10 juin 2013

Truffes royales, de Katharine MacDonogh

Truffes royales
Histoire des animaux de cour
de Katharine MacDonogh

Jamais encore n’avait été publiée une véritable histoire des animaux de cour, surtout des chiens, bien qu’abondent témoignages, anecdotes et oeuvres d’art mêlant princes et bêtes. Ces compagnons à truffe se sont toujours révélés les plus fidèles des sujets pour leurs maîtres couronnés. Ils furent en outre des substituts de parents, d’enfants ou d’amis dans des familles royales où les émotions intimes trouvaient difficilement à s’exprimer entre humains.

Ainsi a-t-on vu Elisabeth II plus affectueuse avec ses corgis qu’avec ses fils. Plus loin dans le passé, la légende raconte que Thisbée, chienne de Marie-Antoinette, se serait suicidée après l’exécution de la reine. Dans un genre plus comique, on se souvient des lettres de Madame Palatine, belle-soeur de Louis XIV, sur les nombreux épagneuls ayant élu son lit pour territoire au point d’y mettre bas.

Il n’y avait qu’une Anglaise pour pouvoir raconter avec autant de précision que de truculence les épisodes de ce drôle de "règne" animal qui compte certes beaucoup d’exemples outre-Manche, mais aussi partout en Europe, et jusqu’à la cour de Chine.

Truffes royales, Katharine MacDonogh, Traduit de l'anglais par Danièle Momont, Editions Payot, janvier 2008, 352 pages, avec des photos au centre

A propos de l'auteur

L’historienne Katharine MacDonogh a longtemps vécu à Paris. Elle travaille désormais sur le séjour de Napoléon dans l’île d’Elbe, ce même Napoléon qui n’avait jamais pu supporter les carlins de Joséphine.

Au sommaire

- Dans le coeur des rois
- Préférences royales
- Tout pour leur bien-être
- Protecteurs et bourreaux
- L'origine des espèces

Pour en savoir plus

- Le site des Editions Payot
- Les animaux de l'Histoire, de Valérie de Lore
- Les animaux qui ont une histoire, de Michel de Decker
- Histoires insolites des animaux de Paris, de Rodolphe Trouilleux

La couverture de l'édition 2011, en format poche


Deux extraits du livre

Dans le coeur des rois

C'est dans les cours royales qu'on s'est d'abord entiché d'animaux de compagnie. Rehaussant l'éclat des maisons princières, ils témoignent à la Renaissance de l'ostentation de leurs maîtres ; ce sont alors de véritables articles de luxe. Mais l'on admet communément que les charmantes petites bêtes jouent surtout un rôle d'exutoire affectif. L'animal domestique devient le plus loyal des sujets, incapable de trahison et nourrissant envers son souverain des sentiments désintéressés. Lui seul est en communication permanente avec le roi.
Dans Le Livre de San Michèle, le médecin et écrivain suédois Axel Munthe explique : "Le chien ne peut pas dissimuler, ne peut pas tromper, ne peut pas mentir, parce qu'il ne peut pas parler. Le chien est un saint. [...] Un chien accepte joyeusement la supériorité de son maître [...]. Il regarde son maître comme son roi, presque son Dieu. [...] Son instinct lui dit lorsqu'il est indésirable ; il reste des heures couché tranquillement pendant que son roi travaille dur, comme travaillent souvent les rois, ou du moins comme ils devraient travailler. Mais lorsque son roi est triste et préoccupé, il sait que son heure est arrivée et il vient en rampant poser la tête sur son genou. - Ne te tourmente pas ! Tant pis s'ils t'abandonnent tous, je suis ici pour remplacer tous tes amis et me battre contre tous tes ennemis."
Dès leur plus jeune âge, les monarques vivent pour la plupart auprès d'animaux avec lesquels ils tissent, au cours de leur enfance privilégiée mais solitaire, des liens indéfectibles. Ces compagnons contribuent à atténuer les tensions inhérentes à la charge royale ainsi qu'à combler le néant qui ronge le coeur de la monarchie. Leur présence est un rempart contre l'ennui et la facticité de la vie de cour, régie par l'étiquette et le protocole. Les souverains, espèce à part entière, vivent parfois dans une telle symbiose avec leurs bêtes que la frontière entre l'humain et l'animal tend à s'estomper. Pour les femmes en particulier, le chien ou le chat fait souvent office d'enfant de substitution, jouissant à ce titre d'une tendresse maternelle qu'elles refusent à leur propre progéniture. L'animal n'est pas simplement humanisé ; il s'avère supérieur à l'homme.

Les enfants

Les enfants royaux côtoient des animaux dès leur naissance ; à tel point que la future reine Victoria manque voir le jour au milieu d'une horde de chiens de manchon lorsque, en 1819, la duchesse de Kent, alors enceinte de huit mois, arrive en Angleterre à bord d'une berline de voyage grouillant de petits toutous. Puisque les souverains tiennent tant à leurs bêtes, ils y accoutument natu­rellement leurs héritiers. Mais c'est aussi d'éducation qu'il s'agit : les princes doivent apprendre à chasser afin de se préparer à faire la guerre, triompher de leurs peurs, endurcir leur coeur aux accidents comme aux dangers qui ne tarderont pas à les menacer, et c'est en général à califourchon sur un chien qu'ils prennent leurs premières leçons d'équitation. Vers quatre ans, ils passent au poney. Les futurs rois se trouvent en outre séparés, par la force des choses, de la plupart des enfants de leur âge et on les dissuade de se lier trop intimement avec les rares bambins qu'ils côtoient. Quant à la négligence de leurs parents, elle ne fait qu'accentuer ce vide émotionnel. Evoquant son enfance, le duc de Windsor - ex-Edouard VIII ayant abdiqué en 1936 - remarque que "les rois et les reines ne sont pères et mères qu'en deuxième lieu". Il est fréquent qu'une telle carence affective se traduise par des troubles psychosomatiques dont seuls les animaux familiers ne font aucun cas.

