Au risque d'aimer
Des origines animales de l'attachement
aux amours humaines
de Claude Béata
préface de Boris Cyrulnik
Des origines animales de l'attachement
aux amours humaines
de Claude Béata
préface de Boris Cyrulnik
Aimer est une aventure dangereuse. Chacun en est conscient et pourtant, tous nous préférons prendre le risque d'aimer plutôt que de vivre sans. Mais pourquoi ?
Dans ce livre, Claude Béata nous invite à un voyage unique au coeur du phénomène universel de l'attachement en prenant le temps de visiter beaucoup d'espèces animales sans jamais oublier l'être humain.
De l'amour maternel débordant des chattes au deuil sans oubli des éléphants, des amitiés indéfectibles des dauphins à la jalousie violente des singes, de la loyauté parfois pathologique des chiens à l'apparente fidélité exemplaire des oiseaux, toutes les étapes du voyage révèlent le foisonnement de la vie et l'importance du lien, mais aussi la continuité entre les espèces sans nier la singularité de notre condition humaine.
Mêlant les faits scientifiques les plus pointus et les anecdotes, alliant l'humour et l'analyse, ce livre traite donc de ce sujet qui est au coeur de la vie de chacun et à la base de la souffrance de beaucoup : l'amour, de ses racines biologiques à ses conséquences les plus imprévisibles et parfois les plus amusantes.
Au risque d'aimer, Claude Béata, Préface de Boris Cyrulnik, Editions Odile Jacob, mai 2013, 336 pages
A propos de l'auteur
Claude Béata est vétérinaire comportementaliste et membre du Collège européen de médecine vétérinaire comportementale. Spécialiste de l'attachement, il a publié plusieurs ouvrages, dont "La psychologie du chien", qui a eu beaucoup de succès.
Pour en savoir plus
- Ce lien où vous pourrez feuilleter le livre
- Un entretien vidéo avec l'auteur - émission "Dans quelle éta-gère..." du 18.06
- Cette note de lecture de Cathie Fidler
- Le site des Editions Odile Jacob
- Des livres de Boris Cyrulnik
La note de lecture de Victor Delatour
Source
Ce livre s’ouvre sur une scène poignante. Dans la salle d’attente du vétérinaire, un petit chien tremblant se blottit contre sa maîtresse. Elle pleure. Elle vient pour le faire piquer. Lui se colle contre elle et regarde avec méfiance, sans comprendre ce qui se passe, la blouse blanche qui s’avance vers lui. L’animal doit être euthanasié car c’est le seule remède au mal incurable qui ronge l’animal : le mal d’aimer. Ce mal d’aimer se manifeste par un attachement excessif et exclusif. Lorsque sa maîtresse part à son travail, le chien hurle et geint dans l’appartement tout le jour durant et il dévaste tout. Une seule alternative se présente : soit l’abandonner, soit mettre fin à ses souffrances.
Ce chien a un comportement typique des animaux en détresse en l’absence de leur maître. Les comportements perturbés (aboiements plaintifs et destruction) sont les causes principales des abandons et des euthanasies des chiens de compagnie de moins de deux ans. Ce chien n’aspire qu’à une seule chose : être avec sa maîtresse, la garder à portée de vue, la sentir proche, se faire caresser… Pour lui, ce contact compte plus que la nourriture ou le confort. Des chiens comme celui-ci, qui souffrent du "mal d’aimer", Claude Béata, vétérinaire, en a vu des centaines. Son livre est consacré à l’attachement : "des origines animales aux amours humaines". L’attachement est un mécanisme universel qui relie entre eux les humains, les chiens, les chats, les chevaux, les brebis, les dauphins et bien d’autres espèces encore. Un lien qui peut relier aussi les êtres par delà la frontière des espèces, comme c’est justement le cas entre un humain et un chien, un chat ou un cheval. Comme c’est le cas parfois entre un chat et un chien, espèces pourtant réputées hostiles.
