Gorilles dans la brume
Treize ans chez les gorilles
de Dian Fossey
Treize ans chez les gorilles
de Dian Fossey
Mise à jour : ajout des extraits
"Je veux être enterrée ici, dans le cimetière où reposent mes gorilles", avait déclaré Dian Fossey à un journaliste occidental un mois avant son assassinat au coeur de la jungle rwandaise, le 27 décembre 1985. Surnommée la "femme qui vit seule dans la forêt", par les paysans et les chasseurs du lieu, Dian Fossey était devenue l'ennemie des braconniers, grands massacreurs de ces gorilles de montagne auxquels elle avait voué sa vie. Vengeance ? Meurtre crapuleux commis par un de ses rares proches ? L'énigme demeure à ce jour. Reste le souvenir de cette femme solitaire et intrépide qui, un jour de septembre 1967, planta sa tente dans les brumes des volcans Birunga, pour ne plus jamais revenir et qui, 18 années durant, allait rassembler une masse considérable d'informations sur ces cousins de nos lointains ancêtres. Reste surtout ce livre, publié 2 ans avant sa mort sous le titre "Treize ans chez les gorilles" et qui devait inspirer un très beau film. Loin des zoos et des musées, il nous entraîne dans une aventure exceptionnelle et un univers fascinant : celui des gorilles en liberté.
Gorilles dans la brume : Treize ans chez les gorilles, Dian Fossey, Traduction de Josie Fanon, Editions France Loisirs, 1989, 244 pages, 16 pages de photos en noir et blanc
"J'ai passé 13 ans de mon existence parmi les gorilles de montagne et je les ai observés dans leur environnement naturel. Ce livre, qui est également le fruit de 15 années de travaux et de recherches, retrace certains épisodes de cette expérience. ./. Des mesures urgentes de protection doivent être prises si l'on veut que les gorilles survivent et se multiplient. Mais n'est-il pas déjà trop tard ? J'ai eu ce rare privilège, parmi tous les chercheurs qui ont travaillé sur le terrain en Afrique, d'avoir pu étudier le gorille de montagne. Je souhaite vivement que le résultat de mes recherches soit à la hauteur des souvenirs et des observations que j'ai accumulés."
Le sommaire
Avant-propos
1. A Kabara, sur les traces de Carl Akeley et de George Schaller
2. Le second souffle : le centre de recherches de Karisoke au Ruanda
3. Le travail sur le terrain
4. Trois générations de gorilles
5. Coco et Pucker, les orphelins sauvages. Destination : la prison
6. Des animaux en visite à Karisoke
7. La disparition naturelle de deux familles de gorilles, les groupes 8 et 9
8. Des hommes en visite à Karisoke
9. Le groupe 4 s'adapte à un nouveau chef
10. Un exemple de stabilité familiale, le groupe 4
11. Décimation par les braconniers
12. L'espoir : formation d'une nouvelle famille, le groupe de Nunkie
Conclusion
Généalogies
Postface
Pour en savoir plus
- Ce lien ou ce lien pour voir le film "Gorilles dans la brume" avec Sigourney Weaver
- Le site de la Fondation Dian Fossey
- Une biographie de Dian Fossey
- Dian Fossey au pays des gorilles, de Farley Mowat
- Gorilles : Les survivants des Birunga, de George Schaller
- Gorilles orphelins, de Despina Chronopoulos
- Au secours des gorilles, de Fabrice Martinez
- D'autres livres sur le thème des gorilles
- Le documentaire Conversations avec Koko le gorille
- Les documentaires Un gorille dans la famille / Deux gorilles à la maison
J'ai passé treize ans de mon existence parmi les gorilles de montagne et je les ai observés dans leur environnement naturel. Ce livre, qui est également le fruit de quinze années de travaux et de recherches, retrace certains épisodes de cette expérience.
La chaîne des Birunga est composée de huit volcans dont deux seulement sont en activité. Les six volcans éteints sont les seuls endroits au monde où l'on trouve les gorilles de montagne. Cette zone s'étend sur quarante kilomètres de long et, selon les endroits, sur dix à vingt kilomètres de large. Elle forme une réserve dont les deux tiers sont situés au Zaïre et portent le nom de Parc National des Birunga. Douze mille hectares font partie du territoire ruandais ; c'est le Parc National des Volcans. Enfin, une portion plus petite, le Kigezi Gorilla Sanctuary, se trouve en Ouganda.
Les recherches que j'ai effectuées sur le gorille, ce grand singe de l'ordre des primates, animal à la stature majestueuse, d'une grande douceur mais qui, à l'occasion, peut devenir vindicatif, concernent particulièrement l'organisation sociale et familiale. Elles ont permis de découvrir certains modèles de comportement jusqu'alors inconnus.
Carl Linné, le pionnier de la classification, fut le premier à établir, en 1758, la relation existant entre l'homme et le singe. C'est lui qui définit l'ordre des primates, voulant souligner par ce terme la place supérieure que l'homme et le singe occupent dans le règne animal.
L'homme et les trois grands singes (orang-outang, chimpanzé et gorille) sont les seuls primates dépourvus de queue. Ils ont cinq doigts aux pieds et aux mains et leurs pouces sont opposables. Ce sont des mammifères. La position de leurs orbites permet la vision binoculaire. Enfin, leur mâchoire comporte généralement trente-deux dents.
La rareté des fossiles ne permet pas d'établir l'origine des deux familles, les pongidés (grands singes) et les hominidés (hommes) qui se sont séparés du tronc commun depuis des millions d'années. On ne peut donc être certain que l'un des trois grands singes est l'ancêtre de l'homme moderne, l'Homo sapiens.
Parmi tous les primates, cependant, le gorille possède les caractéristiques physiques les plus proches de celles de l'homme. Son étude devrait donc nous permettre de déduire certains comportements de nos lointains ancêtres.
La branche des chimpanzés s'est séparée de celle des gorilles il y a plusieurs millions d'années. Les orangs-outangs s'étaient détachés du tronc commun depuis plus longtemps encore. La confusion persista pendant tout le XVIIIe siècle entre les orangs-outangs, les chimpanzés et les gorilles. L'orang-outang fut le premier à être considéré comme étant d'un genre distinct, sans doute parce qu'il vivait dans les régions lointaines de l'Asie. Ce n'est qu'après 1847 et la découverte d'un squelette de gorille au Gabon que l'on différencia le gorille du chimpanzé.
De même que chez les orangs-outangs et les chimpanzés, il existe des subdivisions chez les gorilles. Les différences morphologiques sont avant tout fonction de la nature de l'habitat.
