Si la mer, vue du rivage, continue à "danser le long des golfes clairs", sous la surface, c'est une tragédie qui se joue : à force d'être mangée par l'homme, la mer se meurt. En l'espace d'un siècle et demi, loin des regards, des ressources qu'on pensait inépuisables ont été poussées au bord de l'effondrement par une surpêche qui prélève plus de cent millions de tonnes de poissons par an dans le monde. En pêchant toujours plus loin, toujours plus profond, et à présent toujours plus "petit", l'homme est en train de transformer les océans du globe en désert liquide. Des bateaux et des technologies toujours plus performants ne laissent aucune chance aux poissons. Du bateau-usine à la pirogue, toutes les embarcations capturent des espèces réputées inaccessibles ou non consommables. Le pillage est systématique et aveugle, car il est particulièrement difficile de sélectionner les espèces capturées. A ce rythme, ce sont des maillons entiers de la chaîne alimentaire marine qui ont déjà été rayés de la liste du vivant, avec comme conséquence, à terme, une déstabilisation inquiétante de tout l'écosystème marin. L'effondrement brutal et irréversible des ressources halieutiques n'est plus une hypothèse fantaisiste. Que font les pouvoirs publics ? Si peu, alors qu'il faudrait une mobilisation générale. On cherche en vain les prémices d'une gouvernance mondiale, seule à même de rétablir la productivité des océans. Et la plupart des pays redoutent de se mettre à dos leurs pêcheurs, la France plus que tout autre... "Une mer sans poissons" est un état des lieux d'autant plus alarmant qu'il est factuel, et qu'il s'appuie sur une documentation très complète et souvent inédite en français. Après l'avoir lu, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas.
Une mer sans poissons, Philippe Cury, Yves Miserey, Editions Calmann-Lévy, 2008, 279 pages
A propos des auteurs
Philippe Cury est membre de l'Institut de recherche pour le développement et directeur du Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale, basé à Sète. Yves Miserey est journaliste scientifique au Figaro.
Voir aussi
- Le livre "Poissons, le carnage" de Joan Dunayer
- En vidéo, le documentaire "La surpêche : Main basse sur l'océan"
- Et d'autres vidéos sur le même thème
Au sommaire
- Avant propos
Chapitre premier – Les premières razzias
- Le goût de la mer
- Saint Hareng
- La ruée vers la morue de Terre-Neuve
- Le massacre des « bons géants »
- L’effondrement de la morue
Chapitre II – La surpêche, une prise de conscience progressive
- Une sourde inquiétude
- Les premières enquêtes scientifiques
- La grande théorie des pêches
- L’halieutique au service de l’aménagement
- La FAO et l’océan global
- Le diable est dans les détails
- Amnésie collective
- Effondrement sans avertissement
- La reconstitution problématique des stocks
- Des disparitions très discrètes
- Un constat toujours controversé
Chapitre III – La pêche, une chasse à l’aveugle
- La chasse océanique
- Des captures dites accessoires
- Les victimes collatérales
- Les bulldozers des mers
- Les coraux dynamités
- Les pêcheries fantômes
- Vers une diminution lointaine des rejets
- Le choix de John
Chapitre IV – La surenchère technologique
- La course à l’armement
- La plus grande pêcherie du monde sans pêcheur
- Des thons sous influence
- Main basse sur les monts sous-marins
- La pêche artisanale dans la spirale de la surexploitation
Chapitre V – Une nature fragile et un super prédateur
- L’évolution piégée
- Une captation abusive
- Un retour au bercail fatal
- Des migrations routinières
- Une respiration mortelle
- Un lourd handicap
- La docilité bafouée
- Ailerons funestes
- Des changements de sexe ignorés par la pêche
- Des poissons à croissance trop lente
- Une mauvaise réputation
Chapitre VI – La question cruciale de la gestion de la ressource
- Le partage de la mer
- Le grand marchandage des pêcheries européennes
- La France à l’amende
- Les pays du sud vidés de leurs ressources
- Les ressources hauturières à la découpe
- L’ICCAT dans les filets de la diplomatie
- La fin annoncée du thon rouge en Méditerranée
- Une course de relais sans bâtons
Chapitre VII – Manger du poisson par temps de surexploitation
- L’inégale répartition de la consommation
- Remplacer le poisson sauvage par du poisson d’élevage
- Le poisson-mètre
- Des déchets hautement recherchés
- La survivance des recettes passées
- La voie étroite de la labellisation
Chapitre VIII – Des écosystèmes marins au coeur de la pêche
- Des espèces sensibles à l’environnement
- Les révélations des écailles
- La difficile survie des larves
- Les pièges subtils du changement climatique
- La nature enchevêtrée des écosystèmes
- Les gros mangent les petits
- La crise de la prédation
- Des oeufs minuscules
- Des écosystèmes structurés par l’environnement et par la pêche
- Quand Carl et Willie vont en bateau
- Les loutres de mer dévorées par les orques
- Les phoques s’attaquent aux oiseaux et les manchots mangent du krill
- Les microbes, nouveaux maîtres des océans
- La chute de la baie de Chesapeake
- Un océan privé d’oxygène
- Des services écologiques sans prix
- Une utopie salutaire
- Les réserves marines disparues
Epilogue – Que vive la mer
Petit lexique halieutique
Sigles
Bibliographie
Notes
Une mer sans poissons, Philippe Cury, Yves Miserey, Editions Calmann-Lévy, 2008, 279 pages
A propos des auteurs
Philippe Cury est membre de l'Institut de recherche pour le développement et directeur du Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale, basé à Sète. Yves Miserey est journaliste scientifique au Figaro.