L’attachement se manifeste par des signes caractéristiques : la recherche de proximité avec l’être aimé, le sentiment de manque quand il n’est pas là, le plaisir des retrouvailles (les sauts de joie, les câlins caractéristiques). Cet attachement est d’abord protecteur : il permet au petit de rester collé à proximité de ses parents et ses proches. Mais il sera également la base pour conquérir son autonomie. C’est lorsqu’il a été convenablement sécurisé par un attachement fort à une personne ou un groupe qui sert de "port d’attache", que le petit animal peut s’aventurer parfois hors de son univers protecteur. A l’inverse quand l’attachement est perturbé, le comportement devient pathologique. Il peut se transformer en une souffrance et un mal inguérissable. Comme c’est le cas pour ce chien trop malheureux lorsque sa maîtresse s’en va.
Claude Béata explore dans ce livre les multiples facettes de l’attachement : ses fondements évolutifs, ses fonctions, ses racines biologiques, les formes qu’il prend chez différentes espèces, ses pathologies, le cycle de vie des sentiments associés - amour passion, amour parental ou amitié… Autant de formes qui existent aussi dans d’autres espèces animales. Il le fait avec une clarté remarquable, la rigueur restant alliée à une grande ouverture d’esprit : jamais les données scientifiques ne prennent le pas sur l’observation et le doute. Mais son livre est aussi émaillé de récits touchants : celui d’un perroquet jaloux, d’un chien inconsolable, d’une amitié indéfectible entre un garçon et son petit hamster.
C’est ce qui rend aussi ce livre très… attachant.
Victor Delatour
Au sommaire
- Préface de Boris Cyrulnik
- Introduction
Chapitre 1 : La force d'aimer
- Plus près de toi...
- Si tu m'aimes, je peux m'en aller...
- Tous attachés, aucun de la même façon
- L'empreinte des oiseaux et l'amour des perroquets
- Attaché au triple galop
- Ronronner de plaisir ?
- Attaché même sans collier
- Un attachement gros comme ça
- Un océan d'amour
- Si proches, si proches
Chapitre 2 : La nécessité d'aimer
- Le finalisme interdit, la finalité permise
- Des histoires attachantes
- Une histoire de sens pour donner sens à l'histoire
- Mappy fait de la résistance
- Highway to hell
- Nirvana
- La vie n'est pas un long fleuve tranquille
- L'amygdale au centre de tout !
- Les véhicules de l'attachement
- Racine de tout, mère de peu
Chapitre 3 : La liberté d'aimer
- Nature ou culture ?
- Maternité et paternité
- Empathie
- A chacun son attachement
Chapitre 4 : La beauté d'aimer
- Portes ouvertes
- Parce que c'est lui, parce que c'est moi
- No limit
- La critique de la raison pure
- Les quatre mousquetaires
- "Tu es mon chat, je suis ton humain"
- Des millions d'adoptions
- Tuteur ou tu meurs...
- Une valse à trois temps
- La bête humaine
- Fidèle, fidèle...
- Campagnols en campagne
- Just a jealous guy...
- A cause de la couleur du blé
Chapitre 5 : Le risque d'aimer
- "De quel amour blessée, vous mourûtes
aux bords où vous fûtes laissée..."
- Sans amour, on n'est rien du tout...
- S'il suffisait qu'on aime, s'il suffisait d'aimer...
- Aimer même trop, même mal...
- Epilogue
- Notes bibliographiques
Sans amour et sans peine, pourrait-on vivre quand même ?
J'ai connu l'époque où l'on nous enseignait que l'affect était une pollution de l'esprit scientifique. Pour faire une bonne observation médicale, nous disait-on, il ne faut s'intéresser qu'aux faits. Mais on ne nous expliquait pas que celui qui établit un fait scientifique est une personne constituée par son histoire et son contexte culturel.
Il se trouve qu'aujourd'hui, l'affect est devenu un objet de science qui nous permet de découvrir le nouveau continent de l'affectivité. Claude Béata est un des tout premiers vétérinaires explorateurs de cette terre inconnue où les animaux nous aident à comprendre comment se tisse un attachement.
