28 décembre 2011

La fin des bêtes, de Catherine Rémy

La fin des bêtes
Une ethnographie de la mise à mort des animaux

de Catherine Rémy


Il y a aujourd'hui une "question animale". mais que recouvre cette question ? Les contours du débat ne sont pas faciles à tracer. C'est parfois l'impact social des recherches en éthologie et en physio-biologie qui est évoqué : par exemple, la capacité inattendue des poissons à ressentir la douleur va-t-elle aboutir à un affrontement entre pécheurs et militants des animaux ? Dans d'autres cas, ce sont les "combattants externes du front de libération des animaux" qui font l'objet d'une réflexion inquiète : que faire face à cette "extraordinaire religion fondamentaliste" ? Dans d'autres cas encore. la question animale se traduit par un débat sur le statut des animaux. L'animal, être "sensible, affectueux et craintif qui ne demande qu'à vivre", ne doit-il pas faire l'objet de notre "compassion" ? L'animal de compagnie est ainsi présenté par certains comme un "candidat à l'humanité", phénomène jugé, par d'autres, étonnant sinon grotesque. En dépit de cette diversité des modes d'entrée dans la question animale, des thèmes récurrents la façonnent. Une fascination pour le brouillage des frontières entre l'humain et le non-humain. La disparition de cette frontière est tantôt considérée comme un fait, tantôt comme un enjeu. Bref, elle est bien le moteur du débat.

Le sociologue doit quant à lui se donner pour tâche de proposer un "calme examen" de ce fait de société. Un tel objectif nécessite une prise au sérieux du quotidien. de l'ordinaire, en plaçant la situation au coeur de l'enquête sociologique, à savoir un espace temps délimité, produit et vécu par des individus. En s'intéressant à des situations routinisées de mise à mort d'animaux, l'objectif de cet ouvrage est précisément d'éclaircir la manière dont la frontière se trouve posée en pratique, au cours du travail quotidien d'hommes et de femmes.

La fin des bêtes, Une ethnographie de la mise à mort des animaux, Catherine Rémy, Editions Economica, 2009, 224 pages

A propos de l'auteur

Catherine Rémy est chargée de recherche au CNRS et membre du Centre de sociologie de l'innovation de l'Ecole des mines de Paris. Ses travaux portent sur les relations entre l'homme et l'animal et les controverses qui accompagnent l'émergence des bio-technologies.

Au sommaire

- Introduction : La mise à mort des animaux: une question sociologique ?
- La présence des animaux
- L’abattoir, une mise à mort industrielle humaine ?
- La médecine vétérinaire, entre soin et gestion
- Les animaux de laboratoire, substituts de l’homme
- Trois situations
- Conclusion : L’accomplissement pratique de la frontière entre l’homme et les animaux
- Bibliographie

Pour en savoir plus

- Ce lien qui permet de rechercher des termes à l'intérieur du livre
- Le centre de documentation de la LFDA pour d'autres livres sur le thème des animaux

L'avis d'un lecteur
Source

Une chercheuse engagée

Un livre engagé qui privilégie la réflexion sur la passion. Une ethnographie exemplaire, d'une lecture très agréable, qui sait trouver la bonne distance pour traiter d'une question brûlante. Catherine Rémy montre par cet ouvrage ce qui différencie le travail de fond du chercheur du simple point de vue journalistique. Un livre indispensable pour comprendre les enjeux actuels de la question animale. A lire de toute urgence !


