La communication animale
Le kaléidoscope des langages
Magazine Pour la science
Dossier hors-série n°34
janvier-avril 2002
120 pages
Le kaléidoscope des langages
Magazine Pour la science
Dossier hors-série n°34
janvier-avril 2002
120 pages
Un extrait de la préface : La communication animale aux carrefours de la connaissance, par Pierre Jouventin
Source
Oublie l'usage du langage et ne juge que par ce que tu vois. (premiers écrits de Darwin)
Comment expliquer que la communication animale soit à la fois aussi fascinante et complexe ? Les signaux émis par les animaux attirent notre attention du fait même de leur fonction, que ce soit les colorations extraordinaires des papillons, des oiseaux ou des poissons tropicaux, les sons remarquables émis par les insectes, les passereaux ou les baleines, les parades nuptiales des oiseaux-jardiniers de Nouvelle-Guinée qui construisent des cabanes puis les peignent en bleu et les ornent de fleurs pour y attirer la femelle, enfin tout simplement les attitudes et les miaulements de notre chat.
Toutefois, quand on veut comprendre leur signification, le problème se corse, car communication signifie transmission d'information et nous nous trouvons confrontés à au moins deux sujets d'étude. Selon la théorie de l'information en effet, toute communication véritable fait intervenir à la fois un émetteur, par exemple un oiseau qui chante et un récepteur, qui peut être un autre oiseau. Son message est inclus dans le chant qui est codé par l'émetteur transmis en présence d'autres signaux (bruit), puis décodé par le récepteur, ce qui suppose, outre des organes émetteurs et récepteurs, des règles communes : il s'agit donc d'un système de communication supposant une réciprocité, l'émetteur attendant un bénéfice de la réponse du récepteur.
Au sommaire
- Préface : La communication animale aux carrefours de la connaissance
La communication dans la nature
- L’univers sonore animal, Yveline Leroy
- Le chant sexuel des cigales, Henry Bennet-Clark
- Les ailes du désir : le chant de la mouche, Thierry Aubin et Bruno Moulin
- Les couleurs des céphalopodes, L. Bonnaud et R. Boucher-Rodoni
- Les signaux chimiques, A.-G. Bagnères, M. Ohresser, A. Lenoir et C. Errard
- L’odorat des oiseaux, Francesco Bonadonna et Marcel Lambrechts
- La communication chez les rongeurs, Jacques Cassaing
- Les bancs de poissons, Brian Partidge
- La communication des tortues, Jacques Fretey
- La communication hormonale du triton, M. Zerani et A. Gobetti
- Le choix du partenaire, L.-A. Dugatkin et J.-G. Godin
- La communication colorée, Marc Théry
- Le scorpion des sables et les vibrations, Philip Brownell
- Cerveau et chant, M. Hausberger, H. Cousillas, I. George. et L. Henry
- Les chants préférés des femelles oiseaux, Michel Kreutzer
- Des maîtres chanteurs sous la loi du milieu, N. Mathevon et T. Aubin
- Les dialectes des pinsons, Jean Joachim et Jacques Lauga
De la communication au langage
- Le manchot, modèle de communication ?, P. Jouventin, T. Aubin et A. Searby
- Conversation avec un perroquet, Irène Pepperberg
- La communication des cétacés, Doyen Nguyen
- Le contrôle vocal d’identité chez les otaries, Isabelle Charrier
- Les chimpanzés et le langage, Jacques Vauclair
- Les premiers mots, Pierre Hallé et Bénédicte de Boysson-Bardies
- La communication sans mot, Pierre Garrigues
Pour en savoir plus
- Des livres de Pierre Jouventin
- L'intelligence de l'animal, de Jacques Vauclair
- Les clefs de la communication animale, d'Anne Teyssèdre et Cécile Aquisti
- Constructions animales, de Bruno Corbara et Cécile Aquisti
- La communication chez les animaux, de Jan Zdarek
- Les pouvoirs secrets des animaux, de Karl Shuker
- Perception et communication chez les animaux, de Stéphane Tanzarella
- Les langages secrets de la nature, de Jean-Marie Pelt
- Le langage secret des animaux, de Vitus B. Dröscher
- Les bêtes aussi ont leurs langages, de Fernand Méry
- Les sociétés animales, de Jacques Goldberg
Visuels, acoustiques, tactiles, chimiques : seuls ou associés, ces signaux permettent aux animaux de se transmettre des informations
Un cri strident rompt soudain le silence de la forêt. Ou plutôt le brouhaha habituel. Car, même si on les distingue difficilement du fait de la luxuriance de cette forêt tropicale humide de Côte d'Ivoire, il y a une quantité d'animaux qui vivent ici et qui correspondent entre eux. Du moins entre individus du même clan ou de la même espèce. C'est un singe Diana, une espèce arboricole de la forêt, qui vient de pousser ce cri. Une vocalisation très particulière, un cri d'alerte en réalité.