Il reste en Afrique de l'Ouest entre neuf mille et dix mille gorilles de plaine (Gorilla gorilla gorilla) qui vivent en liberté. Ce sont des spécimens de cette sous-espèce que l'on capture généralement et que l'on trouve derrière les grilles des zoos ou empaillés dans les musées. Plus de quinze mille kilomètres à l'ouest, dans la chaîne des volcans Birunga, au Zaïre, en Ouganda et au Ruanda vivent les derniers gorilles de montagne (Gorilla gorilla beringei) qui font l'objet de cette étude. Ils ne sont guère plus de deux cent quarante. Tous vivent en liberté. La troisième sous-espèce (Gorilla gorilla graueri) compte environ quatre mille gorilles que l'on rencontre dans l'est du Zaïre. Une vingtaine seulement ont été capturés.
On dénombre, selon l'altitude où ils vivent, vingt-neuf caractères morphologiques différents entre les gorilles de plaine et les gorilles de montagne. Le gorille de montagne vit de préférence à terre. Il a des poils plus longs, des mamelles plus importantes, un tronc plus large, une crête sagittale plus prononcee. un palais plus allongé, des bras plus courts, des pieds et des mains plus petits et plus larges.
Quatre mille gorilles seulement vivent donc en liberté dans des réserves. Pour assurer la protection de l'espèce, certains préconisent la capture des gorilles et leur emprisonnement dans les zoos ou des endroits similaires. Par suite des liens familiaux étroits qui existent chez les gorilles, la capture d'un seul jeune peut entraîner la mort de plusieurs membres du groupe familial. De plus, tous les animaux capturés ne parviennent pas vivants à destination. On estime qu'un tiers seulement survit. La mortalité dans les zoos contribue encore à diminuer le nombre des gorilles. Je m'élève avec la plus vive énergie contre la théorie selon laquelle le massacre, la capture des gorilles et leur exposition dans les zoos sont des moyens d'empêcher la disparition de ces animaux.
La préservation d'une espèce menacée d'extinction commence avec la prise de mesures rigoureuses et le renforcement de la législation pour protéger l'habitat naturel des animaux contre l'empiétement de l'homme sur les parcs et les réserves.
Il faut construire pour les gorilles enfermés dans les zoos des abris se rapprochant le plus possible de leur habitat naturel et supprimer les cages et les barreaux. Les animaux doivent pouvoir grimper aux arbres et avoir à leur disposition de la paille, des branches ou des bambous pour construire leurs nids. La nourriture doit être fournie en petites portions, répartie tout au long de la journée, correctement préparée et disséminée en différents endroits pour permettre à l'animal de la chercher et de la découvrir. Les gorilles doivent pouvoir sortir de leur cage. Contrairement à l'opinion couramment répandue, ils n'aiment rien tant que paresser au soleil. Enfin. il faut aménager des recoins obscurs pour permettre aux animaux captifs de se mettre à l'abri, s'ils le désirent, des regards humains et de s'isoler de leurs congénères, comme ils le font quand ils sont en liberté.
Pour éviter la consanguinité et stimuler la reproduction, il convient de faire permuter d'un groupe à l'autre les animaux qui semblent stériles. C'est un processus habituel chez les gorilles en liberté.
De meilleures conditions de vie contribueront sans aucun doute à améliorer la reproduction des gorilles.
Le Dr Louis Leakey, aujourd'hui décédé, craignait que le gorille de montagne, sous-espèce scientifiquement identifiée en 1902, ne disparaisse avant la fin du siècle. C'est pourquoi il souhaitait vivement que l'on entreprenne des recherches sur le terrain. Jusqu'en 1960, seul George Schaller l'avait fait.
Pendant les six ans et demi qui séparèrent la publication des brillants travaux de Schaller et le début de ma propre enquête, la proportion des mâles par rapport aux femelles chez la population gorille des volcans Birunga tomba de 1 pour 2,5 à 1 pour 1,2. La population totale diminua de moitié. Il y a plus grave : près de la moitié de la réserve où vivent les gorilles est en passe d'être transformée en terres de cultures. Délogés de leur habitat naturel par la présence de l'homme, les gorilles deviennent de plus en plus vindicatifs et se battent entre eux.
Des mesures urgentes de protection doivent être prises si l'on veut que les gorilles survivent et se multiplient. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
J'ai eu ce rare privilège, parmi tous les chercheurs qui ont travaillé sur le terrain en Afrique, d'avoir pu étudier le gorille de montagne. Je souhaite vivement que le résultat de mes recherches soit à la hauteur des souvenirs et des observations que j'ai accumulés.
p12 (les premiers pas de Dian Fossey en Afrique...)
../.. Le Dr Leakey me permit de visiter les nouveaux sites archéologiques d'Olduvai. On venait d'y découvrir un fossile de girafe. Je descendais en courant une pente escarpée, exultant de me sentir libre sous le beau ciel d'Afrique, lorsque, soudain, je roulai dans le fossé où se trouvait la dernière découverte et me foulai la cheville. De douleur, je vomis sans ménagement sur le précieux fossile. Pour compléter mon humiliation, les membres de l'équipe de Leakey, légèrement dégoûtés, me hissèrent hors du trou comme un goret. Mary Leakey me fit boire gentiment un jus de citron tandis que nous contemplions ma cheville enflée qui virait du bleu au noir. De l'avis général, je devais abandonner mon projet de tournée dans les Birunga. Ce petit accident ne fit, au contraire, que renforcer ma détermination.
Je quittai les Leakey quinze jours plus tard. M'aidant d'une canne que m'avait confectionnée un sympathique Africain rencontré sur la route, et accompagnée d'un chauffeur et d'une douzaine de porteurs, j'entrepris l'escalade difficile qui devait nous mener en cinq heures jusqu'à la prairie de Kabara. ../..
p14-p15
../.. Alan mit lentement la caméra en marche et commença à filmer. Le bruit éveilla la curiosité d'autres membres du groupe qui s'avancèrent pour mieux nous voir. Cherchant à attirer notre attention, certains gorilles se livraient à des démonstrations : bâillements, simulation de repas, bris de branches, coups frappés sur la poitrine. Ils nous regardaient ensuite d'un air railleur comme s'ils essayaient de déterminer quel effet le spectacle faisait sur nous.
Je fus captivée, au cours de cette première rencontre, par leur personnalité et la timidité de leur comportement. Je quittai Kabara avec regret, mais convaincue qu'un jour ou l'autre je reviendrais pour en apprendre davantage sur les gorilles de la montagne perdue dans les brumes.
C'est une visite que je rendis au Dr Leakey à Louisville, dans le Kentucky, qui décida de mes retrouvailles avec Kabara, Sanwekwe et les gorilles. De retour aux Etats-Unis, j'avais repris mon travail de rééducatrice pour payer mes dettes.
