03 août 2010

Les animaux de l'Histoire, de Valérie de Lore

Les animaux de l'Histoire
de Valérie de Lore
préface de François Cavanna

Au cours des siècles, certains Rois, ainsi que des Reines, des musiciens, des peintres, des poètes, des auteurs, ont aimé les animaux. D'autres pas. Les "Animaux de l'Histoire" nous parlent de ces personnages célèbres et de leurs animaux familiers.

Grande amie des animaux et de la nature, Valérie de Lore a renoncé au métier de cinéaste pour mettre son goût de l'écriture au service de la détresse, tant humaine qu'animale.

Les droits des "Animaux de l'Histoire" seront partagés de manière à pouvoir aider la Fédération Nationale des Ecoles de chiens guides d'aveugles et les refuges d'animaux.

Les animaux de l'Histoire, Valérie de Lore, Editions Tourne-Feuilles, 1991, 224 pages

Le mot de l'auteur

Vénérés ou haïs, les animaux ont été de tous temps intimement liés à l'Histoire des hommes. Les découvrir au cours des siècles, c'est apprendre non seulement à les connaître et à les aimer, mais c'est aussi s'acheminer vers plus de justice, vers plus de bonté.

Valérie de Lore

Quelques mots de Pierre Desnoyers

Les histoires de Valérie de Lore ne sont pas uniquement charmantes, amusantes, parfois tragiques. Elles sont aussi le témoignage du rôle civilisateur de l'animal. Notre animalité commune a construit un passé. De cette animalité indissociable, que naîtra-t-il demain ? "L'urbanimalisation" au sens du respect de la vie animale sous toutes ses formes, voilà le grand défi des années à venir. Le XXIe siècle sera "urbanimalisé" ou ne sera pas.

Pierre Desnoyers
Fédération Nationale des Ecoles de chiens guides d'aveugles

Voir également

- Les animaux qui ont une histoire, de Michel de Decker
- Animaux 1989, d'Allain Bougrain-Dubourg et Brigitte Bulard-Cordeau
- Histoires insolites des animaux de Paris, de Rodolphe Trouilleux

La préface, signée François Cavanna

Les animaux n'ont pas d'Histoire.

L'Histoire ne veut connaître que les hommes. S'ils y montrent parfois le bout du museau, ou du sabot, ou de la trompe, comme les éléphants d'Hannibal, le cheval d'Alexandre ou les oies du Capitole, les animaux n'y apparaissent qu'anecdotiquement, en tant que fidèles compagnons, bêtes de somme ou sauveurs occasionnels. Sans l'avoir voulu, ils participent aux guerres des hommes, y souffrent et y meurent en masse, cela n'a jamais ému les historiens. On nous vante le glorieux sacrifice des cuirassiers de Reichshoffen, on ne nous dit rien des milliers de chevaux massacrés. On nous montre les chrétiens dévorés par les lions, on ne nous dit pas qu'on laissait d'abord presque mourir de faim les lions, et qu'après le spectacle on les tuait, à leur tour, dans la coulisse. Si l'on nous présente les petits chiens de Henri III, c'est pour mieux se moquer de ses manières efféminées...

Les animaux n'ont pas d'Histoire, parce que les animaux ne font pas de politique, ni de guerre, n'ont pas d'ambition, ne savent pas ce que c'est que l'honneur, la patrie, la gloire et toutes ces chimères qui mènent les hommes, en font des héros et des assassins.

Les animaux ne sont qu'innocence et amour. Ils n'intéressent pas l'historien.

Cavanna.