Aussitôt, dans les arbres et lianes voisins, tous les singes se précipitent au sol : c'est ainsi qu'ils se protègent de l'attaque d'un de leurs prédateurs, l'aigle couronné. Une fois l'alerte passée et l'attaquant éloigné, les singes remontent dans leurs arbres. Mais le plus étonnant, c'est qu'au moment de l'alerte, d'autres animaux se sont également échappés, en criant eux aussi. C'étaient des calaos, ces oiseaux très colorés à long bec, qui vivent dans les mêmes arbres que les primates.
Que s'est-il passé ? Les oiseaux, a priori "sourds" aux cris des singes, ont en réalité très bien compris qu'il s'agissait de l'arrivée d'un aigle, un animal qui, pour eux aussi, est un prédateur. Conclusion : les calaos, voisins habituels des singes Diana, "savent" interpréter les cris de détresse de ceux-ci et profitent ainsi de leur vigilance pour survivre.
Jusqu'à maintenant, les biologistes étaient persuadés qu'un signal sonore ne peut être interprété que par un congénère du même groupe social ou en tout cas de la même espèce. Or cette observation sur le terrain montre, pour la première fois, qu'il n'en est rien.
Cette découverte toute récente est le fruit du travail de trois biologistes de l'université écossaise de Saint Andrews. L'histoire est encore plus belle quand on apprend que les calaos, qui ne sont pas menacés par les léopards, contrairement aux singes, restent totalement impassibles quand ces derniers poussent le cri d'alerte spécifique aux léopards.
Seconde conclusion : les calaos savent distinguer les différents cris d'alarme des singes et, en cas de survenue d'un léopard, ne crient surtout pas, de façon à éviter de signaler leur présence à d'autres prédateurs.
Cocktail chimique
Bien entendu, en plus de l'observation sur le terrain, les chercheurs, des éco-éthologistes et bio-acousticiens spécialistes de communication animale, ont vérifié à l'aide d'enregistrements sonores que les calaos étaient capables de distinguer entre les cris et adoptaient un comportement différent. Les deux espèces reconnaissent et différencient leurs cris respectifs, car elles cohabitent depuis longtemps, expliquent les chercheurs, qui espèrent maintenant pouvoir mettre en évidence les mêmes facultés chez d'autres espèces.
Cette communication sonore entre individus, et surtout entre espèces, est-elle pour autant un "langage" ? La question est toujours en suspens, mais pour la plupart des biologistes, ce n'en est pas un, même si ces animaux présentent des capacités cognitives, des facultés d'apprentissage notamment, assez exceptionnelles.
Il n'en reste pas moins qu'on a affaire là à un mode de communication sophistiqué. "Les moyens de communication mis en oeuvre dans le monde animal sont très nombreux. Certains nous sont très familiers puisque nous les utilisons aussi. C'est le cas de la communication visuelle ou sonore", explique Bruno Corbara, professeur de biologie à l'université de Clermont-Ferrand.