Le Dr Leakey n'avait sans doute gardé qu'un vague souvenir de la touriste maladroite qu'il avait rencontrée trois ans auparavant, mais il fut frappé par les photos et les articles que j'avais publiés à mon retour d'Afrique.
Après un bref entretien, il me déclara que j'étais celle qu'il cherchait depuis longtemps pour entreprendre des recherches sur le terrain. Auparavant, me dit-il, je devais me faire opérer de l'appendicite afin de ne pas courir le risque d'être malade dans cette région reculée d'Afrique centrale. J'aurais accepté n'importe quelle condition et j'entrai à l'hôpital pour une appendicectomie.
Six semaines après ma sortie de l'hôpital, je reçus une lettre du Dr Leakey. "En réalité, disait-il, il n'y avait aucune raison impérieuse de vous faire enlever l'apendice. C'est seulement ma façon de mettre à l'épreuve les nouveaux postulants." Ce fut ma première expérience du sens de l'humour bien particulier qui était le sien.
Il fallut huit mois au Dr Leakey pour rassembler les fonds nécessaires. Pendant ce temps, je finis de rembourser le prêt bancaire qui avait financé mon safari de 1963, appris pratiquement par coeur les deux magnifiques ouvrages de George Schaller sur ses recherches de 1959 à 1960 parmi les gorilles de montagne et m'initiai à la langue swahili.
Ce fut dur de quitter mon travail et les enfants dont je m'étais occupée pendant onze ans. Je dis au revoir à mes amis du Kentucky et à mes trois chiens, Mitzi, Shep et Brownie. Ces derniers sentaient que notre séparation serait définitive. Je les vois encore courant derrière ma voiture chargée à ras bord. Je me rendis ensuite en Californie, pour embrasser mes parents.
Je ne pouvais faire comprendre à personne ce qui me poussait à retourner en Afrique. Les uns appelleront cela la destinée. D'autres jugeront cette initiative bizarre et affligeante. Quant à moi, comme chaque fois que ma vie prend une tournure surprenante, je parlerai seulement de hasard.
Vers la fin de l'année 1960, Leighton Wilkie, qui finançait les recherches de Jane Goodall sur les chimpanzés, informa le Dr Leakey qu'il était prêt à participer à un autre projet à long terme sur les grands singes.
En décembre 1966, j'étais de nouveau en route pour l'Afrique. Mon unique but, cette fois-ci, était de retrouver les gorilles. ../..
p59-p60
../.. Parfois, les étudiants et moi-même tombions sur des gorilles, sans avoir eu le temps de les avertir de notre présence. Les animaux chargeaient alors, surtout si plusieurs groupes étaient proches les uns des autres, s'ils se déplaçaient dans une zone dangereuse fréquentée par les braconniers, ou s'il y avait parmi eux un nouveau-né.
On comprend qu'en de telles circonstances, le chef à dos argenté devait recourir à des tactiques défensives.
J'escaladais un jour une colline à la végétation épaisse sur les traces du groupe 8 qui, selon mes estimations, se trouvait à quelques heures de marche devant moi. L'air fut soudain déchiré par les cris stridents de cinq gorilles qui dévalaient la colline en chargeant dans ma direction. Il est difficile de décrire l'impression causée par une charge de gorilles. Les cris sont si assourdissants qu'on ne peut les localiser. Je me rendis compte que les gorilles étaient au-dessus de ma tête quand je vis les futaies s'écarter, comme au passage d'un tracteur fou qui fonçait directement sur moi.
Quand le mâle dominant à dos argenté me reconnut, il freina brusquement. Il était environ à un mètre de moi. Les quatre mâles qui le suivaient lui tombèrent dessus. Je me laissai glisser lentement à terre, prenant une pose aussi soumise que possible. Les poils des gorilles se dressaient au-dessus de leur crête sagittale (pilo-érection), ils montraient les dents, et leurs iris, habituellement marron clair, viraient au jaune, leur donnant des yeux semblables à ceux des chats. L'odeur caractéristique de la peur emplissait l'air. Je restai immobile pendant plus d'une demi-heure, car les mâles se mettaient à crier dès que j'esquissais un mouvement. Finalement, je fis semblant de manger de l'herbe. Ils me laissèrent faire puis, d'un pas raide, remontèrent dans la colline.
Je me mis alors debout et essayai de découvrir l'origine des cris qui venaient d'éclater plus de cent mètres au-dessous de moi. J'aperçus un groupe de bergers tutsi qui avaient été attirés par les hurlements des gorilles et avaient dévalé les pentes où ils faisaient paître leurs troupeaux. Je sus plus tard que les hommes étaient persuadés que les gorilles m'avaient mise en pièces. Quand ils me virent saine et sauve, ils en conclurent que j'étais sous la protection d'un "sumu" spécial qui me mettait à l'abri de la colère des gorilles qui, pour leur part, les terrifiait.
Je continuai à suivre le groupe 8 et découvris qu'il était en contact avec le groupe 9 au moment où je l'avais rencontré. D'après les traces, je pus voir que le groupe 9 avait pris part à la charge mais s'était arrêté avant de m'atteindre. Je compris tout en découvrant un mâle solitaire à dos argenté, juste au-dessus de l'endroit où je me trouvais. En entendant le bruit d'herbes foulées, les gorilles avaient cru à l'arrivée du mâle solitaire dont la présence ne pouvait être tolérée ni par un groupe ni par l'autre.
Tout en sachant que les charges des gorilles sont purement défensives, on réagit instinctivement par la fuite, impulsion qui invite les gorilles à la poursuite. Convaincue de la gentillesse innée des gorilles, j'ai toujours pensé que leurs charges ressortaient de l'intimidation et n'ai jamais hésité à rester sur place. Devant la violence de leurs cris et la rapidité de leur approche, je m'accrochais fermement aux plantes qui m'entouraient. Si je n'avais pas eu ce support, j'aurais certainement tourné les talons et me serais enfuie à toutes jambes.
En règle générale, les gorilles ne chargent pas les gens qu'ils connaissent et, quand il s'agit d'inconnus, ne leur donnent souvent qu'une petite tape au passage. A condition toutefois que l'homme ne court pas.
