 mars 1996. A signaler l'ouvrage pionnier de Robert Dantzer et Pierre Mormède, Le Stress en élevage intensif, Masson, Paris, 1979.
(9) Jacques Julliard, Le Nouvel Observateur, 4 avril 1996.
(10) PMAF, 4, rue Maurice-Barrès, 57000 Metz.
(11) Lire, à ce sujet, l'ouvrage d'Eric Baratay, L'Eglise et l'Animal, Editions du Cerf, Paris, 1996, 382 pages.

Les animaux d'élevage ont-ils droit au bien-être ? de Florence Burgat

Les animaux d'élevage
ont-ils droit au bien-être ?

de Florence Burgat

avec la collaboration de Robert Dantzer


Les quantités de viande, de lait et d'oeufs produites se sont accrues de façon spectaculaire au cours des 50 dernières années. L'élevage traditionnel a cédé le pas à de grandes usines spécialisées, engendrant une profonde mutation des conditions de vie des animaux : environnement artificiel caractérisé par l'enfermement, l'augmentation de la taille du troupeau, la réduction de la surface au sol et la rupture précoce des liens sociaux. Simultanément, l'alimentation des animaux a été uniformisée et adaptée aux besoins de production. De nombreuses manipulations, éventuellement associées à des transports, viennent ponctuer l'existence d'animaux qui, en dehors de ces épisodes, sont, pour la plupart d'entre eux, maintenus en claustration jusqu'à l'abattage. La course à la productivité et la sélection génétique sur la base des performances zootechniques n'ont cependant pas altéré ce qui caractérise avant tout l'animal, à savoir d'être vivant et sensible. Comment dès lors escamoter la question de la légitimité des traitements auxquels il est soumis en élevage industriel ?

Cet ouvrage collectif met au jour les conceptions de l'animal qui sous-tendent un tel système et interroge la nature des recherches conduites au titre du bien-être animal. Aux côtés des aspects factuels, il apporte un éclairage sur les principales questions juridiques, éthiques et philosophiques qui entourent le statut des animaux.

Les animaux d'élevage ont-ils droit au bien-être ?, Florence Burgat, Robert Dantzer, Editions INRA - Quae, 2001, 200 pages

A propos des auteurs

Florence Burgat, philosophe, chargée de recherche à l'INRA, consacre ses travaux à la condition animale dans les sociétés industrielles. Tout en poursuivant ses recherches sur le statut ontologique de l'animalité, elle entreprend actuellement une étude sur l'animal dans la pensée de Gandhi et les mouvements de protection des animaux en Inde, où elle a effectué une mission sur ce thème.

Robert Dantzer, vétérinaire, directeur de recherche à l'INRA, dirige actuellement l'Unité de recherches de neurobiologie intégrative de l'INSERM à Bordeaux. Ses travaux portent sur le stress, les interactions hormones-comportement et les relations entre le système nerveux et le système immunitaire. Il coordonne les activités des chercheurs qui, au sein de l'INRA, oeuvrent dans le domaine du comportement et du bien-être animal.

Pour en savoir plus

- Aperçu du livre sur cette page
- Autres livres de Florence Burgat

Sommaire

Introduction de Florence Burgat et Robert Dantzer

Le temps de l'élevage industriel

L'animal, machine à produire : la rupture du contrat domestique
Catherine et Raphaël Larrère

Le travail dans l'élevage industriel des porcs.
Souffrance des animaux, souffrance des hommes
Jocelyne Porcher

Le bien-être animal : une notion équivoque

Les revendications des associations de protection des animaux d'élevage
Florence Burgat

Comment les recherches sur la biologie du bien-être animal se sont-elles construites ?
Robert Dantzer

Bien-être animal : la réponse des scientifiques
Florence Burgat

Statut philosophique et juridique des animaux

L'animal sujet de droit ?
Florence Burgat, Antoine Garapon, Marie-Angèle Hermitte

L'utilitarisme, les droits et le bien-être animal
Jean-Yves Goffi

L'anthropomorphisme : vraie question ou faux débat ?
Françoise Armengaud

Biographie des auteurs

26 décembre 2009

Mauvaises nouvelles de la chair, de Marie Rouanet

Mauvaises nouvelles de la chair
de Marie Rouanet


Marie Rouanet raconte ici le fonctionnement des élevages en batterie, la reproduction intensive des moutons, vaches, porcs et poulets. Les inséminations artificielles et les gavages en tous genres n'ont plus de secrets. Elle n'épargne rien au lecteur, pas même la mort en série et les horreurs de l'abattoir. Marie Rouanet déplore l'élevage industriel dont elle montre et démontre avec crudité toutes les cruautés. Elle s'insurge contre la chair que nous consommons. Voilà un livre polémique et virulent pour dénoncer la malbouffe... A lire avant les repas.