Comment voulez-vous, rétorquent certains, que des animaux, machines biologiques, nous fassent concevoir le délicat sentiment éthéré de l'amour ? Eh bien, répond Claude Béata, c'est que les animaux ne sont plus des machines depuis longtemps. Nous avons découvert le cerveau de leurs émotions et de leur mémoire. Depuis Darwin, nous savons comment ils expriment leurs élans affectifs pour s'approcher de ceux qu'ils aiment, les fuir ou les menacer quand ils ont inscrit dans leur mémoire une expérience difficile.
En partant à la découverte des mondes mentaux des animaux, nous les comprenons mieux et, de ce fait, nous mettons en lumière ce que nous partageons et ce qui nous différencie.
Que nous soyons oiseaux ou mammifères supérieurs, comme les dauphins, les chiens, les chats, les singes et les êtres humains, quand un accident de l'existence nous prive de la possibilité de nous attacher à un autre, tous nos développements se bloquent parce que nous appartenons à une espèce où un individu a besoin d'un autre pour devenir lui-même. Mais pour observer un lien qui se tisse entre deux organismes, entre deux mondes mentaux, nous devons adopter une attitude qui intègre des connaissances variées, neurologiques, émotionnelles, comportementales et culturelles.
Claude Béata raconte dans un langage très simple qui n'exclut pas la rigueur scientifique, l'histoire poétique de Salsa le perroquet mathématicien qui ne peut se séparer d'une femme, de Chiquita la chatte mère d'Hermione et du poulain qui s'attache au triple galop. Ces anecdotes amusantes permettent à l'auteur d'illustrer quelques découvertes scientifiques récentes et d'éclairer des problèmes philosophiques fondamentaux : la cortisone que sécrètent les hommes et les animaux ne peut plus expliquer tous les dégâts cérébraux provoqués par l'excès de stress. Quelques neuromédiateurs comme la tendre ocytocine ou la vigoureuse vasopressine deviennent à leur tour des vedettes culturelles que tout le monde cite pour expliquer ses sentiments.
La condition animale nous aide à mieux cerner la condition humaine. De nombreux penseurs croient encore que l'homme se caractérise par la conscience de sa mort. Les éléphants ne sont pas d'accord puisqu'ils s'inhibent en présence d'un cadavre de congénère. Ils perçoivent "le" mort et se représentent "la" mort puisqu'ils couvrent son corps de branchages. Ils reviennent plus tard sur le site de cette "sépulture" et gémissent devant les restes tandis que les petits gambadent autour des parents endeuillés.
Même l'interdit de l'inceste, fondateur de la culture humaine, est contesté par les animaux. Dans l'ensemble du monde vivant, existe un processus qui tend à disperser les gènes. En milieu naturel les animaux apparentés s'accouplent rarement. Dès la puberté, les jeunes, périphérisés, chassés du groupe, sont contraints à s'accoupler au loin. Mais s'il arrive qu'ils aient des relations sexuelles et qu'un oracle dise à Oedipe-animal "tu as fait trois enfants à ta mère", il ne se crève pas les yeux. En effet, l'inhibition de l'accouplement entre proches que les humains appellent "inceste" est un processus émotionnel, alors que l'interdit de l'inceste énonce dans la verbalité la rencontre sexuelle désignée comme un crime.
Il paraît que 5 millions d'Anglais (et 17.000 Français) se sont demandé pourquoi les campagnols des plaines formaient des couples fidèles, alors que lorsqu'ils vivent en montagne, ils forment des couples instables. Les Anglais demanderaient-ils conseil à ces petits rongeurs pour expliquer leurs propres tracas ?
J'ai rencontré Claude Béata, peu après sa sortie de l'école vétérinaire, alors qu'il commençait déjà ses recherches sur les troubles des comportements des animaux. J'étais déjà charmé par sa gaieté, sa clarté et sa rigueur scientifique. C'est un enseignant très demandé parce que dans ses cours, comme dans ce livre, il alterne les belles images de films animaliers, de fortes idées scientifiques et d'intenses éclats de rire.
