24 septembre 2011

Tendre bestiaire, de Maurice Genevoix

Tendre bestiaire
de Maurice Genevoix
préface de Sylvie Genevoix


Salué comme un événement littéraire dès sa parution, "Tendre Bestiaire" présente une fresque des plus riches et des plus étonnantes, où chaque animal est saisi sur le vif dans la chaleur de l'émotion et du coeur.

En 1969, Maurice Genevoix a déjà publié une oeuvre romanesque considérable. Les animaux ont toujours été présents dans sa vie et dans ses écrits, mais c'est dans ce livre qu'il s'interroge le plus sur leur message et leur secret. Il y dit sa fascination pour le peuple des champs et des forêts, dans de petites aventures lointaines mais significatives de l'harmonie d'un univers naturel dont nous faisons partie et dont nous avons presque perdu le chemin : "Il y a plus de choses sur la terre et sous le ciel, Horatio, que n'en explique votre philosophie" (Shakespeare, Hamlet).

Un bestiaire, c'est l'occasion de refaire amitié avec d'autres créatures vivantes, des bêtes libres. Elles ont de quoi nous émouvoir, nous toucher, nous apprendre ou nous réapprendre bien des choses.

Provincial d'origine, amoureux de la nature et de sa Loire natale, l'auteur a compris, bien avant la mode écologiste, que la vie moderne donne à l'homme la nostalgie des plaisirs simples et vrais. Entraînant le lecteur dans une promenade curieuse et attentive à travers bois et forêts, il se propose de le ramener à ces réalités chaleureuses qu'il était en passe d'oublier. Ses portraits d'animaux (castor, hérisson, sanglier, merle, lézard ou cygne) sont autant de prétextes à des réflexions empreintes de sagesse et non dénuées de morale.

Préfacé par Sylvie Genevoix, sa fille, ce Tendre bestiaire est le premier d'une série de trois ouvrages qui, plus encore que des leçons de choses, sont des hymnes à la vie, dans toute sa beauté et, parfois aussi, sa cruauté.

Tendre bestiaire, Maurice Genevoix, Préface : Sylvie Genevoix, Editions Pocket, 1989, 162 pages

A propos de l'auteur

Maurice Genevoix (1890-1980) est entré en littérature avec ses soutenus de guerre (Ceux de 14). En 1925, Raboliot lui valut le Prix Goncourt, ouvrant la voie à d'autres romans (La dernière horde, Lorelei), où l'auteur s'impose comme un humaniste authentique et généreux. Elu à l'Académie française en 1946, il en fut le secrétaire perpétuel de 1958 à 1973.

Le sommaire

- Préface
- L'abattoir
- L'ablette
- Le castor
- La maison
- Le hérisson
- Le chevreuil
- Le sanglier
- Le lapin
- Le héron
- Le vairon
- Le hanneton
- Le lucane ou cerf-volant
- Le vanneau
- Le lièvre
- Le brochet
- La girafe
- Le lampyre
- Les lucioles
- Le canard
- Le merle
- Le ménate
- Les voix
- Le lézard
- Le cobaye
- Le cygne
- Le cerf
- Le berceau
- Le chevreau
- La tormenta

Quelques extraits du livre

Un extrait du chapitre "Le cerf"

../.. Un cerf qui tombe, que le piqueux emperche sur ses bois, sa noble tête à la renverse, ses yeux ouverts sur un néant bleuâtre, sa langue exsangue qui pend sur l'herbe, c'est vous-même qu'ils prennent à témoin, vous qui, regardant cela, avez encore des yeux pour voir. Tout ce qui meurt en cet instant, c'est beaucoup plus que cette bête massacrée. La tâche de sang qu'elle laissera sur la mousse, elle a coulé, elle ne s'effacera plus. ../..

La fin du chapitre "Le chevreau"

../.. Mais je m'éloigne encore du chevreau blanc. Qu'il me pardonne. Je savais donc que nous l'avions acheté. Je savais aussi qu'on le mangerait. Peut-être même avais-je apprécié déjà la saveur de cette chair tendre, corsée par le vinaigre et l'oignon de la marinade. Mais tout ce qui avait précédé m'était resté réellement étranger, dans un monde hors du monde où j'avais mangé du chevreau. Or, cette fois-là...

Nous allions nous mettre à table. Nous étions huit, dont l'oncle au perroquet. Venu de la cour, un rayon de soleil faisait étinceler les couverts. Pareillement venu de la cour, un bêlement vif et plein de vie me fit me retourner et m'approcher de la fenêtre.

Je vis alors, assise sur une chaise basse devant le seuil de sa cuisine, notre bonne. Elle tenait le chevreau blanc dans son bras gauche arrondi en corbeille, comme un bébé, et elle lui donnait le biberon. Lui tétait, goulûment, béatement. On sentait que le lait coulait à travers tout son corps, tiède et doux, onctueusement nourricier. C'était un chevreau bienheureux... Et tout à coup, comme un voile se déchire, un sentiment horrible m'envahit. Je dus crier, hurler, bouleversé par un désespoir que je ne pouvais, que je ne pourrais pas supporter. Aux questions, aux adjurations ne répondaient que mes plaintes et mes cris.

Impossible de me calmer. Je m'élançai vers la fenêtre. Je répétais : "Assez ! Assez !" Un jet froid me flagella les joues, me glaça odieusement le cou, les épaules, le coeur même. Mon oncle venait de me jeter un verre d'eau à la figure.

Pauvre bout d'homme, en proie déjà à ce drame personnel. Sentir ainsi de toutes ses forces, est-ce donc penser ? "Tout seul ! Tout seul ! Affreusement seul ! Tous ces gens de l'autre côté, qui acceptent, qui sont complices. Ils vont le tuer, le tuer ici, à la maison ! Comment les aimerai-je désormais, eux que j'aime ? Et moi, et moi, devrai-je donc accepter un jour ? Le faudra t-il ? Pourquoi ? Pourquoi ?"

Sans doute mon oncle avait-il cru bien faire. "Les grands moyens, n'est-ce pas ? Un verre d'eau va le calmer, c'est l'affaire d'un petit moment." Un moment ! Alors que tant et tant d'années... Me suis-je vraiment "calmé" ?

Ma mère m'emporta dans ses bras.

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