Mauvaises nouvelles de la chair, Marie Rouanet, Editions Albin Michel, 2008, 196 pages

Pour en savoir plus

- Un article du site L214
- L'avis de "Végane aujourd"hui"

Au sommaire

- Eros, la semence des mâles
- Eros, la fleur de la femelle
- Clotho et Lachésis, les soeurs du destin
- Atropos, la noire
- Le festin de Thyeste
- Improbables refuges des dieux

L'analyse du livre
par la LFDA, La Fondation Droit Animal

Près de trente ans après Le Grand Massacre (1), voici qu’une auteure et poétesse célèbre, Marie Rouanet, se penche à son tour sur les abominations de l’élevage industriel.

À la différence de deux des auteurs du Grand Massacre, ce n’est donc pas une scientifique, et son étonnement, puis son écoeurement à ce qu’elle découvre, pourraient sans difficulté être ceux de tout un chacun si les élevages industriels s’ouvraient, en toute transparence, sur la société. À la lecture des horreurs, parfois insoutenables, dénoncées dans ce livre, on verra que les choses n’ont guère changé depuis trente ans. Les militants de la cause animale y trouveront, bien sûr, des vieilles « connaissances ». Le gavage par exemple, une « épreuve sans nom » (p103) : « L’oesophage est dilaté jusqu’à doubler de section. Les tissus peuvent craquer et provoquer des pertes ou des blessures… » (p104). Seuls quelques « spécialistes du gavage » liront ces quelques pages sans broncher et oseront affirmer que les animaux ne souffrent pas ! Et dommage que les consommateurs de foie gras, sans arrêt sollicités par la publicité, n’aient pas accès à des images filmées de telles scènes qui soulignent, selon l’auteure « la ressemblance du gavage avec un viol » (p108). Venons-en aux batteries de poulets. Beaucoup y meurent chaque jour. « Ramasseur de cadavres de poulets est un autre nouveau métier de l’agriculture » (p89). « Ceux qui restent vivants souffrent : d’escarres aux pattes, de cécité parfois à cause des vapeurs d’ammoniac… » (p89). L’élevage industriel des porcs non plus n’a guère changé. On y rencontre cette truie née par insémination artificielle : « De toute sa vie, elle ne rencontrera ni l’air, ni la lumière, ni la boue, ni l’herbe » (p58), ses porcelets dès leur naissance édentés, puis équeutés : « Ils ne sont pas malheureux, dit la fermière aux doux yeux, ils n’ont jamais connu autre chose. » (p71). Je ne ferai que mentionner ici les lâchers de faisans apprivoisés pour les fusils des chasseurs (p115), « le ball-trap au canard vivant » (p120), les volailles ébecquées, le « déguisement » de la consommation carnée : « l’offre de la viande apaisée dans sa barquette, brillante sous le film alimentaire » (p144)… On le voit : si le livre n’apprendra pas grand-chose aux militants de la protection animale, qui connaissent déjà toutes ces horreurs, il serait vivement souhaitable, du fait aussi de la belle qualité de son écriture, qu’il soit mis à la disposition de tout un chacun, voire qu’il devienne un ouvrage de référence dans les lycées, si tant est que c’est bien par l’éducation des jeunes qu’une vraie (r)évolution pourra se produire dans ce domaine.

Près de tente ans après Le Grand Massacre, on l’aura compris, la chair animale destinée à la bouffe est toujours, hélas, un « produit » neutre, un « produit », comme le cuivre ou le bois, bien séparé de la douleur et de la souffrance de ceux qui la « produisent ». Plus exactement, la douleur et la souffrance animales sont oubliées et même niées. C’est justement ce que combat vigoureusement notre Ligue. Il faut donc saluer, comme elle le mérite, l’entreprise courageuse de Marie Rouanet, et espérer que son livre connaîtra le plus grand succès possible.