Un de mes meilleurs étudiants commit un jour la même erreur que moi. Il grimpait à travers la végétation très dense dans une zone fréquentée par les braconniers et se frayait un chemin à grand bruit avec son panga, ignorant qu'un groupe de gorilles se trouvait à proximité. Le mâle dominant à dos argenté, qui ne l'avait pas identifié, chargea brusquement. Le jeune homme prit la fuite. Le gorille plongea sur lui, le plaqua au sol, déchira son sac à dos et s'apprêtait à planter les dents dans son bras quand il reconnut un observateur familier. Il se recula immédiatement avec, me dit le jeune homme, "une mimique faciale ressemblant à des excuses". ../..
p66
../.. Par une journée particulièrement ensoleillée, j'entendis des vocalisations typiques de contentement provenant d'une des cuvettes pourvue d'une herbe abondante où le groupe 5 avait l'habitude de se tenir. Je rampai doucement jusqu'au bord du ravin et, sans être vue, observai la famille avec mes jumelles. Beethoven, le patriarche, était couché au milieu de ses femelles, monticule argenté deux fois plus gros que chacune d'elles. Il devait peser environ 135kg et être âgé d'une quarantaine d'années. Son dos était presque blanc tandis que les poils de ses épaules, de sa nuque et de ses cuisses grisonnaient. Je remarquai, outre sa taille massive et ses poils argentés, d'autres caractéristiques morphologiques sexuelles, comme la crête sagittale prononcée et les grandes canines que l'on ne trouve jamais chez les femelles.
Lentement, Beethoven se laissa rouler sur le dos, soupira de plaisir et s'absorba dans la contemplation de son dernier-né, Puck, âgé de six mois, qui jouait sur le ventre de sa mère, Effie. Beethoven souleva Puck par la peau du cou et le balança doucement au-dessus de lui. L'enfant paraissait minuscule dans cette main énorme. Enfin, Beethoven reposa le bébé sur le ventre de sa mère.
J'ai souvent vu ce spectacle d'un vénérable gorille à dos argenté jouant avec son rejeton. La gentillesse extraordinaire du mâle adulte envers ses enfants apporte un démenti au mythe de King Kong. ../..
p150
../.. Les photographes, les touristes, certains cinéastes constituent pour les gorilles un danger aussi grand que les braconniers. Les cinéastes français, dont j'ai parlé plus haut, avaient poursuivi le groupe 5 pendant six semaines. Ils furent responsables de l'avortement d'Effie. Finalement, le groupe 5 émigra et quitta son domaine vital, situé à l'intérieur du Parc, pour fuir les touristes. Il fut obligé de s'installer dans une zone fréquentée par les braconniers. L'équipe de télévision française rentra à Paris. Son documentaire eut un grand succès à la télévision. Pendant ce temps, le groupe 5 se remettait lentement du choc de l'invasion gauloise et notre équipe dut procéder à une opération de regroupement pour le faire sortir de la zone dangereuse. ../..
p198-p200
../.. Le 1er janvier 1978, Nemeye revint tardivement au camp et nous annonça qu'il n'avait pu localiser le groupe 4. Les traces se confondaient avec celles de nombreux buffles, d'éléphants, de chiens et de braconniers. Il avait aussi trouvé sur la piste du sang et des traînées de diarrhée. Malgré sa peur, il avait eu le courage de suivre la piste des gorilles sur trois kilomètres. Ils avaient fui en direction du mont Visoke. Le lendemain, divisés en deux équipes (Ian Redmond et Nemeye d'une part, moi-même et Kanyaragana d'autre part), nous quittions le camp à l'aube pour entreprendre des recherches sur toute l'étendue du col.
Ian trouva d'abord le corps mutilé de Digit gisant dans une mare de sang sur des feuillages piétinés. La tête et les mains avaient été coupés. Le corps portait des traces de multiples coups de lance. Ian et Nemeye partirent à ma rencontre afin de m'apprendre la catastrophe et de m'éviter le choc de la découverte.
Pendant que Ian me racontait l'horrible nouvelle, je revoyais défiler devant mes yeux toute la vie de Digit depuis le premier instant où je l'avais vu, dix ans plus tôt, petite boule soyeuse de fourrure noire. Je me sentais comme amputée d'une partie de moi-même.
Digit qui, dans son rôle de sentinelle, avait été pendant si longtemps d'une importance vitale pour son groupe, était mort en service commandé, tué par des braconniers, le 31 décembre 1977. Il avait reçu 5 coups de lance mortels en tenant en respect 6 hommes et leurs chiens. Grâce à lui, tous les membres de sa famille, sa compagne Simba et l'enfant qu'elle portait avaient pu fuir vers la sécurité de la montagne. Il avait mené un dernier combat solitaire et courageux et réussi à tuer l'un des chiens avant de mourir. La pensée de l'angoisse et de la souffrance qu'il avait endurées et de la compréhension qu'il avait peut-être eu de la cruauté humaine me serraient le coeur.
Les porteurs ramenèrent son corps au camp et on l'enterra à quelques mètres de ma cabane. Digit était mort mais son souvenir restait vivant. J'eus ce soir-là une longue discussion avec Ian Redmond. Fallait-il garder secret cet assassinat ou au contraire lui donner une large publicité afin d'obtenir un soutien pour la préservation du Parc des Volcans et l'organisation de patrouilles antibraconnage ?
Ian, parce qu'il était encore un nouveau venu, était optimiste. Il pensait que l'indignation soulevée par cet assassinat inutile serait un moyen de pression sur les autorités rwandaises et les contraindrait à mettre les braconniers sous les verrous. Il croyait aussi que cet incident renforcerait la coopération entre le Rwanda et le Zaïre et que les deux pays réuniraient chacune des parties de la réserve située sur son territoire respectif pour l'administrer de concert. ../..
../.. L'aube blanchissait les fenêtres. Tout en continuant à discuter avec Ian, je compris enfin que Digit ne pouvait être mort pour rien. Je décidai de créer un "Fonds Digit" pour le soutien à la préservation active des gorilles. L'argent recueilli serait exclusivement consacré à la création de patrouilles antibraconnage, au recrutement, à l'entraînement, à l'équipement et à la rémunération d'Africains. ../..
Gorilles dans la brume : Treize ans chez les gorilles, Dian Fossey, Traduction de Josie Fanon, Editions France Loisirs, 1989, 244 pages, 16 pages de photos en noir et blanc
Photo tirée de la couverture du livre Letters from the Mist
"J'ai passé 13 ans de mon existence parmi les gorilles de montagne et je les ai observés dans leur environnement naturel. Ce livre, qui est également le fruit de 15 années de travaux et de recherches, retrace certains épisodes de cette expérience. ./. Des mesures urgentes de protection doivent être prises si l'on veut que les gorilles survivent et se multiplient. Mais n'est-il pas déjà trop tard ? J'ai eu ce rare privilège, parmi tous les chercheurs qui ont travaillé sur le terrain en Afrique, d'avoir pu étudier le gorille de montagne. Je souhaite vivement que le résultat de mes recherches soit à la hauteur des souvenirs et des observations que j'ai accumulés."