Quelques extraits choisis

Le chien de Lord Byron (p19-p20)

Au cours d'une promenade dans les montagnes d'Ecosse, Lord Byron fut surpris par l'un de ces brouillards impénétrables qui sont une particularité de ce pays.
La visibilité s'étant réduite à quelques mètres à peine, il perdit rapidement son chemin, ne sachant plus si ses pas le dirigeaient au nord ou au sud. Inquiet, il continua malgré tout sa route, espérant trouver un abri. Mais brusquement son pied se prit dans une touffe de bruyère et, perdant l'équilibre, il tomba dans un ravin.
Son chien, un dogue magnifique, d'une force exceptionnelle, eut le réflexe extraordinaire de l'attraper par son habit et freina la chute autant qu'il le put. Cela permit à Lord Byron d'agripper une grosse racine à laquelle il s'accrocha de toutes ses forces.
Jugez de son effroi lorsque le brouillard se fut dissipé et qu'il se vit suspendu au-dessus d'un précipice, dont il pouvait à peine mesurer la profondeur. Après maintes tentatives infructueuses pour remonter, il prit le parti de descendre jusqu'au fond, et passa là une nuit terrible, pensant surtout à l'inquiétude dans laquelle devaient se trouver les siens.
Il faisait affreusement froid et Byron ne pouvait s'empêcher de grelotter. "Ralph" se coucha alors tout contre son maître, pour le réchauffer. Au matin une faim cruelle les tenaillait tous les deux. Prenant soudain son élan, le chien se mit à escalader la paroi. Se croyant abandonné le lord ne put retenir ses larmes, il était désespéré et ne voyait pas d'issue à la situation. Et pourtant... une heure plus tard le chien était de retour, tenant dans sa gueule un morceau de pain qu'il déposa devant son maître. Byron pleura à nouveau, mais cette fois c'était le remords d'avoir douté de son ami qui lui faisait verser des larmes. Une idée lui vint. Il griffonna un billet dans lequel il raconta sa mésaventure et l'attacha au cou de l'animal, en priant pour que celui-ci retourne chercher du pain lorsqu'il aurait faim.
Ce fut en effet ce qui se passa. Vers le soir, Ralph s'élança une nouvelle fois à l'assaut de la paroi, et une heure plus tard il rapportait un autre quignon de pain. Les secours le suivaient de peu, Lord Byron put ainsi passer la nuit suivante bien au chaud dans son lit.

L'araignée de Pelisson (p150-p151)

Pelisson, l'homme de lettres, pour avoir témoigné publiquement de sa fidélité à Fouquet, son ancien protecteur, tomba en disgrâce et fut mis à la Bastille par ordre de Louis XIV.
Des consignes sévères ayant été données pour le régime de sa détention, on alla jusqu'à le priver des joies que fournit l'étude à un homme intelligent. On lui ôta livres, papier et encre. Il fut obligé de se contenter de la seule société d'un prisonnier Basque, stupide et morne, qui ne savait que jouer de la musette.
Pour vaincre son ennui, il s'inventa une occupation originale. Une araignée faisait sa toile à l'entrée d'un soupirail qui donnait du jour à la cellule ; il entreprit de l'apprivoiser. Pour cela, il déposait des mouches sur le rebord de l'ouverture, tandis que le Basque soufflait dans son instrument. Peu à peu l'araignée, comme subjuguée par la musique, s'accoutuma à sortir de son trou lorsque le musicien se mettait à jouer ; ensuite Pelisson posait sa mouche et l'araignée se précipitait pour s'en saisir. Il continua à l'appeler toujours de la même façon, mais en éloignant petit à petit sa proie. Il parvint, après plusieurs mois, à si bien discipliner l'insecte que celui-ci partait dès les premières notes chercher l'appât, qui parfois avait été placé au fond de la pièce, et d'autres fois sur les genoux mêmes du détenu.
Le gouverneur de la Bastille vint un jour voir Pelisson et lui demanda, avec un méchant sourire, à quoi il passait son temps. L'écrivain, d'un air serein, lui dit qu'il avait su se trouver un amusement, et donnant le signal il fît aussitôt venir l'araignée sur sa main. Le gouverneur ne l'eut pas plus tôt vue qu'il la fît tomber et l'écrasa du pied. "Ah ! monsieur, s'écria Pelisson, j'aurais mieux aimé que vous m'eussiez cassé le bras."
L'action était cruelle, en effet, elle ne pouvait venir que d'un homme sans coeur. Le roi en fut Informé. Il jugea par ce trait du caractère de l'individu, et lui ôta son emploi.