(1) Édité chez Fayard en 1981, cet ouvrage documenté, écrit par deux scientifiques, membres de la LFDA, les Prs Alfred Kastler et Jean-Claude Nouët, et un écrivain Michel Damien, dévoilait pour la première fois en France l’horrible face cachée de la production industrielle intensive des animaux de consommation.

Le grand massacre, d'Alfred Kastler, Michel Damien et Jean-Claude Nouet

Le grand massacre
d'Alfred Kastler,
de Michel Damien,
et Jean-Claude Nouet

Un monde hallucinant : l'élevage intensif.

Il est urgent que le Français qui mange chaque année 107kg de viande soit informé de la nature des produits qu'il consomme :

- Porcs placés dès leur naissance sous des bulles de plastique;
- Veaux immobilisés pour donner une viande plus blanche;
- Volailles débecquées pour permettre à l’éleveur de les entasser plus facilement;
- Et bientôt, peut-être, poulets sans cerveaux...

Au mépris de notre santé, mais pour le plus grand bénéfice des trusts agro-alimentaires qui organisent ce marché de la viande, cet élevage concentrationnaire est en train de se développer dans le plus grand secret.

Plus grave, ce système contribue à l’appauvrissement du tiers monde, puisque le tiers de la production mondiale des céréales actuellement utilisé pour l’élevage du bétail permettrait de nourrir 1 milliard et demi d’êtres humains.

Cette enquête, menée aussi bien dans les "usines à viande" qu’auprès des responsables, veut alerter l’opinion publique. Il faut que cesse ce grand massacre, l’une des expressions les plus hideuses de notre société.

Le grand massacre, Alfred Kastler, Michel Damien, Jean-Claude Nouet, Editions Fayard, 1981, 383 pages

A propos des auteurs

Alfred Kastler, prix Nobel, membre de l'Académie des sciences.
Jean-Claude Nouet, professeur à la faculté de médecine.
Michel Damien, journaliste.

Avant-propos

Animal ou objet ?

Nanterre. Une institutrice d'école maternelle demande un jour à ses élèves de dessiner une poule ou un coq. Les enfants âgés de cinq à six ans, qui apprendront bientôt à lire et à compter, semblent perplexes. Ce jeu leur paraît difficile. Une poule, un coq ?

Satisfait de son travail, un garçonnet au regard vif et aux boucles blondes apporte son dessin. Sur la feuille : des lignes noires enchevêtrées. Un second enfant remet un gribouillage différent mais aussi peu évocateur : un ovale tracé d'une main hésitante, et surchargé de zébrures vertes.

L'heure de la sortie approche. Les enfants commencent à courir entre les tables. Pourquoi s'obstiner ? L'institutrice s'interroge. A-t-elle posé une question claire ? Elle s'approche du garçonnet aux boucles blondes :

- Où as-tu vu des poules ? questionne-t-elle.
- A La Parisienne, maîtresse.
- A La Parisienne ?
- Oui, là où on vend de tout.

Le second dessin à la main, l'enseignante se dirige vers un petit Portugais. " Est-ce un œuf ?" demande-t-elle à l'enfant qui a tracé la forme ovoïde décorée de traits énigmatiques.

- Non, c'est un poulet, Thérèse.
- Je ne reconnais pas sa tête, ni ses pattes... Ses plumes n'ont pas de couleurs. Où sont ses pattes ?
- Dans le plastique.
- Et les plumes ?...

L'enfant s'immobilise, dérouté par tant de questions futiles, par le temps perdu à ne pas jouer, c'est-à-dire à se consacrer à des activités sérieuses. Son regard semble traduire, pendant un instant, l'étonnement face à l'immensité de l'ignorance de l'adulte.

Un claquement de mains, quelques mots prononcés à voix haute, et la maîtresse rassemble autour d'elle tous les enfants. En dix minutes, elle découvre que nombre d'enfants d'intelligence normale associent d'abord la notion de volaille à La Parisienne, supermarché du coin : les dessins mystérieux représentaient des poulets prêts à cuire, sans plumes, sous une pellicule de plastique, dans une barquette blanche.

Pour ces enfants, ces poulets sont des marchandises au même titre que le pain sous cellophane ou les paquets de lessive. Ils n'établissent aucun rapport entre eux et les animaux. Dans leur esprit, un poulet acheté à La Parisienne n'a jamais été vivant. Il n'est pas un animal. Ce n'est pas comme le chien de la directrice de l'école qui, à certains moments, a le droit de courir dehors, et de recevoir les caresses brutales de cinquante petites mains.