Dian Fossey
Le sommaire
Avant-propos
1. A Kabara, sur les traces de Carl Akeley et de George Schaller
2. Le second souffle : le centre de recherches de Karisoke au Ruanda
3. Le travail sur le terrain
4. Trois générations de gorilles
5. Coco et Pucker, les orphelins sauvages. Destination : la prison
6. Des animaux en visite à Karisoke
7. La disparition naturelle de deux familles de gorilles, les groupes 8 et 9
8. Des hommes en visite à Karisoke
9. Le groupe 4 s'adapte à un nouveau chef
10. Un exemple de stabilité familiale, le groupe 4
11. Décimation par les braconniers
12. L'espoir : formation d'une nouvelle famille, le groupe de Nunkie
Conclusion
Généalogies
Postface
Pour en savoir plus
- Ce lien ou ce lien pour voir le film "Gorilles dans la brume" avec Sigourney Weaver
- Le site de la Fondation Dian Fossey
- Une biographie de Dian Fossey
- Dian Fossey au pays des gorilles, de Farley Mowat
- Gorilles : Les survivants des Birunga, de George Schaller
- Gorilles orphelins, de Despina Chronopoulos
- Au secours des gorilles, de Fabrice Martinez
- D'autres livres sur le thème des gorilles
- Le documentaire Conversations avec Koko le gorille
- Les documentaires Un gorille dans la famille / Deux gorilles à la maison
La couverture des Editions Presses de la Cité, 1985
L'avant-propos
(dans son intégralité)
J'ai passé treize ans de mon existence parmi les gorilles de montagne et je les ai observés dans leur environnement naturel. Ce livre, qui est également le fruit de quinze années de travaux et de recherches, retrace certains épisodes de cette expérience.
La chaîne des Birunga est composée de huit volcans dont deux seulement sont en activité. Les six volcans éteints sont les seuls endroits au monde où l'on trouve les gorilles de montagne. Cette zone s'étend sur quarante kilomètres de long et, selon les endroits, sur dix à vingt kilomètres de large. Elle forme une réserve dont les deux tiers sont situés au Zaïre et portent le nom de Parc National des Birunga. Douze mille hectares font partie du territoire ruandais ; c'est le Parc National des Volcans. Enfin, une portion plus petite, le Kigezi Gorilla Sanctuary, se trouve en Ouganda.
Les recherches que j'ai effectuées sur le gorille, ce grand singe de l'ordre des primates, animal à la stature majestueuse, d'une grande douceur mais qui, à l'occasion, peut devenir vindicatif, concernent particulièrement l'organisation sociale et familiale. Elles ont permis de découvrir certains modèles de comportement jusqu'alors inconnus.
Carl Linné, le pionnier de la classification, fut le premier à établir, en 1758, la relation existant entre l'homme et le singe. C'est lui qui définit l'ordre des primates, voulant souligner par ce terme la place supérieure que l'homme et le singe occupent dans le règne animal.
L'homme et les trois grands singes (orang-outang, chimpanzé et gorille) sont les seuls primates dépourvus de queue. Ils ont cinq doigts aux pieds et aux mains et leurs pouces sont opposables. Ce sont des mammifères. La position de leurs orbites permet la vision binoculaire. Enfin, leur mâchoire comporte généralement trente-deux dents.
La rareté des fossiles ne permet pas d'établir l'origine des deux familles, les pongidés (grands singes) et les hominidés (hommes) qui se sont séparés du tronc commun depuis des millions d'années. On ne peut donc être certain que l'un des trois grands singes est l'ancêtre de l'homme moderne, l'Homo sapiens.
Parmi tous les primates, cependant, le gorille possède les caractéristiques physiques les plus proches de celles de l'homme. Son étude devrait donc nous permettre de déduire certains comportements de nos lointains ancêtres.
La branche des chimpanzés s'est séparée de celle des gorilles il y a plusieurs millions d'années. Les orangs-outangs s'étaient détachés du tronc commun depuis plus longtemps encore. La confusion persista pendant tout le XVIIIe siècle entre les orangs-outangs, les chimpanzés et les gorilles. L'orang-outang fut le premier à être considéré comme étant d'un genre distinct, sans doute parce qu'il vivait dans les régions lointaines de l'Asie. Ce n'est qu'après 1847 et la découverte d'un squelette de gorille au Gabon que l'on différencia le gorille du chimpanzé.
De même que chez les orangs-outangs et les chimpanzés, il existe des subdivisions chez les gorilles. Les différences morphologiques sont avant tout fonction de la nature de l'habitat.
Il reste en Afrique de l'Ouest entre neuf mille et dix mille gorilles de plaine (Gorilla gorilla gorilla) qui vivent en liberté. Ce sont des spécimens de cette sous-espèce que l'on capture généralement et que l'on trouve derrière les grilles des zoos ou empaillés dans les musées. Plus de quinze mille kilomètres à l'ouest, dans la chaîne des volcans Birunga, au Zaïre, en Ouganda et au Ruanda vivent les derniers gorilles de montagne (Gorilla gorilla beringei) qui font l'objet de cette étude. Ils ne sont guère plus de deux cent quarante. Tous vivent en liberté. La troisième sous-espèce (Gorilla gorilla graueri) compte environ quatre mille gorilles que l'on rencontre dans l'est du Zaïre. Une vingtaine seulement ont été capturés.
On dénombre, selon l'altitude où ils vivent, vingt-neuf caractères morphologiques différents entre les gorilles de plaine et les gorilles de montagne. Le gorille de montagne vit de préférence à terre. Il a des poils plus longs, des mamelles plus importantes, un tronc plus large, une crête sagittale plus prononcee. un palais plus allongé, des bras plus courts, des pieds et des mains plus petits et plus larges.
Quatre mille gorilles seulement vivent donc en liberté dans des réserves. Pour assurer la protection de l'espèce, certains préconisent la capture des gorilles et leur emprisonnement dans les zoos ou des endroits similaires. Par suite des liens familiaux étroits qui existent chez les gorilles, la capture d'un seul jeune peut entraîner la mort de plusieurs membres du groupe familial. De plus, tous les animaux capturés ne parviennent pas vivants à destination. On estime qu'un tiers seulement survit. La mortalité dans les zoos contribue encore à diminuer le nombre des gorilles. Je m'élève avec la plus vive énergie contre la théorie selon laquelle le massacre, la capture des gorilles et leur exposition dans les zoos sont des moyens d'empêcher la disparition de ces animaux.
La préservation d'une espèce menacée d'extinction commence avec la prise de mesures rigoureuses et le renforcement de la législation pour protéger l'habitat naturel des animaux contre l'empiétement de l'homme sur les parcs et les réserves.