D'autres sont plus subtils. A commencer par la communication chimique aux moyens de molécules odorantes dont les phéromones qui, des bactéries aux mammifères - homme compris - en passant par les insectes sociaux (fourmis, abeilles), assure une fonction de reconnaissance maternelle, de régulation sexuelle ou de hiérarchisation sociale. Produites par des glandes spécialisées puis déposées ou émises dans l'air, ces phéromones peuvent avoir une signification particulière comme un signal d'alerte ou une action physiologique (blocage de l'activité génitale du receveur, par exemple). Plus subtiles encore, ces phéromones étant en fait le plus souvent un cocktail chimique, elles peuvent revêtir une signification qui varie en fonction du dosage de ses ingrédients.
Coordonner la vie sociale
La coloration des papillons, des mollusques et poissons tropicaux ou des oiseaux jouent également un rôle fondamental dans l'attraction sexuelle ou la défense contre le prédateur. De même, les sons émis par les insectes, les passereaux ou les baleines assurent-ils la défense du territoire ou le maintien de la cohésion du groupe.
Bien entendu, ces signaux peuvent s'associer dans des comportements extraordinaires, tels que les parades nuptiales de l'oiseau-jardinier de Nouvelle-Guinée qui construit une cabane avec des éléments bleus récupérés dans la nature pour séduire sa belle, ou le comportement d'intimidation du dauphin associant hochement de tête, claquement de mâchoires et émissions d'intenses rafales de clics.
Fascinante en soi, cette combinaison de signaux et de comportements est alors souvent plus complexe à analyser pour l'éthologiste qui doit à la fois observer en milieu naturel en intervenant le moins possible, modéliser sur ordinateur, voire expérimenter avec des animaux semblables en laboratoire, en contrôlant les facteurs ambiants et physiologiques.
Parmi cette palette de signaux, les avantages et les inconvénients des uns et des autres en termes d'efficacité sont assez bien répartis. Ainsi, par exemple, les signaux chimiques du type phéromones, sortes de "mémoires" très utilisées par les insectes (fourmis, abeilles) et les rongeurs (souris, rat), ont-ils l'immense avantage, du fait de leur rémanence, de pouvoir être envoyés et déposés dans un territoire donné à l'intention d'un congénère même pendant son absence : ce sont les SMS de la communication animale en quelque sorte.
De même, les signaux optiques sollicitant la vision sont-ils temporaires, mais très souples. Quant aux signaux acoustiques, éphémères et économes en énergie, ils peuvent être perçus à très longue distance (baleine) et dans l'obscurité (chouette). Outre les signaux tactiles utilisés par beaucoup d'espèces, existent enfin des signaux électriques dont font usage les poissons vivant dans les eaux boueuses.
Sans vouloir faire preuve de trop de déterminisme, "le but de la communication est évidemment de coordonner la vie sociale, explique Pierre Jouventin, éco-éthologiste au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (du CNRS) à Montpellier. Il n'est donc pas étonnant que l'on trouve les systèmes de communication les plus riches dans les sociétés animales les plus complexes et pas nécessairement, comme on le pense souvent, chez les animaux possédant le cerveau le plus développé : ainsi, une abeille possède-t-elle un système de signaux plus sophistiqué que certains mammifères dits solitaires", poursuit le spécialiste des oiseaux.
Denis SERGENT
A lire : La communication animale, Pour la science, hors-série, janvier 2002
Le B.A. BA de la communication
Selon la théorie de l'information, toute communication fait intervenir un émetteur et un récepteur. Son message est inclus dans le signal (molécule chimique, chant, cri, clic, vibration) qui est codé par l'émetteur, transmis par un milieu physique (air, eau, sol) en présence d'autres signaux, puis décodé par le récepteur. Outre des organes émetteurs et récepteurs, cette opération sous-entend l'adoption de règles communes.
"Il s'agit donc d'un système supposant une réciprocité, l'émetteur attendant un bénéfice de la réponse du récepteur", explique Pierre Jouventin, éco-éthologiste au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS) de Montpellier. Bien souvent, l'émetteur se place dans les conditions optimales, de façon que le récepteur le reçoive au mieux. C'est le cas de l'oiseau qui choisit sa branche ou de la baleine qui nage dans la couche d'eau susceptible de transmettre ses clics à des milliers de kilomètres. Enfin, l'environnement et la nature du récepteur (sexe, état hormonal) sont déterminants car ils conditionnent le sens du message.