Les œufs ne sont pas pondus par les poules, mais l'on peut les acheter dans des boîtes en carton bleu, jaune, vert. D'où viennent-ils ? La Parisienne les fournit. C'est le travail des marchands.

Ont-ils jamais vu une poule debout sur ses pattes ? Les comptines traditionnelles chantées en choeur dans les écoles ont perdu leur signification. L'institutrice songe à l'une d'elles, et prononce les premières paroles reprises avec allant par les enfants :

Une poule sur un mur
Qui picote du pain dur
Picoti picota
Lève la queue
Et puis s'en va.

Seule une minorité d'enfants parvient à décrire ensuite la scène - ceux qui partent peut-être en week-end -, d'autres semblent la saisir d'intuition, plusieurs enfin demeurent rivés à La Parisienne où jamais une poule n'a picoré du pain dur sur un mur.

Les enfants d'aujourd'hui ne savent pas toujours qu'une poule est un animal. Mais une poule est-elle encore un animal dans un poulailler où sont appliquées les méthodes d'élevage intensif ? Si oui, ses congénères le seront-elles encore dans dix ans, dans vingt ans ? Notre enquête nous conduira peut-être à répondre par la négative, et à rejoindre ces enfants qui, ignorant la totalité de l'évolution des techniques modernes d'élevage, pourraient avoir exprimé une vérité.

Qu'est-ce qu'une poule, qu'est-ce qu'un animal ? Un vocabulaire est à redéfinir, à préciser. Jusqu'où s'étend la métamorphose qui atteint notre civilisation ? Personne ne le sait. En moins de vingt ans - la durée d'un clin d'oeil à l'échelle de l'Histoire - des termes et des connaissances traditionnels, que l'on croyait assimilés définitivement, ont été ébranlés, soufflés par l'explosion d'un nouveau mode de vie.

19 décembre 2009

Rencontres avec des animaux épatants, de Jean-Francis Held

Rencontres avec des animaux épatants
Sous la direction de Jean-Francis Held

Les dauphins qui bondissent à la proue du bateau, le regard d'un chien, un éléphant foudroyé d'une rafale de kalachnikov, l'itinéraire d'une fourmi dans un jardin ou le désormais célèbre hippopotame à la rescousse d'une antilope blessée : autant d'images qui nous rappellent la proximité - et l'étrangeté - des autres formes vivantes. L'orgueil d'être devenus hommes nous a fait, un temps, considérer les bêtes comme des comparses accessoires. Pourtant, elles habitent notre imaginaire depuis l'enfance : qui d'entre nous ne reste attaché par un coin de mémoire à Lassie, à Croc-Blanc ou à Baloo ? Des peluches de nos premières années aux fidèles compagnons de la maturité, des livres aux images, les animaux nourrissent nos fantasmes, comblent nos frustrations. Au-delà des modes et des attendrissements faciles, les journalistes de "L'Evénement du Jeudi" ont choisi, au gré de leurs affinités, sept animaux épatants. Ils sont allés à leur rencontre, chacun selon son tempérament de reporter, pour voir, éprouver et comprendre. Ils ont été tour à tour émerveillés, indignés, amusés. Mais chaque fois, du fin fond de l'Afrique à la banlieue parisienne, un monde s'est ouvert.

Rencontres avec des animaux épatants, Jean-Francis Held, Editions Flammarion, 1992, 198 pages

Sommaire

- Lion, qui t'a fait roi ? - par Patrick Séry
- Salti l'araignée ne pense qu'à l'amour et à la soupe - par Odile Grande
- La renne, en Laponie, c'est la vie qui passe - par Liliane Sichler
- L'éléphant d'Afrique, un trésor de cœur et d'ivoire - par Jean-Francis Held
- Ernest le mal-aimé - par Bernard Veillet-Lavallée
- L'honneur perdu de Chivito, taureau de combat - par Jacques Durand
- Titus, ou, L'enfance d'un chef - par Jean-François Dupaquier