Il faut construire pour les gorilles enfermés dans les zoos des abris se rapprochant le plus possible de leur habitat naturel et supprimer les cages et les barreaux. Les animaux doivent pouvoir grimper aux arbres et avoir à leur disposition de la paille, des branches ou des bambous pour construire leurs nids. La nourriture doit être fournie en petites portions, répartie tout au long de la journée, correctement préparée et disséminée en différents endroits pour permettre à l'animal de la chercher et de la découvrir. Les gorilles doivent pouvoir sortir de leur cage. Contrairement à l'opinion couramment répandue, ils n'aiment rien tant que paresser au soleil. Enfin. il faut aménager des recoins obscurs pour permettre aux animaux captifs de se mettre à l'abri, s'ils le désirent, des regards humains et de s'isoler de leurs congénères, comme ils le font quand ils sont en liberté.
Pour éviter la consanguinité et stimuler la reproduction, il convient de faire permuter d'un groupe à l'autre les animaux qui semblent stériles. C'est un processus habituel chez les gorilles en liberté.
De meilleures conditions de vie contribueront sans aucun doute à améliorer la reproduction des gorilles.
Le Dr Louis Leakey, aujourd'hui décédé, craignait que le gorille de montagne, sous-espèce scientifiquement identifiée en 1902, ne disparaisse avant la fin du siècle. C'est pourquoi il souhaitait vivement que l'on entreprenne des recherches sur le terrain. Jusqu'en 1960, seul George Schaller l'avait fait.
Pendant les six ans et demi qui séparèrent la publication des brillants travaux de Schaller et le début de ma propre enquête, la proportion des mâles par rapport aux femelles chez la population gorille des volcans Birunga tomba de 1 pour 2,5 à 1 pour 1,2. La population totale diminua de moitié. Il y a plus grave : près de la moitié de la réserve où vivent les gorilles est en passe d'être transformée en terres de cultures. Délogés de leur habitat naturel par la présence de l'homme, les gorilles deviennent de plus en plus vindicatifs et se battent entre eux.
Des mesures urgentes de protection doivent être prises si l'on veut que les gorilles survivent et se multiplient. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
J'ai eu ce rare privilège, parmi tous les chercheurs qui ont travaillé sur le terrain en Afrique, d'avoir pu étudier le gorille de montagne. Je souhaite vivement que le résultat de mes recherches soit à la hauteur des souvenirs et des observations que j'ai accumulés.
Quelques extraits choisis
Ch1. A Kabara, sur les traces de Carl Akeley et de George Schaller
p12 (les premiers pas de Dian Fossey en Afrique...)
../.. Le Dr Leakey me permit de visiter les nouveaux sites archéologiques d'Olduvai. On venait d'y découvrir un fossile de girafe. Je descendais en courant une pente escarpée, exultant de me sentir libre sous le beau ciel d'Afrique, lorsque, soudain, je roulai dans le fossé où se trouvait la dernière découverte et me foulai la cheville. De douleur, je vomis sans ménagement sur le précieux fossile. Pour compléter mon humiliation, les membres de l'équipe de Leakey, légèrement dégoûtés, me hissèrent hors du trou comme un goret. Mary Leakey me fit boire gentiment un jus de citron tandis que nous contemplions ma cheville enflée qui virait du bleu au noir. De l'avis général, je devais abandonner mon projet de tournée dans les Birunga. Ce petit accident ne fit, au contraire, que renforcer ma détermination.
Je quittai les Leakey quinze jours plus tard. M'aidant d'une canne que m'avait confectionnée un sympathique Africain rencontré sur la route, et accompagnée d'un chauffeur et d'une douzaine de porteurs, j'entrepris l'escalade difficile qui devait nous mener en cinq heures jusqu'à la prairie de Kabara. ../..
p14-p15
../.. Alan mit lentement la caméra en marche et commença à filmer. Le bruit éveilla la curiosité d'autres membres du groupe qui s'avancèrent pour mieux nous voir. Cherchant à attirer notre attention, certains gorilles se livraient à des démonstrations : bâillements, simulation de repas, bris de branches, coups frappés sur la poitrine. Ils nous regardaient ensuite d'un air railleur comme s'ils essayaient de déterminer quel effet le spectacle faisait sur nous.
Je fus captivée, au cours de cette première rencontre, par leur personnalité et la timidité de leur comportement. Je quittai Kabara avec regret, mais convaincue qu'un jour ou l'autre je reviendrais pour en apprendre davantage sur les gorilles de la montagne perdue dans les brumes.
C'est une visite que je rendis au Dr Leakey à Louisville, dans le Kentucky, qui décida de mes retrouvailles avec Kabara, Sanwekwe et les gorilles. De retour aux Etats-Unis, j'avais repris mon travail de rééducatrice pour payer mes dettes.
Le Dr Leakey n'avait sans doute gardé qu'un vague souvenir de la touriste maladroite qu'il avait rencontrée trois ans auparavant, mais il fut frappé par les photos et les articles que j'avais publiés à mon retour d'Afrique.
Après un bref entretien, il me déclara que j'étais celle qu'il cherchait depuis longtemps pour entreprendre des recherches sur le terrain. Auparavant, me dit-il, je devais me faire opérer de l'appendicite afin de ne pas courir le risque d'être malade dans cette région reculée d'Afrique centrale. J'aurais accepté n'importe quelle condition et j'entrai à l'hôpital pour une appendicectomie.
Six semaines après ma sortie de l'hôpital, je reçus une lettre du Dr Leakey. "En réalité, disait-il, il n'y avait aucune raison impérieuse de vous faire enlever l'apendice. C'est seulement ma façon de mettre à l'épreuve les nouveaux postulants." Ce fut ma première expérience du sens de l'humour bien particulier qui était le sien.
Il fallut huit mois au Dr Leakey pour rassembler les fonds nécessaires. Pendant ce temps, je finis de rembourser le prêt bancaire qui avait financé mon safari de 1963, appris pratiquement par coeur les deux magnifiques ouvrages de George Schaller sur ses recherches de 1959 à 1960 parmi les gorilles de montagne et m'initiai à la langue swahili.
Ce fut dur de quitter mon travail et les enfants dont je m'étais occupée pendant onze ans. Je dis au revoir à mes amis du Kentucky et à mes trois chiens, Mitzi, Shep et Brownie. Ces derniers sentaient que notre séparation serait définitive. Je les vois encore courant derrière ma voiture chargée à ras bord. Je me rendis ensuite en Californie, pour embrasser mes parents.
