06 août 2010

Les chats de hasard, d'Anny Duperey

Les chats de hasard
d'Anny Duperey

Récit


"Il m'est venu l'envie d'écrire un livre doux. Pas vraiment sur les bêtes mais plutôt autour, à propos des rapports que nous avons avec certaines d'entre elles. Pourquoi avons-nous une telle faim de leur tendresse, de leurs qualités particulières ?

Envie de rendre hommage, aussi, à ces personnes animales rares qui accompagnent parfois un temps notre existence et y apportent paix et simplicité."

Anny Duperey

Les chats de hasard, Anny Duperey, Editions Seuil, 1999, 124 pages

L'avis du site Les voyages immobiles de Madame Charlotte
Cliquez sur le lien pour voir sa présentation complète.

Tendre et drôle, dur et poignant, ce livre est avant tout un hommage aux chats, et va au-delà de la simple autobiographie. Toutefois, il faut aimer les animaux pour comprendre son attachement aux chats en particulier, la relation spéciale qui peut exister entre l’homme et l’animal.
Le récit de la mort de ses chats de hasard et les réactions de sa famille prend à la gorge durant plusieurs pages, et vous donne envie d’aller câliner votre chat frénétiquement.
À lire par tous les amis des "personnes-animales".

Quelques extraits

Page 16 ./. Il n'est même pas besoin que je parle de tout ce qui vit en cage, en totale dépendance, grosses ou petites bêtes à poil ou à plume de n'importe quelle couleur. Non, ce n'est pas pour moi. Un écureuil tournant névrotiquement sans fin dans sa roue, la tristesse d'un petit oeil fixé sur vous derrière une grille... La vue seule de cet emprisonnement me fait mal. Je n'y peux trouver aucun plaisir, si beau soit le plumage ou si belle la fourrure. Les barreaux sont toujours des barreaux et les chaînes des chaînes. Le spectacle de la sujétion forcée me rend triste et m'amoindrit, il me rappelle que je suis de la race des geôliers. Je ne veux pas de ce rôle-là non plus. ./.

Page 47 ./. Accepter qu'une bête entre dans sa maison, s'y installe à demeure, inclut du même coup l'engagement de lui rendre la vie la meilleure possible, suivant ses moyens, de l'aimer et d'en prendre soin jusqu'à sa mort, quoi qu'il arrive. C'est comme un mariage ou une véritable adoption. Si c'est un chat ou un chien on "en prend" pour 15 ou 20 ans. C'est dire si c'est grave et s'il faut bien réfléchir avant d'ouvrir sa porte et son coeur. Rien ne doit être fait ou décidé à la légère. Dans cette optique, c'est une personne à part entière qui va s'installer chez vous, une personne-chat, une personne-chien ou une personne-cheval, en tout cas quelqu'un dont il faut découvrir le caractère, avec ses qualités et ses défauts, et avec qui il faut chercher à avoir une relation particulière, parfois surprenante, l'entretenir et l'enrichir ensuite - sans parler des soins physiques.

Page 63 ./. [En compagnie de Jean Mercure, comédien] Puis, comme je lui avais fait à déjeuner, nous en vînmes, entre autres sujets de conversation, à parler de la nourriture. La qualité de la nourriture le préoccupait beaucoup.
"Fais très attention à ce que tu manges...", me dit-il soudain.
Puis il me raconta gravement qu'on lui avait demandé de prendre position contre l'exploitation industrielle de veaux en batterie. Ne voulant pas donner sa signature à la légère - y a-t-il quelque chose que Jean faisait à la légère ? - il avait souhaité se rendre compte par lui-même en visitant un élevage.
"Tu ne peux pas savoir, c'est terrible..."
Sa voix s'était soudainement cassée, et à ma grande stupéfaction je vis ses yeux se remplir de larmes. De vraies larmes.
"Ils sont dans le noir, tu comprends ? Ils ne peuvent pas bouger. On les attache les pattes écartées pour que leurs déjections ne les souillent pas. Et quand tu entres là-dedans, qu'une porte s'ouvre et qu'un rayon de lumière s'infiltre dans leur nuit, toutes les têtes de ces pauvres bêtes se tendent ensemble vers la clarté, le cou tordu, l'oeil désespérément écarquillé, suppliant, vers la porte ouverte. Vivre dans le noir, sans pouvoir bouger ni se coucher... Quelle horreur, quelle souffrance ! Te rends-tu compte ? Jamais je n'oublierai les regards de ces bêtes vers moi..."
Puis, ayant contenu son émotion, il poursuivit :
"Mais nous allons le payer cher, tu sais. Les hommes paieront très cher les souffrances qu'ils infligent aux animaux. On ne fait pas tant d'atrocités, on ne provoque pas tant de douleur impunément. Vont apparaître des maladies, dégénérescences, il y en a déjà, et d'autres choses encore... Je suis persuadé que la souffrance reste inscrite dans la chair, dans les gènes. Elle marque, elle empoisonne, elle se transmet. Et nous, les bourreaux, qui mangeons cette chair imprégnée de souffrance, cette chair torturée par nous, nous le paierons, oui..."
Puis il me parla de sa révolte concernant la façon dont on disposait de la vie animale, de ne pas reconnaître ses droits.
Jean était un homme aux yeux ouverts. Sa sensibilité, son intelligence et sa lucidité appréhendaient le beau, l'enthousiasmant autant que l'horrible et le désespérant. A 80 ans passés, il voyait tous les spectacles, il suivait passionnément les événements artistiques et autres. Et aussi il pleurait sur la tragédie que vivent les animaux en batterie et sur les massacres des peuples. Il se tenait au courant de tout et il était traversé par tous les drames du monde. Il pensait aussi que l'on vit trop vieux, maintenant...
Jean a usé du grand privilège réservé aux humains : pouvoir choisir l'heure de sa mort. J'ai appris voilà quelques jours qu'il s'est suicidé avec sa femme Jandeline, la compagne de toute sa vie. Suicide concerté, préparé de sang-froid, peut-être depuis longtemps. Il aurait dit à l'un de ses amis, qui souhaitait le voir la semaine suivante et qui n'a pas compris bien sûr le sens définitif de la réponse de Jean : "Non, désolé, nous ne pourrons pas nous voir. Mardi nous serons partis..."
Ils ont choisi de quitter ce monde dignement, ensemble, en toute connaissance de cause, à leur heure et à leur manière. On ne peut guère "placer la barre" plus haut. Est-ce pour éviter d'être victimes de la vieillesse, de subir une dégénérescence inévitable et peut-être une séparation si la mort venait à emporter l'un d'eux, laissant l'autre seul ? Ou bien a-t-il choisi de quitter ce monde parce que l'horrible était en train de l'emporter sur le beau ?
En tout cas, voilà ce qu'il m'avait dit sur la souffrance des bêtes. Et je l'ai vu pleurer pour cela. Il ne le dira plus, il ne pleurera plus. J'aime à le transmettre en souvenir de lui.
Au revoir, Jean.

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2 commentaires:

Floria a dit…

J'adore les chats, si il existe en poche je l'achete ^^

Animalia a dit…

Il existe en format poche, Editions du Seuil, Collection Points.