18 décembre 2009

Les confessions d'un primate, de Pierre Jouventin

Les confessions d'un primate
Les coulisses d'une recherche
sur le comportement animal

de Pierre Jouventin


Doit-on dire pingouin ou manchot ? Pourquoi les manchots empereurs kidnappent-ils les poussins ? Pourquoi les perroquets parlent-ils et pas les singes ? Pourquoi les mandrills sont-ils si colorés ? Ce livre répond à ces questions et à bien d'autres. A travers anecdotes et souvenirs de ses recherches menées sur tous les continents, de l'Afrique à l'Antarctique, l'auteur vous invite à un voyage dans l'écologie, l'évolution, le comportement animal, la conservation des espèces animales. Il vous fera aussi part de ses humeurs concernant l'exploitation de notre environnement et le mépris envers nos frères dits inférieurs. Observés de plus près, les animaux sont-ils "bêtes" et Homo sapiens est-il vraiment sage ?

Les confessions d'un primate, Pierre Jouventin, Editions Belin, 1999, 190 pages

A propos de l'auteur

Pierre Jouventin est Directeur de recherche au CNRS, au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier. Il a participé à plusieurs missions de longue durée, le plus souvent dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises.

Voir aussi

- Kamala, une louve dans ma famille, de Pierre Jouventin
- La raison des plus forts, de Pierre Jouventin, David Chauvet et Enrique Utria

16 décembre 2009

Eloge de la bête, de Natalie Angier

Eloge de la bête
Un autre regard sur la nature de la vie
de Natalie Angier
préface de Boris Cyrulnik

Dans sa préface, Boris Cyrulnik rapporte "cette sensation étrange de retrouver dans le texte d'une jeune américaine de 35 ans quelques-unes des idées qu'on a soi-même élaborées depuis 30 ans ! On a eu tant de mal à comprendre une donnée biologique, on a tant cherché, tant hésité, et puis voilà qu'on lit en une seule phrase, simple, claire et souvent drôle, le résultat de plusieurs années de réflexion."

Natalie Angier nous entraîne ici dans une expédition ébouriffante vers la vie qui grouille à nos pieds. On y découvre des merveilles d'évolution qui ont pour noms : cafards, araignées, hyènes, des parasites qui éclairent le grand mystère de la sexualité.

"Eloge de la bête" est un hymne à tout ce qui vit, à toutes les créatures, belles ou laides, grandes ou petites, et même minuscules. L'auteur nous dévoile la stratégie grandiose des orchidées, les mauvaises manières des dauphins, la paresse des fourmis ou l'importance sexuelle de la symétrie. Mais cette pourfendeuse d'idées reçues possède surtout le rare talent de faire partager sa passion au lecteur en lui permettant d'approcher, à travers ses récits ludiques, les mécanismes fondamentaux de la vie.

Eloge de la bête, Natalie Angier, Editions Arléa, 1998, 223 pages

A propos de l'auteur

Natalie Angier, journaliste scientifique au New York Times, a obtenu le prestigieux prix Pulitzer pour "Eloge de la bête". Elle vit dans le Maryland aux Etats-Unis.

15 décembre 2009

Entre l'humain et l'animal, de Maryse de Palma

Entre l'humain et l'animal
De la zoothérapie à la télépathie
de Maryse de Palma

Saviez-vous que le seul fait de caresser un animal entraîne une réduction du stress en diminuant la pression sanguine et le rythme cardiaque ? Saviez-vous que les personnes âgées qui possèdent un animal se sentent moins seules, sont plus actives, ont une plus grande vivacité d'esprit et une meilleure santé que les autres ? La présence d'un animal peut même réactiver des souvenirs chez une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer ou favoriser la concentration chez un enfant hyperactif. Qu'ils souffrent de maux physiques ou psychologiques, la zoothérapie fait des merveilles chez les gens de tout âge. Par des témoignages touchants, ce livre nous montre que les animaux peuvent, par leur amour inconditionnel, transformer notre vie de tous les jours. L'auteur explique notamment comment s'exercent les pouvoirs thérapeutiques des chiens, des chats, des perroquets et des chevaux sur les êtres humains, qui en retour auront souvent pour eux une reconnaissance et un dévouement sans borne. Enfin, cet ouvrage explore l'univers mystérieux de la télépathie animale à travers des histoires extraordinaires, dont certains phénomènes sont expliqués ici par des scientifiques réputés.