Je ne pouvais faire comprendre à personne ce qui me poussait à retourner en Afrique. Les uns appelleront cela la destinée. D'autres jugeront cette initiative bizarre et affligeante. Quant à moi, comme chaque fois que ma vie prend une tournure surprenante, je parlerai seulement de hasard.
Vers la fin de l'année 1960, Leighton Wilkie, qui finançait les recherches de Jane Goodall sur les chimpanzés, informa le Dr Leakey qu'il était prêt à participer à un autre projet à long terme sur les grands singes.
En décembre 1966, j'étais de nouveau en route pour l'Afrique. Mon unique but, cette fois-ci, était de retrouver les gorilles. ../..
Ch3. Le travail sur le terrain
p59-p60
../.. Parfois, les étudiants et moi-même tombions sur des gorilles, sans avoir eu le temps de les avertir de notre présence. Les animaux chargeaient alors, surtout si plusieurs groupes étaient proches les uns des autres, s'ils se déplaçaient dans une zone dangereuse fréquentée par les braconniers, ou s'il y avait parmi eux un nouveau-né.
On comprend qu'en de telles circonstances, le chef à dos argenté devait recourir à des tactiques défensives.
J'escaladais un jour une colline à la végétation épaisse sur les traces du groupe 8 qui, selon mes estimations, se trouvait à quelques heures de marche devant moi. L'air fut soudain déchiré par les cris stridents de cinq gorilles qui dévalaient la colline en chargeant dans ma direction. Il est difficile de décrire l'impression causée par une charge de gorilles. Les cris sont si assourdissants qu'on ne peut les localiser. Je me rendis compte que les gorilles étaient au-dessus de ma tête quand je vis les futaies s'écarter, comme au passage d'un tracteur fou qui fonçait directement sur moi.
Quand le mâle dominant à dos argenté me reconnut, il freina brusquement. Il était environ à un mètre de moi. Les quatre mâles qui le suivaient lui tombèrent dessus. Je me laissai glisser lentement à terre, prenant une pose aussi soumise que possible. Les poils des gorilles se dressaient au-dessus de leur crête sagittale (pilo-érection), ils montraient les dents, et leurs iris, habituellement marron clair, viraient au jaune, leur donnant des yeux semblables à ceux des chats. L'odeur caractéristique de la peur emplissait l'air. Je restai immobile pendant plus d'une demi-heure, car les mâles se mettaient à crier dès que j'esquissais un mouvement. Finalement, je fis semblant de manger de l'herbe. Ils me laissèrent faire puis, d'un pas raide, remontèrent dans la colline.
Je me mis alors debout et essayai de découvrir l'origine des cris qui venaient d'éclater plus de cent mètres au-dessous de moi. J'aperçus un groupe de bergers tutsi qui avaient été attirés par les hurlements des gorilles et avaient dévalé les pentes où ils faisaient paître leurs troupeaux. Je sus plus tard que les hommes étaient persuadés que les gorilles m'avaient mise en pièces. Quand ils me virent saine et sauve, ils en conclurent que j'étais sous la protection d'un "sumu" spécial qui me mettait à l'abri de la colère des gorilles qui, pour leur part, les terrifiait.
Je continuai à suivre le groupe 8 et découvris qu'il était en contact avec le groupe 9 au moment où je l'avais rencontré. D'après les traces, je pus voir que le groupe 9 avait pris part à la charge mais s'était arrêté avant de m'atteindre. Je compris tout en découvrant un mâle solitaire à dos argenté, juste au-dessus de l'endroit où je me trouvais. En entendant le bruit d'herbes foulées, les gorilles avaient cru à l'arrivée du mâle solitaire dont la présence ne pouvait être tolérée ni par un groupe ni par l'autre.
Tout en sachant que les charges des gorilles sont purement défensives, on réagit instinctivement par la fuite, impulsion qui invite les gorilles à la poursuite. Convaincue de la gentillesse innée des gorilles, j'ai toujours pensé que leurs charges ressortaient de l'intimidation et n'ai jamais hésité à rester sur place. Devant la violence de leurs cris et la rapidité de leur approche, je m'accrochais fermement aux plantes qui m'entouraient. Si je n'avais pas eu ce support, j'aurais certainement tourné les talons et me serais enfuie à toutes jambes.
En règle générale, les gorilles ne chargent pas les gens qu'ils connaissent et, quand il s'agit d'inconnus, ne leur donnent souvent qu'une petite tape au passage. A condition toutefois que l'homme ne court pas.
Un de mes meilleurs étudiants commit un jour la même erreur que moi. Il grimpait à travers la végétation très dense dans une zone fréquentée par les braconniers et se frayait un chemin à grand bruit avec son panga, ignorant qu'un groupe de gorilles se trouvait à proximité. Le mâle dominant à dos argenté, qui ne l'avait pas identifié, chargea brusquement. Le jeune homme prit la fuite. Le gorille plongea sur lui, le plaqua au sol, déchira son sac à dos et s'apprêtait à planter les dents dans son bras quand il reconnut un observateur familier. Il se recula immédiatement avec, me dit le jeune homme, "une mimique faciale ressemblant à des excuses". ../..
Ch4. Trois générations de gorilles
p66
../.. Par une journée particulièrement ensoleillée, j'entendis des vocalisations typiques de contentement provenant d'une des cuvettes pourvue d'une herbe abondante où le groupe 5 avait l'habitude de se tenir. Je rampai doucement jusqu'au bord du ravin et, sans être vue, observai la famille avec mes jumelles. Beethoven, le patriarche, était couché au milieu de ses femelles, monticule argenté deux fois plus gros que chacune d'elles. Il devait peser environ 135kg et être âgé d'une quarantaine d'années. Son dos était presque blanc tandis que les poils de ses épaules, de sa nuque et de ses cuisses grisonnaient. Je remarquai, outre sa taille massive et ses poils argentés, d'autres caractéristiques morphologiques sexuelles, comme la crête sagittale prononcée et les grandes canines que l'on ne trouve jamais chez les femelles.
Lentement, Beethoven se laissa rouler sur le dos, soupira de plaisir et s'absorba dans la contemplation de son dernier-né, Puck, âgé de six mois, qui jouait sur le ventre de sa mère, Effie. Beethoven souleva Puck par la peau du cou et le balança doucement au-dessus de lui. L'enfant paraissait minuscule dans cette main énorme. Enfin, Beethoven reposa le bébé sur le ventre de sa mère.
J'ai souvent vu ce spectacle d'un vénérable gorille à dos argenté jouant avec son rejeton. La gentillesse extraordinaire du mâle adulte envers ses enfants apporte un démenti au mythe de King Kong. ../..