Alors, pourquoi se priver du "gai-savoir" qu'il nous propose ?
Dans ce livre, Claude Béata nous invite à un voyage unique au coeur du phénomène universel de l'attachement en prenant le temps de visiter beaucoup d'espèces animales sans jamais oublier l'être humain.
De l'amour maternel débordant des chattes au deuil sans oubli des éléphants, des amitiés indéfectibles des dauphins à la jalousie violente des singes, de la loyauté parfois pathologique des chiens à l'apparente fidélité exemplaire des oiseaux, toutes les étapes du voyage révèlent le foisonnement de la vie et l'importance du lien, mais aussi la continuité entre les espèces sans nier la singularité de notre condition humaine.
Mêlant les faits scientifiques les plus pointus et les anecdotes, alliant l'humour et l'analyse, ce livre traite donc de ce sujet qui est au coeur de la vie de chacun et à la base de la souffrance de beaucoup : l'amour, de ses racines biologiques à ses conséquences les plus imprévisibles et parfois les plus amusantes.
Au risque d'aimer, Claude Béata, Préface de Boris Cyrulnik, Editions Odile Jacob, mai 2013, 336 pages
A propos de l'auteur
Claude Béata est vétérinaire comportementaliste et membre du Collège européen de médecine vétérinaire comportementale. Spécialiste de l'attachement, il a publié plusieurs ouvrages, dont "La psychologie du chien", qui a eu beaucoup de succès.
Pour en savoir plus
- Ce lien où vous pourrez feuilleter le livre
- Un entretien vidéo avec l'auteur - émission "Dans quelle éta-gère..." du 18.06
- Cette note de lecture de Cathie Fidler
- Le site des Editions Odile Jacob
- Des livres de Boris Cyrulnik
La revue du jour, par Jacques Munier
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La note de lecture de Victor Delatour
Source
Ce livre s’ouvre sur une scène poignante. Dans la salle d’attente du vétérinaire, un petit chien tremblant se blottit contre sa maîtresse. Elle pleure. Elle vient pour le faire piquer. Lui se colle contre elle et regarde avec méfiance, sans comprendre ce qui se passe, la blouse blanche qui s’avance vers lui. L’animal doit être euthanasié car c’est le seule remède au mal incurable qui ronge l’animal : le mal d’aimer. Ce mal d’aimer se manifeste par un attachement excessif et exclusif. Lorsque sa maîtresse part à son travail, le chien hurle et geint dans l’appartement tout le jour durant et il dévaste tout. Une seule alternative se présente : soit l’abandonner, soit mettre fin à ses souffrances.
Ce chien a un comportement typique des animaux en détresse en l’absence de leur maître. Les comportements perturbés (aboiements plaintifs et destruction) sont les causes principales des abandons et des euthanasies des chiens de compagnie de moins de deux ans. Ce chien n’aspire qu’à une seule chose : être avec sa maîtresse, la garder à portée de vue, la sentir proche, se faire caresser… Pour lui, ce contact compte plus que la nourriture ou le confort. Des chiens comme celui-ci, qui souffrent du "mal d’aimer", Claude Béata, vétérinaire, en a vu des centaines. Son livre est consacré à l’attachement : "des origines animales aux amours humaines". L’attachement est un mécanisme universel qui relie entre eux les humains, les chiens, les chats, les chevaux, les brebis, les dauphins et bien d’autres espèces encore. Un lien qui peut relier aussi les êtres par delà la frontière des espèces, comme c’est justement le cas entre un humain et un chien, un chat ou un cheval. Comme c’est le cas parfois entre un chat et un chien, espèces pourtant réputées hostiles.