Source
Oublie l'usage du langage et ne juge que par ce que tu vois. (premiers écrits de Darwin)
Comment expliquer que la communication animale soit à la fois aussi fascinante et complexe ? Les signaux émis par les animaux attirent notre attention du fait même de leur fonction, que ce soit les colorations extraordinaires des papillons, des oiseaux ou des poissons tropicaux, les sons remarquables émis par les insectes, les passereaux ou les baleines, les parades nuptiales des oiseaux-jardiniers de Nouvelle-Guinée qui construisent des cabanes puis les peignent en bleu et les ornent de fleurs pour y attirer la femelle, enfin tout simplement les attitudes et les miaulements de notre chat.
Toutefois, quand on veut comprendre leur signification, le problème se corse, car communication signifie transmission d'information et nous nous trouvons confrontés à au moins deux sujets d'étude. Selon la théorie de l'information en effet, toute communication véritable fait intervenir à la fois un émetteur, par exemple un oiseau qui chante et un récepteur, qui peut être un autre oiseau. Son message est inclus dans le chant qui est codé par l'émetteur transmis en présence d'autres signaux (bruit), puis décodé par le récepteur, ce qui suppose, outre des organes émetteurs et récepteurs, des règles communes : il s'agit donc d'un système de communication supposant une réciprocité, l'émetteur attendant un bénéfice de la réponse du récepteur.
Au sommaire
- Préface : La communication animale aux carrefours de la connaissance
La communication dans la nature
- L’univers sonore animal, Yveline Leroy
- Le chant sexuel des cigales, Henry Bennet-Clark
- Les ailes du désir : le chant de la mouche, Thierry Aubin et Bruno Moulin
- Les couleurs des céphalopodes, L. Bonnaud et R. Boucher-Rodoni
- Les signaux chimiques, A.-G. Bagnères, M. Ohresser, A. Lenoir et C. Errard
- L’odorat des oiseaux, Francesco Bonadonna et Marcel Lambrechts
- La communication chez les rongeurs, Jacques Cassaing
- Les bancs de poissons, Brian Partidge
- La communication des tortues, Jacques Fretey
- La communication hormonale du triton, M. Zerani et A. Gobetti
- Le choix du partenaire, L.-A. Dugatkin et J.-G. Godin
- La communication colorée, Marc Théry
- Le scorpion des sables et les vibrations, Philip Brownell
- Cerveau et chant, M. Hausberger, H. Cousillas, I. George. et L. Henry
- Les chants préférés des femelles oiseaux, Michel Kreutzer
- Des maîtres chanteurs sous la loi du milieu, N. Mathevon et T. Aubin
- Les dialectes des pinsons, Jean Joachim et Jacques Lauga
De la communication au langage
- Le manchot, modèle de communication ?, P. Jouventin, T. Aubin et A. Searby
- Conversation avec un perroquet, Irène Pepperberg
- La communication des cétacés, Doyen Nguyen
- Le contrôle vocal d’identité chez les otaries, Isabelle Charrier
- Les chimpanzés et le langage, Jacques Vauclair
- Les premiers mots, Pierre Hallé et Bénédicte de Boysson-Bardies
- La communication sans mot, Pierre Garrigues
Pour en savoir plus
- Des livres de Pierre Jouventin
- L'intelligence de l'animal, de Jacques Vauclair
- Les clefs de la communication animale, d'Anne Teyssèdre et Cécile Aquisti
- Constructions animales, de Bruno Corbara et Cécile Aquisti
- La communication chez les animaux, de Jan Zdarek
- Les pouvoirs secrets des animaux, de Karl Shuker
- Perception et communication chez les animaux, de Stéphane Tanzarella
- Les langages secrets de la nature, de Jean-Marie Pelt
- Le langage secret des animaux, de Vitus B. Dröscher
- Les bêtes aussi ont leurs langages, de Fernand Méry
- Les sociétés animales, de Jacques Goldberg
Les animaux ont le sens du contact
un article de Denis Sergent
un article de Denis Sergent
Visuels, acoustiques, tactiles, chimiques : seuls ou associés, ces signaux permettent aux animaux de se transmettre des informations
Un cri strident rompt soudain le silence de la forêt. Ou plutôt le brouhaha habituel. Car, même si on les distingue difficilement du fait de la luxuriance de cette forêt tropicale humide de Côte d'Ivoire, il y a une quantité d'animaux qui vivent ici et qui correspondent entre eux. Du moins entre individus du même clan ou de la même espèce. C'est un singe Diana, une espèce arboricole de la forêt, qui vient de pousser ce cri. Une vocalisation très particulière, un cri d'alerte en réalité.