Voir aussi
- Le livre "Poissons, le carnage" de Joan Dunayer
- En vidéo, le documentaire "La surpêche : Main basse sur l'océan"
- Et d'autres vidéos sur le même thème
Au sommaire
- Avant propos
Chapitre premier – Les premières razzias
- Le goût de la mer
- Saint Hareng
- La ruée vers la morue de Terre-Neuve
- Le massacre des « bons géants »
- L’effondrement de la morue
Chapitre II – La surpêche, une prise de conscience progressive
- Une sourde inquiétude
- Les premières enquêtes scientifiques
- La grande théorie des pêches
- L’halieutique au service de l’aménagement
- La FAO et l’océan global
- Le diable est dans les détails
- Amnésie collective
- Effondrement sans avertissement
- La reconstitution problématique des stocks
- Des disparitions très discrètes
- Un constat toujours controversé
Chapitre III – La pêche, une chasse à l’aveugle
- La chasse océanique
- Des captures dites accessoires
- Les victimes collatérales
- Les bulldozers des mers
- Les coraux dynamités
- Les pêcheries fantômes
- Vers une diminution lointaine des rejets
- Le choix de John
Chapitre IV – La surenchère technologique
- La course à l’armement
- La plus grande pêcherie du monde sans pêcheur
- Des thons sous influence
- Main basse sur les monts sous-marins
- La pêche artisanale dans la spirale de la surexploitation
Chapitre V – Une nature fragile et un super prédateur
- L’évolution piégée
- Une captation abusive
- Un retour au bercail fatal
- Des migrations routinières
- Une respiration mortelle
- Un lourd handicap
- La docilité bafouée
- Ailerons funestes
- Des changements de sexe ignorés par la pêche
- Des poissons à croissance trop lente
- Une mauvaise réputation
Chapitre VI – La question cruciale de la gestion de la ressource
- Le partage de la mer
- Le grand marchandage des pêcheries européennes
- La France à l’amende
- Les pays du sud vidés de leurs ressources
- Les ressources hauturières à la découpe
- L’ICCAT dans les filets de la diplomatie
- La fin annoncée du thon rouge en Méditerranée
- Une course de relais sans bâtons
Chapitre VII – Manger du poisson par temps de surexploitation
- L’inégale répartition de la consommation
- Remplacer le poisson sauvage par du poisson d’élevage
- Le poisson-mètre
- Des déchets hautement recherchés
- La survivance des recettes passées
- La voie étroite de la labellisation
Chapitre VIII – Des écosystèmes marins au coeur de la pêche
- Des espèces sensibles à l’environnement
- Les révélations des écailles
- La difficile survie des larves
- Les pièges subtils du changement climatique
- La nature enchevêtrée des écosystèmes
- Les gros mangent les petits
- La crise de la prédation
- Des oeufs minuscules
- Des écosystèmes structurés par l’environnement et par la pêche
- Quand Carl et Willie vont en bateau
- Les loutres de mer dévorées par les orques
- Les phoques s’attaquent aux oiseaux et les manchots mangent du krill
- Les microbes, nouveaux maîtres des océans
- La chute de la baie de Chesapeake
- Un océan privé d’oxygène
- Des services écologiques sans prix
- Une utopie salutaire
- Les réserves marines disparues
Epilogue – Que vive la mer
Petit lexique halieutique
Sigles
Bibliographie
Notes
Un nouveau cri d’alarme, particulièrement percutant, sur l’état de la mer et des océans !
Plusieurs ouvrages récents, dont nos colonnes se sont à l’occasion faites l’écho, ont soulevé cette question dramatique : la surpêche menace d’extinction des espèces entières de poisson, et risque de finalement déséquilibrer l’ensemble de la biosphère, dont l’espèce humaine ne peut se passer. Fruit de la collaboration d'un chercheur scientifique (Cury) et d’un journaliste scientifique (Miserey), le présent ouvrage combine une information rigoureuse, qui porte à la fois sur l’histoire et sur les faits actuels, et une écriture claire et adaptée à un public très varié. Des annexes (bibliographie, mais aussi lexique et index des sigles) complètent utilement le livre.