L’attachement se manifeste par des signes caractéristiques : la recherche de proximité avec l’être aimé, le sentiment de manque quand il n’est pas là, le plaisir des retrouvailles (les sauts de joie, les câlins caractéristiques). Cet attachement est d’abord protecteur : il permet au petit de rester collé à proximité de ses parents et ses proches. Mais il sera également la base pour conquérir son autonomie. C’est lorsqu’il a été convenablement sécurisé par un attachement fort à une personne ou un groupe qui sert de "port d’attache", que le petit animal peut s’aventurer parfois hors de son univers protecteur. A l’inverse quand l’attachement est perturbé, le comportement devient pathologique. Il peut se transformer en une souffrance et un mal inguérissable. Comme c’est le cas pour ce chien trop malheureux lorsque sa maîtresse s’en va.
Claude Béata explore dans ce livre les multiples facettes de l’attachement : ses fondements évolutifs, ses fonctions, ses racines biologiques, les formes qu’il prend chez différentes espèces, ses pathologies, le cycle de vie des sentiments associés - amour passion, amour parental ou amitié… Autant de formes qui existent aussi dans d’autres espèces animales. Il le fait avec une clarté remarquable, la rigueur restant alliée à une grande ouverture d’esprit : jamais les données scientifiques ne prennent le pas sur l’observation et le doute. Mais son livre est aussi émaillé de récits touchants : celui d’un perroquet jaloux, d’un chien inconsolable, d’une amitié indéfectible entre un garçon et son petit hamster.
C’est ce qui rend aussi ce livre très… attachant.
Victor Delatour
Au sommaire
- Préface de Boris Cyrulnik
- Introduction
Chapitre 1 : La force d'aimer
- Plus près de toi...
- Si tu m'aimes, je peux m'en aller...
- Tous attachés, aucun de la même façon
- L'empreinte des oiseaux et l'amour des perroquets
- Attaché au triple galop
- Ronronner de plaisir ?
- Attaché même sans collier
- Un attachement gros comme ça
- Un océan d'amour
- Si proches, si proches
Chapitre 2 : La nécessité d'aimer
- Le finalisme interdit, la finalité permise
- Des histoires attachantes
- Une histoire de sens pour donner sens à l'histoire
- Mappy fait de la résistance
- Highway to hell
- Nirvana
- La vie n'est pas un long fleuve tranquille
- L'amygdale au centre de tout !
- Les véhicules de l'attachement
- Racine de tout, mère de peu
Chapitre 3 : La liberté d'aimer
- Nature ou culture ?
- Maternité et paternité
- Empathie
- A chacun son attachement
Chapitre 4 : La beauté d'aimer
- Portes ouvertes
- Parce que c'est lui, parce que c'est moi
- No limit
- La critique de la raison pure
- Les quatre mousquetaires
- "Tu es mon chat, je suis ton humain"
- Des millions d'adoptions
- Tuteur ou tu meurs...
- Une valse à trois temps
- La bête humaine
- Fidèle, fidèle...
- Campagnols en campagne
- Just a jealous guy...
- A cause de la couleur du blé
Chapitre 5 : Le risque d'aimer
- "De quel amour blessée, vous mourûtes
aux bords où vous fûtes laissée..."
- Sans amour, on n'est rien du tout...
- S'il suffisait qu'on aime, s'il suffisait d'aimer...
- Aimer même trop, même mal...
- Epilogue
- Notes bibliographiques
La préface de Boris Cyrulnik
Sans amour et sans peine, pourrait-on vivre quand même ?
J'ai connu l'époque où l'on nous enseignait que l'affect était une pollution de l'esprit scientifique. Pour faire une bonne observation médicale, nous disait-on, il ne faut s'intéresser qu'aux faits. Mais on ne nous expliquait pas que celui qui établit un fait scientifique est une personne constituée par son histoire et son contexte culturel.
Il se trouve qu'aujourd'hui, l'affect est devenu un objet de science qui nous permet de découvrir le nouveau continent de l'affectivité. Claude Béata est un des tout premiers vétérinaires explorateurs de cette terre inconnue où les animaux nous aident à comprendre comment se tisse un attachement.