Ch8. Des hommes en visite à Karisoke
p150
../.. Les photographes, les touristes, certains cinéastes constituent pour les gorilles un danger aussi grand que les braconniers. Les cinéastes français, dont j'ai parlé plus haut, avaient poursuivi le groupe 5 pendant six semaines. Ils furent responsables de l'avortement d'Effie. Finalement, le groupe 5 émigra et quitta son domaine vital, situé à l'intérieur du Parc, pour fuir les touristes. Il fut obligé de s'installer dans une zone fréquentée par les braconniers. L'équipe de télévision française rentra à Paris. Son documentaire eut un grand succès à la télévision. Pendant ce temps, le groupe 5 se remettait lentement du choc de l'invasion gauloise et notre équipe dut procéder à une opération de regroupement pour le faire sortir de la zone dangereuse. ../..
Digit
Ch11. Décimation par les braconniers
p198-p200
../.. Le 1er janvier 1978, Nemeye revint tardivement au camp et nous annonça qu'il n'avait pu localiser le groupe 4. Les traces se confondaient avec celles de nombreux buffles, d'éléphants, de chiens et de braconniers. Il avait aussi trouvé sur la piste du sang et des traînées de diarrhée. Malgré sa peur, il avait eu le courage de suivre la piste des gorilles sur trois kilomètres. Ils avaient fui en direction du mont Visoke. Le lendemain, divisés en deux équipes (Ian Redmond et Nemeye d'une part, moi-même et Kanyaragana d'autre part), nous quittions le camp à l'aube pour entreprendre des recherches sur toute l'étendue du col.
Ian trouva d'abord le corps mutilé de Digit gisant dans une mare de sang sur des feuillages piétinés. La tête et les mains avaient été coupés. Le corps portait des traces de multiples coups de lance. Ian et Nemeye partirent à ma rencontre afin de m'apprendre la catastrophe et de m'éviter le choc de la découverte.
Pendant que Ian me racontait l'horrible nouvelle, je revoyais défiler devant mes yeux toute la vie de Digit depuis le premier instant où je l'avais vu, dix ans plus tôt, petite boule soyeuse de fourrure noire. Je me sentais comme amputée d'une partie de moi-même.
Digit qui, dans son rôle de sentinelle, avait été pendant si longtemps d'une importance vitale pour son groupe, était mort en service commandé, tué par des braconniers, le 31 décembre 1977. Il avait reçu 5 coups de lance mortels en tenant en respect 6 hommes et leurs chiens. Grâce à lui, tous les membres de sa famille, sa compagne Simba et l'enfant qu'elle portait avaient pu fuir vers la sécurité de la montagne. Il avait mené un dernier combat solitaire et courageux et réussi à tuer l'un des chiens avant de mourir. La pensée de l'angoisse et de la souffrance qu'il avait endurées et de la compréhension qu'il avait peut-être eu de la cruauté humaine me serraient le coeur.
Les porteurs ramenèrent son corps au camp et on l'enterra à quelques mètres de ma cabane. Digit était mort mais son souvenir restait vivant. J'eus ce soir-là une longue discussion avec Ian Redmond. Fallait-il garder secret cet assassinat ou au contraire lui donner une large publicité afin d'obtenir un soutien pour la préservation du Parc des Volcans et l'organisation de patrouilles antibraconnage ?
Ian, parce qu'il était encore un nouveau venu, était optimiste. Il pensait que l'indignation soulevée par cet assassinat inutile serait un moyen de pression sur les autorités rwandaises et les contraindrait à mettre les braconniers sous les verrous. Il croyait aussi que cet incident renforcerait la coopération entre le Rwanda et le Zaïre et que les deux pays réuniraient chacune des parties de la réserve située sur son territoire respectif pour l'administrer de concert. ../..
../.. L'aube blanchissait les fenêtres. Tout en continuant à discuter avec Ian, je compris enfin que Digit ne pouvait être mort pour rien. Je décidai de créer un "Fonds Digit" pour le soutien à la préservation active des gorilles. L'argent recueilli serait exclusivement consacré à la création de patrouilles antibraconnage, au recrutement, à l'entraînement, à l'équipement et à la rémunération d'Africains. ../..
Une photo extraite du livre
Sa légende : Cette photo représentant Digit âgé de onze ans illustra une célèbre affiche rwandaise qui proposait aux touristes du monde entier : "Venez le découvrir au Rwanda..."
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Digit, photographié par Dian Fossey
Source : Internet
Cette photo est également présente en noir et blanc dans le livre.
Sa légende : Après avoir atteint la maturité sexuelle, Digit resta dans son groupe natal où il avait la possibilité de procréer. Cette photo prise en 1974, après la mort d'Old Goat, la femelle dominante du groupe 4, qui avait assumé avec Digit les fonctions de sentinelle, montre ce dernier comme hanté par ses souvenirs.
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Une autre photo extraite du livre
Sa légende : L'auteur fit cette photo de Digit début décembre 1977, sans se douter que ce serait la dernière. Le gorille, assis dans l'ombre à l'écart du groupe, est à son poste de sentinelle. Quatre mois plus tard naissait l'enfant de Digit et de Simba.
Photos
Leakey's Angels, les fondatrices de la primatologie moderne
de gauche à droite, Biruté Galdikas (les orangs-outangs, Indonésie),
Jane Goodall (les chimpanzés, Tanzanie) et Dian Fossey (les gorilles, Rwanda)
de gauche à droite, Biruté Galdikas (les orangs-outangs, Indonésie),
Jane Goodall (les chimpanzés, Tanzanie) et Dian Fossey (les gorilles, Rwanda)
"Au coeur des volcans des Birunga, parmi les gorilles, je me sens chez moi"
Dian Fossey
Dian Fossey
Le 27 décembre 1985, deux ans après la parution de ce livre, dian fossey était retrouvée morte dans son bungalow du Karisoke Research Center. Elle avait été frappée à la tête d'un coup de machette et gisait dans une chambre dévastée...
"Je veux être enterrée ici, dans le cimetière où reposent mes gorilles",
avait déclaré Dian Fossey à un journaliste
un mois avant son assassinat au coeur de la jungle rwandaise.
avait déclaré Dian Fossey à un journaliste
un mois avant son assassinat au coeur de la jungle rwandaise.
No one loved gorillas more
.Vidéos
Dian Fossey et Digit
Un extrait du documentaire "Final days of Dian Fossey"
Les derniers jours de Dian Fossey, France 5, 2005, 52min
Les derniers jours de Dian Fossey, France 5, 2005, 52min
L'émission "Champions de la nature" consacrée au gorille des montagnes
D'autres reportages animaliers sur ce lien.
2 commentaires:
Merci pour cette information interessante
l'homme est le pire des prédateurs capable de tuer son semblable,et il ce dit intelligent,c'est une hérésie
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