Aussitôt, dans les arbres et lianes voisins, tous les singes se précipitent au sol : c'est ainsi qu'ils se protègent de l'attaque d'un de leurs prédateurs, l'aigle couronné. Une fois l'alerte passée et l'attaquant éloigné, les singes remontent dans leurs arbres. Mais le plus étonnant, c'est qu'au moment de l'alerte, d'autres animaux se sont également échappés, en criant eux aussi. C'étaient des calaos, ces oiseaux très colorés à long bec, qui vivent dans les mêmes arbres que les primates.
Que s'est-il passé ? Les oiseaux, a priori "sourds" aux cris des singes, ont en réalité très bien compris qu'il s'agissait de l'arrivée d'un aigle, un animal qui, pour eux aussi, est un prédateur. Conclusion : les calaos, voisins habituels des singes Diana, "savent" interpréter les cris de détresse de ceux-ci et profitent ainsi de leur vigilance pour survivre.
Jusqu'à maintenant, les biologistes étaient persuadés qu'un signal sonore ne peut être interprété que par un congénère du même groupe social ou en tout cas de la même espèce. Or cette observation sur le terrain montre, pour la première fois, qu'il n'en est rien.
Cette découverte toute récente est le fruit du travail de trois biologistes de l'université écossaise de Saint Andrews. L'histoire est encore plus belle quand on apprend que les calaos, qui ne sont pas menacés par les léopards, contrairement aux singes, restent totalement impassibles quand ces derniers poussent le cri d'alerte spécifique aux léopards.
Seconde conclusion : les calaos savent distinguer les différents cris d'alarme des singes et, en cas de survenue d'un léopard, ne crient surtout pas, de façon à éviter de signaler leur présence à d'autres prédateurs.
Cocktail chimique
Bien entendu, en plus de l'observation sur le terrain, les chercheurs, des éco-éthologistes et bio-acousticiens spécialistes de communication animale, ont vérifié à l'aide d'enregistrements sonores que les calaos étaient capables de distinguer entre les cris et adoptaient un comportement différent. Les deux espèces reconnaissent et différencient leurs cris respectifs, car elles cohabitent depuis longtemps, expliquent les chercheurs, qui espèrent maintenant pouvoir mettre en évidence les mêmes facultés chez d'autres espèces.
Cette communication sonore entre individus, et surtout entre espèces, est-elle pour autant un "langage" ? La question est toujours en suspens, mais pour la plupart des biologistes, ce n'en est pas un, même si ces animaux présentent des capacités cognitives, des facultés d'apprentissage notamment, assez exceptionnelles.
Il n'en reste pas moins qu'on a affaire là à un mode de communication sophistiqué. "Les moyens de communication mis en oeuvre dans le monde animal sont très nombreux. Certains nous sont très familiers puisque nous les utilisons aussi. C'est le cas de la communication visuelle ou sonore", explique Bruno Corbara, professeur de biologie à l'université de Clermont-Ferrand.
D'autres sont plus subtils. A commencer par la communication chimique aux moyens de molécules odorantes dont les phéromones qui, des bactéries aux mammifères - homme compris - en passant par les insectes sociaux (fourmis, abeilles), assure une fonction de reconnaissance maternelle, de régulation sexuelle ou de hiérarchisation sociale. Produites par des glandes spécialisées puis déposées ou émises dans l'air, ces phéromones peuvent avoir une signification particulière comme un signal d'alerte ou une action physiologique (blocage de l'activité génitale du receveur, par exemple). Plus subtiles encore, ces phéromones étant en fait le plus souvent un cocktail chimique, elles peuvent revêtir une signification qui varie en fonction du dosage de ses ingrédients.