La note de lecture d'Audrey Millet

Paru en 2008 aux Editions Payot et Rivages, l’ouvrage de Katharine MacDonogh est aujourd’hui disponible en livre de poche. L’historienne anglaise nous propose un petit livre original et amusant.

Dans un premier chapitre l’auteure insiste sur la place des animaux de compagnie, en particulier des chiens, au sein des cours royales. Articles de luxe, ils reflètent l’ostentation des maîtres mais Katharine MacDonogh souligne également le rôle d’exutoire affectif de l’animal. Sujets loyaux, incapables de trahison et aux sentiments désintéressés, les compagnons à truffes entourent les souverains dès leur plus jeune âge. L’affection à leur progéniture rompue par le métier de reine est transférée sur l’animal humanisé. Chien goûteur, chat mangeur de souris, caniche teneur de traîne à Versailles, ami de l’exil ou encore remplaçant du mari désintéressé : il occupe une fonction utilitaire. C’est jusqu’au dernier souffle qu’il accompagne son maître comme l’illustre la demande de Jean-Galéas Sforza, sur son lit de mort, d’avoir ses lévriers à son chevet. Ajoutons que certains animaux bénéficient des "Préférences royales" (Chapitre 2). Alors qu’au XVIe siècle le nombre de races est relativement limité et les animaux choisis pour leur fonction plutôt que pour leurs caractéristiques physiques, une hiérarchie des genres se met peu à peu en place : chien de chasse, chien de salon…

Lorsqu’on aime, on ne compte pas ! Nous le savons, un chien peut aujourd’hui posséder sa propre garde-robe. Pourtant, l’activité n’est pas nouvelle. En effet, les peintures et les tapisseries de la Renaissance portent les stigmates des modes canines : harnais ornés de joyaux et colliers de velours, de cuir, de soie des épagneuls mettent en scène les cadeaux somptueux des maîtres. Toujours au XVIe siècle s’affirme la mode du manteau d’apparat mais les noeuds, les pendants d’oreilles et autres accessoires derniers cris ne sont pas en reste. Evidemment, les soins et le toilettage, les coussins et les niches de luxe apportent la touche finale à cette culture des apparences canines. Pour un compagnon aussi important, il est également nécessaire de concocter un menu fastueux. C’est pourquoi il n’est pas rare qu’un chien mange à la table de son maître une viande rôtie et une brioche accompagnée de lait. Bichonner son animal est une aussi une manière de se soigner. Il est le miroir de son propriétaire et de sa noblesse.

Les gens de cour, et plus particulièrement les souverains, sont donc les premiers défenseurs de la cause animale (Chapitre 4). En effet, ils sont à l’origine des premiers mouvements de lutte contre les mauvais traitements qui leur sont infligés. Si à la fin du XVIIIe siècle, la distinction entre médecin et vétérinaire reste particulièrement floue, les apothicaires délivrent des remèdes identiques aux animaux et aux hommes. Une attention particulière est d’ailleurs portée à la mise bas à une époque où la mortalité infantile est élevée. Toutefois, les animaux sont aussi les victimes des détracteurs de leurs maîtres. Lors de la première vague d’émigration de la Révolution Française, abandonnés, ils sont brulés en place de Grève. Tuer le chien, c’est tuer le maître et ce qu’il représente.

Dans un cinquième et dernier chapitre, Katharine MacDonogh explique l’importance des échanges de cadeaux entre cours permettant ainsi de tisser des liens commerciaux, diplomatiques et familiaux. Cadeaux courants lors des fiançailles, les chiens et les chats établissent une relation sentimentale entre les protagonistes qui, bien souvent, ne se connaissent pas. Un commerce et des élevages naissent alors pour assouvir ce besoin d’affection et d’ostentation.

Entre l’édition de 2008 et celle de 2011, l’ouvrage a perdu une partie de son titre : Truffes royales. Il aurait été souhaitable de le garder afin de ne pas induire en erreur un lecteur qui pouvait espérer croiser des perroquets ou autres animaux exotiques. Les sociétés occidentales considèrent comme acquise la compagnie des animaux. Pourtant, c’est après plusieurs siècles que le chien trouve sa place dans nos maisons. Il est regrettable que cet ouvrage n’évoque pas des acteurs plus communs que la reine Victoria ou Louis XIV. Placer l’animal dans une histoire de la production, de la circulation, des échanges, de la consommation et saisir les rapports entre les usages et les représentations aurait été préférable. Toutefois, Histoire des animaux de cour peut amuser le lecteur et lui fournira quelques informations sur un volet de la culture matérielle et des apparences malgré un ensemble très inégal.

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