Entre l'humain et l'animal, Maryse de Palma, Editions Québecor, 2006, 280 pages

A propos de l'auteur

Maryse de Palma est psychoéducatrice, auteur et conférencière. Elle détient un baccalauréat en philosophie et un second en psychoéducation. Elle a également suivi une formation de 3 ans en psychothérapie psychanalytique. Elle a publié, aux Editions Québecor, "Le bonheur est un choix, l'équilibre un moyen". Membre sympathisante de l'Association québécoise de zoothérapie, elle a adopté il y a quelques années un husky abandonné, Nikita, qui lui apporte une grande joie de vivre.

L'avis d'un lecteur
Source


Un outil de référence exceptionnel

J'ai adoré ce livre car il touche tous les aspects de la relation entre les humains et les animaux. L'auteure aborde l'impact des animaux tant pour les enfants, les personnes âgées, les gens seuls, malades, déprimés et tous ceux qui souffrent de handicaps moteurs, physiques et psychologiques. En plus de relater des études sérieuses et convaincantes, l'auteure y apporte des témoignages fascinants et émouvants qui nous font comprendre l'ampleur des bienfaits thérapeutiquues des animaux sur les humains.

Elle ne se limite pas à parler de zoothérapie, Maryse de Palma, nous fait aussi voir l'impact positif et négatif des humains sur les animaux. Et finalement, elle explore l'univers mystérieux de la télépathie entre les animaux et les humains. Les explications et les anecdotes fournies proviennent de scientifiques réputés et nous convainquent de l'existence de ses phénomènes (prémonitions, sens de l'orientation exceptionnel, capacité de pressentir un danger ou de retrouver le maître à des miliers de kilomètres de distance). J'en suis encore plus convaincu depuis les événements qui entourent le tsunami. Elle explique ce phénomène dans son livre. Finalement, les lecteurs qui sont intéressés par la carrière de zoothérapeutes trouveront à la fin du livre tous les organismes québécois qui offrent des formations. Plusieurs organismes européens sont également cités tout au long du livre.

Je conseille ce livre à tous les amoureux des animaux qui souhaitent approfondir leur connaissance et ouvrir leur coeur sur la grande sagesse qui les habite et l'extraordinaire impact qu'ils ont sur nous les humains. Ce livre, très exhaustif en terme de réferences se lit très bien car les anecdotes citées nous branchent à notre coeur et nous transportent dans un monde magique. Bravo à Maryse de Palma que j'ai découvert avec son premier livre : Le bonheur est un choix, l'équilibre un moyen, également excellent (voir les commentaires!).

André Fauteux

Au sommaire

Les animaux et les enfants
1. La relation entre les enfants et les animaux
2. La zoothérapie auprès d’enfants en milieu scolaire
3. La zoothérapie auprès d’enfants atteints de cancer
4. La zoothérapie auprès d’enfants présentant des troubles envahissants du développement
5. La zoothérapie auprès d’enfants handicapés et mésadaptés
Les animaux et les personnes âgées
6. L’impact des animaux dans la vie des personnes âgées
7. La zoothérapie auprès des personnes âgées en institution
8. La zoothérapie auprès de personnes atteintes d’Alzheimer
Les multiples facettes de la zoothérapie
9. L’utilisation du chien en psychothérapie
10. La zoothérapie auprès des détenus
Autres animaux thérapeutes
11. Les chats
12. Les perroquets
13. Les chevaux
Les bienfaits thérapeutiques sur les humains dans la vie de tous les jours
14. L’impact des animaux dans les situations d’isolement
15. L’impact des animaux sur les problèmes psychologiques
16. L’impact des animaux sur les problèmes de santé physique
17. L’impact des animaux sur la vie de couple
18. L’impact des animaux sur l’orientation professionnelle
L’attitude des humains envers les animaux
19. La passion des humains envers les animaux
20. La domination des animaux par les humains
21. Le dévouement des humains envers les animaux domestiques
22. Le dévouement des humains envers les animaux sauvages
Les phénomènes extrasensoriels chez les animaux et les humains
23. Théories sur les perceptions extrasensorielles des animaux
24. La télépathie
25. Le sens de l’orientation
26. Les prémonitions
27. Autres histoires extraordinaires
28. La communication animale
Les ressources spécialisées en zoothérapie
29. Les organismes québécois de zoothérapie
Conclusion
Bibliographie