Le constat est accablant. La mer trouve face à elle un « superprédateur » (p127), l’homme, doté de capacités technologiques exceptionnelles. Cela a commencé il y a bien longtemps et le livre abonde d’exemples où notre espèce a abusé de son environnement, massacrant les espèces les plus vulnérables sans souci de l’avenir. Ainsi on apprend qu’au XIXe siècle les marins utilisaient comme combustible des… manchots : « Le charbon était lourd et encombrant, il fallait l’utiliser avec parcimonie. C’est pourquoi les baleiniers… utilisèrent les oiseaux à peine assommés comme des bûches » (p150). « D’autres massacres eurent lieu un peu partout, là où les navigateurs jetaient l’ancre. Mais au-delà de la disparition d’espèces comme le dronte (ou dodo), c’est la mer qui reste la plus menacée. » La pêche devient incontrôlable. Les hommes ne se privent pas « d’aller toujours plus loin et de pêcher toujours plus profond » (p122).
Après la virtuelle extinction des stocks de morue et de certaines baleines, après « la fin annoncée du thon rouge en Méditerranée » (p184), les hommes s’en prennent à toutes les espèces marines, y compris les espèces des profondeurs, à croissance très lente et dont les effectifs sont, par suite, très difficiles à remplacer. Tout cela avec une indifférence à l’égard de l’ « animal-objet », qui est une permanente source de cruauté abominable : « Le finning est une pratique barbare qui consiste à couper les ailerons du requin et à rejeter l’animal encore vivant pour le laisser agoniser dans l’océan » (p154). De façon générale, aujourd’hui, les poissons des océans sont petits, « car on ne leur laisse pas le temps de grandir » (p227). « La pêche est une chasse à l’aveugle » (p87). « C’est comme si on décidait de tuer tous les animaux d’une forêt avec une bombe ou un poison pour prélever uniquement les espèces économiquement intéressantes » (p89). Face aux « bulldozers des mers » (p98), il y a donc d’innombrables victimes collatérales (mammifères, oiseaux, coraux…), qui disparaissent « pour rien ».
Les équilibres écologiques se modifient en conséquence : les orques, qui consommaient des baleines (décimées par l’homme), s’en prennent aux loutres de mer, les phoques, qui ne trouvent plus de poissons, mangent des oiseaux d’espèces souvent protégées. A cela il faut ajouter, ce qui n’arrange rien, les changements climatiques, la mondialisation des transports qui favorise le déplacement des parasites, la pollution qui aboutit à « un océan privé d’oxygène » (p245).
Même si « la FAO elle-même est la première à reconnaître qu’on ne connaît pas la capacité de pêche de la flotte mondiale » (p113), le gâchis se fait souvent au vu de tous. Les scientifiques, par leurs modèles mathématiques, peuvent largement prévoir les désastres à venir et repérer les tricheurs. Selon les auteurs, par exemple, « en 2001… deux chercheurs… démontrent que le gouvernement chinois fournit des déclarations de captures irréalistes et sans fondement » (p72).
On sait que « la consommation mondiale de poisson a augmenté au cours des quatre dernières décennies passant de 9 kilos par habitant en 1961 à 16,5 kilos en 2003 » (p194). On sait aussi que les pays du sud sont privés de leurs ressources par les flottes de pêche des pays riches. On est parfaitement conscient du fait que l’aquaculture ne peut résoudre la question, dans la mesure où elle repose sur le nourrissage des poissons d’élevage par des quantités impressionnantes de poissons sauvages.
Mais les obstacles administratifs sont très nombreux, dont l’un des principaux reste la force des habitudes. « En France s’ajoute une difficulté supplémentaire : la question est très conflictuelle et la plupart des pêcheurs contestent le bien-fondé des alertes lancées par les scientifiques » (p16). Malgré ces propos très noirs, les auteurs se veulent optimistes dans leurs conclusions.
S’ils reconnaissent que « réaliser des achats de manière responsable et consommer du poisson durable devient une priorité » (p205), ils pensent que pour « que vive la mer » (p255), une « approche écosystémique des pêches » (p257), et donc une attitude responsable, se dessinent dans certains pays et qu’elles pourraient peut-être être généralisées. Puisse l’avenir leur donner raison sur ce point !