Oeuvre d'une sociologue, le livre de Catherine Rémy prend comme exemple la mise à mort pour sonder la manière dont est perçue la frontière entre l'homme et l'animal : « Pourquoi choisir les situations de mise à mort ? Notre hypothèse est que cette activité produit un “effet loupe” sur la question de la frontière » (p.3). On pourrait dire, de manière certes un peu caricaturale, que cet ouvrage vise à la rigueur scientifique et se maintient dans les limites de la raison et de la logique, Catherine Rémy explore trois lieux où se rencontre la fin des bêtes : l'abattoir tout d'abord, évidemment, ce lieu où s'opère « la réduction des animaux à de la matière insérable dans une chaîne de production » (p.24), la médecine vétérinaire d'autre part, « entre soin et gestion » (p.79) et finalement aussi les « animaux de laboratoire, substituts de l'homme » (p.133). A chaque étape d'un raisonnement particulièrement bien argumenté et fondé sur une multitude d'exemples concrets, l'auteure s'interroge, dans ces trois situations, sur la perception de la frontière entre animalité et humanité. Pour l'abattage, les constatations de l'auteure l'amène à déplorer la rupture du « contrat domestique » de l'abattage traditionnel, pour lequel les animaux, lors de leur mise à mort, n'étaient pas des choses. L'abattage industriel moderne, en rompant la nécessaire proximité entre animaux abattus et acteurs humains, aboutit à ce que « les abatteurs ne mobilisent pas une subjectivation positive des animaux impliquant un traitement respectueux » (p.77) : « Un traitement respectueux des animaux ne peut s'imposer que si une proximité physique et affective est maintenue » (p.78). Pour les vétérinaires, la situation est souvent très ambiguë et leur comportement est souvent guidé par cette tendance de l'être humain à s'immuniser « en permanence contre l'idée qu'il pourrait n'être que le produit de déterminismes renvoyant à des lois de la nature » (p.132). « Les vétérinaires contemporains, comme leurs prédécesseurs, font des intérêts humains une priorité afin de défendre la légitimité de leur profession » (p.130). En ce qui concerne les animaux de laboratoire, l'auteure oppose, dans le comportement des acteurs de l'expérimentation, deux attitudes philosophiques clairement différentes : celle pour laquelle l'animal ne mérite aucune considération éthique « au nom de progrès scientifique » (p.134) et celle qui « passe par un traitement moral des cobayes » (p.132). A l'appui de cette dernière position, elle cite d'ailleurs les travaux de Suzanne Antoine. Dans la pratique et après l'analyse de ce qui se passe, de fait, dans un laboratoire qui effectue ce que l'auteur appelle, selon l'expression de Claude Bernard, la « vivisection », mais que la pratique moderne qualifie plutôt d'« expérimentation animale », l'auteure remarque une certaine proximité affective entre l'expérimentateur et sa « victime » et un effort de distanciation comparable à celui des vétérinaires, parfois fondé sur des remarques d'humour noir : « Les acteurs discutent de l'animal et de son traitement, mais ces discours sont sans cesse contrebalancés par la plaisanterie, l'ironie » (p.177). Le constat effectué par Catherine Rémy au terme de son enquête ethnographique est finalement lourd : « la violence est inhérente à l'acte de mise à mort » (p.193). Les règlements visent alors à l'« adoucir » en une « violence passive » par des pratiques d'euthanasie. Mais, remarque l'auteure, « cette violence passive devient fréquemment active lorsque la mise à mort se passe mal » (p.194). Alors « certains individus sont en quelque sorte invités… à exprimer une violence active » (p.194). Ce partage des rôles estompe en somme la responsabilité de chacun : l'un ne tue pas, l'autre le fait parce qu'il est mandaté pour le faire. Quant à la relation avec la question de fond sur la frontière entre l'homme et l'animal, « le traitement respectueux des animaux passe… par la perception de ceux-ci comme des créatures semblables » (p.199). Nous ne sommes pas très loin de la notion d'animal-être sensible, même si l'auteure n'utilise pas ici le terme. Dès lors et de manières variées, « pour que la mise à mort soit possible » (p.200), elle doit « impliquer une dégradation de la créature semblable » (p.200), une dégradation qui permet de « bien faire la différence entre l'homme et les animaux » (p.202). Une attitude de dégradation bien classique de l'esprit humain, qui peut aussi toucher les hommes (dégradés) eux-mêmes, et qu'on retrouve dans la guerre (l'ennemi y est un mauvais), dans l'oppression (l'esclave ou la prostituée y sont dévalués en sous-humains) comme dans la course de taureaux (face à l'homme dans son habit de lumière, le taureau y est figure symbolique du côté sombre).

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