[A noter qu'il y a dans ce livre une autre histoire au sujet d'une araignée qui sortait de sa cachette au son du violon (et sans nourriture en jeu) et qui restait là à écouter... Les araignées seraient-elles mélomanes...?]

Le rat aveugle (p220-p221)

En 1757, Monsieur Puddew, aide-chirurgien â bord du vaisseau "Lancaster", écrivit cette note dans le "Journal Encyclopédique" :
"J'étais ce matin dans mon lit et je lisais. Je fus interrompu tout à coup par un bruit semblable à celui que font des rats qui grimpent entre une double cloison, et qui essayent de la percer.
Le bruit s'arrêtait de temps en temps, puis recommençait. Je n'étais qu'à deux pas, je me mis donc à observer attentivement.
Bientôt apparut un rat sur le bord du trou qu'il venait de pratiquer dans la paroi. Il regarda sans faire aucun bruit, et après avoir aperçu ce qui lui convenait il se retira. Un instant plus tard je le vis reparaître, conduisant par l'oreille un autre rat, plus gros que lui et qui paraissait vieux. Il le laissa sur le bord de l'ouverture.
Un autre jeune rat rejoignit alors le premier et tous deux se mirent à parcourir la chambre, ramassant des miettes de biscuit qui, au souper de la veille, étaient tombées de la table. Ils les portèrent ensuite au vieux rat. Une telle attention de la part de ces animaux m'étonna. J'observai plus attentivement et je m'aperçus que le plus âgé était aveugle, et qu'il ne trouvait qu'en tâtonnant la nourriture qu'on lui présentait. Ainsi les deux jeunes, qui devaient sans nul doute être les petits de l'aveugle, étaient aussi ses pourvoyeurs assidus et fidèles.
Je ne pus dès lors plus considérer de la même façon ces animaux, jusque là abhorrés.
Je suivais leur manège avec admiration lorsque quelqu'un entra.
Les deux jeunes rats poussèrent aussitôt un petit cri pour avertir celui qui ne voyait pas, et malgré leur frayeur ils ne voulurent pas se sauver avant qu'il ne fut en sûreté.
Ils ne rentrèrent qu'après lui dans le trou, lui servant, si on peut dire, d'arrière garde."

Parade (p222-p223)

Cette historiette figurait, en l'an VI (1798), dans le "Moniteur Universel" (journal officiel de la République Française).
"Un chien vient chaque jour prendre part à la parade qui se déroule devant les Tuileries.
L'animal s'installe entre les jambes des musiciens, il se met en marche avec eux et lorsqu'ils s'arrêtent il s'arrête aussi, mais sitôt la parade finie il disparaît jusqu'au lendemain, où il revient à la même heure se mettre à sa place habituelle.
Les musiciens, qui ont décidé de l'adopter, l'ont appelé "Parade", ils ont même pris l'habitude de l'inviter à dîner, tantôt chez l'un tantôt chez l'autre.
Celui qui l'invite dit en le caressant : "Parade, ce soir tu viendras dîner chez moi." Il n'en faut pas davantage, le chien suit aussitôt son hôte. Il est toujours satisfait de ce qu'on lui donne et mange de fort bon appétit, mais après son repas, constant dans ses goûts comme dans son indépendance, l'ami Parade prend congé sans que rien ne puisse le retenir. Il se rend ensuite à l'Opéra ou à la Comédie Italienne, et va même parfois au théâtre Feydeau. Il entre alors sans façon dans l'orchestre, s'installe dans un coin et ne ressort jamais avant que le spectacle soit fini.
On ne saura sans doute jamais à qui appartient ce chien. Probablement s'appartient-il à lui-même car, ayant arrangé sa vie de façon à avoir, pour ses besoins matériels, son couvert mis chez l'un ou chez l'autre, et une double ration musicale pour ses besoins intellectuels, il peut très bien se passer de maître."

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