Comment voulez-vous, rétorquent certains, que des animaux, machines biologiques, nous fassent concevoir le délicat sentiment éthéré de l'amour ? Eh bien, répond Claude Béata, c'est que les animaux ne sont plus des machines depuis longtemps. Nous avons découvert le cerveau de leurs émotions et de leur mémoire. Depuis Darwin, nous savons comment ils expriment leurs élans affectifs pour s'approcher de ceux qu'ils aiment, les fuir ou les menacer quand ils ont inscrit dans leur mémoire une expérience difficile.
En partant à la découverte des mondes mentaux des animaux, nous les comprenons mieux et, de ce fait, nous mettons en lumière ce que nous partageons et ce qui nous différencie.
Que nous soyons oiseaux ou mammifères supérieurs, comme les dauphins, les chiens, les chats, les singes et les êtres humains, quand un accident de l'existence nous prive de la possibilité de nous attacher à un autre, tous nos développements se bloquent parce que nous appartenons à une espèce où un individu a besoin d'un autre pour devenir lui-même. Mais pour observer un lien qui se tisse entre deux organismes, entre deux mondes mentaux, nous devons adopter une attitude qui intègre des connaissances variées, neurologiques, émotionnelles, comportementales et culturelles.
Claude Béata raconte dans un langage très simple qui n'exclut pas la rigueur scientifique, l'histoire poétique de Salsa le perroquet mathématicien qui ne peut se séparer d'une femme, de Chiquita la chatte mère d'Hermione et du poulain qui s'attache au triple galop. Ces anecdotes amusantes permettent à l'auteur d'illustrer quelques découvertes scientifiques récentes et d'éclairer des problèmes philosophiques fondamentaux : la cortisone que sécrètent les hommes et les animaux ne peut plus expliquer tous les dégâts cérébraux provoqués par l'excès de stress. Quelques neuromédiateurs comme la tendre ocytocine ou la vigoureuse vasopressine deviennent à leur tour des vedettes culturelles que tout le monde cite pour expliquer ses sentiments.
La condition animale nous aide à mieux cerner la condition humaine. De nombreux penseurs croient encore que l'homme se caractérise par la conscience de sa mort. Les éléphants ne sont pas d'accord puisqu'ils s'inhibent en présence d'un cadavre de congénère. Ils perçoivent "le" mort et se représentent "la" mort puisqu'ils couvrent son corps de branchages. Ils reviennent plus tard sur le site de cette "sépulture" et gémissent devant les restes tandis que les petits gambadent autour des parents endeuillés.
Même l'interdit de l'inceste, fondateur de la culture humaine, est contesté par les animaux. Dans l'ensemble du monde vivant, existe un processus qui tend à disperser les gènes. En milieu naturel les animaux apparentés s'accouplent rarement. Dès la puberté, les jeunes, périphérisés, chassés du groupe, sont contraints à s'accoupler au loin. Mais s'il arrive qu'ils aient des relations sexuelles et qu'un oracle dise à Oedipe-animal "tu as fait trois enfants à ta mère", il ne se crève pas les yeux. En effet, l'inhibition de l'accouplement entre proches que les humains appellent "inceste" est un processus émotionnel, alors que l'interdit de l'inceste énonce dans la verbalité la rencontre sexuelle désignée comme un crime.
Il paraît que 5 millions d'Anglais (et 17.000 Français) se sont demandé pourquoi les campagnols des plaines formaient des couples fidèles, alors que lorsqu'ils vivent en montagne, ils forment des couples instables. Les Anglais demanderaient-ils conseil à ces petits rongeurs pour expliquer leurs propres tracas ?
J'ai rencontré Claude Béata, peu après sa sortie de l'école vétérinaire, alors qu'il commençait déjà ses recherches sur les troubles des comportements des animaux. J'étais déjà charmé par sa gaieté, sa clarté et sa rigueur scientifique. C'est un enseignant très demandé parce que dans ses cours, comme dans ce livre, il alterne les belles images de films animaliers, de fortes idées scientifiques et d'intenses éclats de rire.
Alors, pourquoi se priver du "gai-savoir" qu'il nous propose ?