Pour en savoir plus

- Le site des Editions Québec-Livres (anciennement Québecor)
- Enfants et animaux : des liens en partage, de Karine Lou Matignon
- L'enfant et la médiation animale, de François Beiger
- Autisme et zoothérapie, de François Beiger et Aurélie Jean
- Les animaux dans la vie des enfants, de Gail Melson
- L'enfant et l'animal, d'Hubert Montagner
- L'enfant et les animaux, de Lyonel Rossant et Valérie Villemin
- L'enfance entre chiens et chats, de Catherine Muller
- Les effets bénéfiques des animaux sur notre santé, de Caroline Bouchard et Christine Delbourg
- Ces animaux qui nous guérissent, de Philippe de Wailly

La couverture de l'édition 2012


14 décembre 2009

L'enfant et la médiation animale, de François Beiger

L'enfant et la médiation animale
Une nouvelle approche de la zoothérapie
de François Beiger

"Nous connaissons tous le chien guide d'aveugle et, de fait, l'animal est un excellent médiateur, notamment pour l'enfant fragile ou handicapé. La complicité qui se crée avec l'animal permet le développement de liens affectifs qui deviennent rapidement des repères, une empreinte rassurante pour l'enfant. La réussite constatée de ces relations thérapeutiques tient sans doute au fait que l'animal ne porte aucun jugement verbal. Il est l'antidote parfait à nos solitudes, à nos tensions, à nos appréhensions, à notre anxiété. On connaît toute la difficulté à entrer en contact avec des enfants fragilisés, handicapés ou marginalisés, aussi bien en milieu scolaire qu'en éducation spécialisée ou dans le domaine de la déficience mentale. Reconnaître et considérer l'animal comme un véritable partenaire, un médiateur, est une approche qu'il serait dommageable de négliger. C'est ce que j'explique dans ce livre, à travers mes recherches, mes travaux et mes propres expériences. Il s'adresse tout aussi bien aux professionnels du social, de la santé et de l'éducation qu'aux parents et aux proches de ces enfants."

L'enfant et la médiation animale, François Beiger, Editions Dunod, 2008, 208 pages

A propos de l'auteur

Zoothérapeute et conférencier, François Beiger est le fondateur de l'Institut français de zoothérapie et du Centre de formation et de recherche aux applications de la zoothérapie, et il est à l'origine de l'importation de la zoothérapie en France. Egalement directeur de collection chez Belin, il est l'auteur de nombreux ouvrages et réalisateur de documentaires.

Pour en savoir plus

- Cette page où vous pourrez feuilleter le livre
- Le site des Editions Dunod
- Autisme et zoothérapie, de François Beiger et Aurélie Jean
- Enfants et animaux : des liens en partage, de Karine Lou Matignon
- Les animaux dans la vie des enfants, de Gail Melson
- L'enfant et l'animal, d'Hubert Montagner
- L'enfant et les animaux, de Lyonel Rossant et Valérie Villemin
- L'enfance entre chiens et chats, de Catherine Muller
- Les effets bénéfiques des animaux sur notre santé, de Caroline Bouchard et Christine Delbourg
- Entre l'humain et l'animal, de Maryse de Palma

Au sommaire

Histoire de la zoothérapie
1. Quelques repères chronologiques
2. Mes maîtres à penser
Qu'appelle-t-on médiation animale ?
3. Le rôle social de l'animal dans notre société humaine
4. Etude du comportement et de la communication avec l'animal
5. Le chien, médiateur préféré de l'enfant
6. Les autres animaux familiers médiateurs
Pathologies, ateliers et médiation
7. La médiation animale au service de l'enfant en déficience mentale
8. Donner un sens à la médiation animale
9. La médiation animale, un allié pour l'enfant trisomique
10. L'enfant hyperactif
11. Maladie mentale et médiation animale
12. Le jeune en difficulté
13. Le chien, médiateur pour les enfants malades en milieu hospitalier
14. La médiation animale éducative
Annexes
1. Mission de l'Institut français de zoothérapie (IFZ)
2. Le Centre de formation et de recherche aux applications de la zoothérapie
3. Les maisons d'éveil spécialisées
4. Echelle d'évaluation pour le suivi de l'enfant autiste ou apparenté
Bibliographie
Quelques adresses

Interview de François Beiger, directeur de l'Institut français de zoothérapie


La zoothérapie auprès des malades d’Alzheimer