Coordonner la vie sociale
La coloration des papillons, des mollusques et poissons tropicaux ou des oiseaux jouent également un rôle fondamental dans l'attraction sexuelle ou la défense contre le prédateur. De même, les sons émis par les insectes, les passereaux ou les baleines assurent-ils la défense du territoire ou le maintien de la cohésion du groupe.
Bien entendu, ces signaux peuvent s'associer dans des comportements extraordinaires, tels que les parades nuptiales de l'oiseau-jardinier de Nouvelle-Guinée qui construit une cabane avec des éléments bleus récupérés dans la nature pour séduire sa belle, ou le comportement d'intimidation du dauphin associant hochement de tête, claquement de mâchoires et émissions d'intenses rafales de clics.
Fascinante en soi, cette combinaison de signaux et de comportements est alors souvent plus complexe à analyser pour l'éthologiste qui doit à la fois observer en milieu naturel en intervenant le moins possible, modéliser sur ordinateur, voire expérimenter avec des animaux semblables en laboratoire, en contrôlant les facteurs ambiants et physiologiques.
Parmi cette palette de signaux, les avantages et les inconvénients des uns et des autres en termes d'efficacité sont assez bien répartis. Ainsi, par exemple, les signaux chimiques du type phéromones, sortes de "mémoires" très utilisées par les insectes (fourmis, abeilles) et les rongeurs (souris, rat), ont-ils l'immense avantage, du fait de leur rémanence, de pouvoir être envoyés et déposés dans un territoire donné à l'intention d'un congénère même pendant son absence : ce sont les SMS de la communication animale en quelque sorte.
De même, les signaux optiques sollicitant la vision sont-ils temporaires, mais très souples. Quant aux signaux acoustiques, éphémères et économes en énergie, ils peuvent être perçus à très longue distance (baleine) et dans l'obscurité (chouette). Outre les signaux tactiles utilisés par beaucoup d'espèces, existent enfin des signaux électriques dont font usage les poissons vivant dans les eaux boueuses.
Sans vouloir faire preuve de trop de déterminisme, "le but de la communication est évidemment de coordonner la vie sociale, explique Pierre Jouventin, éco-éthologiste au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (du CNRS) à Montpellier. Il n'est donc pas étonnant que l'on trouve les systèmes de communication les plus riches dans les sociétés animales les plus complexes et pas nécessairement, comme on le pense souvent, chez les animaux possédant le cerveau le plus développé : ainsi, une abeille possède-t-elle un système de signaux plus sophistiqué que certains mammifères dits solitaires", poursuit le spécialiste des oiseaux.
Denis SERGENT
A lire : La communication animale, Pour la science, hors-série, janvier 2002
Le B.A. BA de la communication
Selon la théorie de l'information, toute communication fait intervenir un émetteur et un récepteur. Son message est inclus dans le signal (molécule chimique, chant, cri, clic, vibration) qui est codé par l'émetteur, transmis par un milieu physique (air, eau, sol) en présence d'autres signaux, puis décodé par le récepteur. Outre des organes émetteurs et récepteurs, cette opération sous-entend l'adoption de règles communes.
"Il s'agit donc d'un système supposant une réciprocité, l'émetteur attendant un bénéfice de la réponse du récepteur", explique Pierre Jouventin, éco-éthologiste au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS) de Montpellier. Bien souvent, l'émetteur se place dans les conditions optimales, de façon que le récepteur le reçoive au mieux. C'est le cas de l'oiseau qui choisit sa branche ou de la baleine qui nage dans la couche d'eau susceptible de transmettre ses clics à des milliers de kilomètres. Enfin, l'environnement et la nature du récepteur (sexe, état hormonal) sont déterminants car ils conditionnent le sens du message.
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