Plusieurs ouvrages récents, dont nos colonnes se sont à l’occasion faites l’écho, ont soulevé cette question dramatique : la surpêche menace d’extinction des espèces entières de poisson, et risque de finalement déséquilibrer l’ensemble de la biosphère, dont l’espèce humaine ne peut se passer. Fruit de la collaboration d'un chercheur scientifique (Cury) et d’un journaliste scientifique (Miserey), le présent ouvrage combine une information rigoureuse, qui porte à la fois sur l’histoire et sur les faits actuels, et une écriture claire et adaptée à un public très varié. Des annexes (bibliographie, mais aussi lexique et index des sigles) complètent utilement le livre.
Le constat est accablant. La mer trouve face à elle un « superprédateur » (p127), l’homme, doté de capacités technologiques exceptionnelles. Cela a commencé il y a bien longtemps et le livre abonde d’exemples où notre espèce a abusé de son environnement, massacrant les espèces les plus vulnérables sans souci de l’avenir. Ainsi on apprend qu’au XIXe siècle les marins utilisaient comme combustible des… manchots : « Le charbon était lourd et encombrant, il fallait l’utiliser avec parcimonie. C’est pourquoi les baleiniers… utilisèrent les oiseaux à peine assommés comme des bûches » (p150). « D’autres massacres eurent lieu un peu partout, là où les navigateurs jetaient l’ancre. Mais au-delà de la disparition d’espèces comme le dronte (ou dodo), c’est la mer qui reste la plus menacée. » La pêche devient incontrôlable. Les hommes ne se privent pas « d’aller toujours plus loin et de pêcher toujours plus profond » (p122).
Après la virtuelle extinction des stocks de morue et de certaines baleines, après « la fin annoncée du thon rouge en Méditerranée » (p184), les hommes s’en prennent à toutes les espèces marines, y compris les espèces des profondeurs, à croissance très lente et dont les effectifs sont, par suite, très difficiles à remplacer. Tout cela avec une indifférence à l’égard de l’ « animal-objet », qui est une permanente source de cruauté abominable : « Le finning est une pratique barbare qui consiste à couper les ailerons du requin et à rejeter l’animal encore vivant pour le laisser agoniser dans l’océan » (p154). De façon générale, aujourd’hui, les poissons des océans sont petits, « car on ne leur laisse pas le temps de grandir » (p227). « La pêche est une chasse à l’aveugle » (p87). « C’est comme si on décidait de tuer tous les animaux d’une forêt avec une bombe ou un poison pour prélever uniquement les espèces économiquement intéressantes » (p89). Face aux « bulldozers des mers » (p98), il y a donc d’innombrables victimes collatérales (mammifères, oiseaux, coraux…), qui disparaissent « pour rien ».
Les équilibres écologiques se modifient en conséquence : les orques, qui consommaient des baleines (décimées par l’homme), s’en prennent aux loutres de mer, les phoques, qui ne trouvent plus de poissons, mangent des oiseaux d’espèces souvent protégées. A cela il faut ajouter, ce qui n’arrange rien, les changements climatiques, la mondialisation des transports qui favorise le déplacement des parasites, la pollution qui aboutit à « un océan privé d’oxygène » (p245).
Même si « la FAO elle-même est la première à reconnaître qu’on ne connaît pas la capacité de pêche de la flotte mondiale » (p113), le gâchis se fait souvent au vu de tous. Les scientifiques, par leurs modèles mathématiques, peuvent largement prévoir les désastres à venir et repérer les tricheurs. Selon les auteurs, par exemple, « en 2001… deux chercheurs… démontrent que le gouvernement chinois fournit des déclarations de captures irréalistes et sans fondement » (p72).
On sait que « la consommation mondiale de poisson a augmenté au cours des quatre dernières décennies passant de 9 kilos par habitant en 1961 à 16,5 kilos en 2003 » (p194). On sait aussi que les pays du sud sont privés de leurs ressources par les flottes de pêche des pays riches. On est parfaitement conscient du fait que l’aquaculture ne peut résoudre la question, dans la mesure où elle repose sur le nourrissage des poissons d’élevage par des quantités impressionnantes de poissons sauvages.
Mais les obstacles administratifs sont très nombreux, dont l’un des principaux reste la force des habitudes. « En France s’ajoute une difficulté supplémentaire : la question est très conflictuelle et la plupart des pêcheurs contestent le bien-fondé des alertes lancées par les scientifiques » (p16). Malgré ces propos très noirs, les auteurs se veulent optimistes dans leurs conclusions.
S’ils reconnaissent que « réaliser des achats de manière responsable et consommer du poisson durable devient une priorité » (p205), ils pensent que pour « que vive la mer » (p255), une « approche écosystémique des pêches » (p257), et donc une attitude responsable, se dessinent dans certains pays et qu’elles pourraient peut-être être généralisées. Puisse l’avenir leur donner raison sur ce point !
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