06 juin 2013

La vie selon Hope, d'Isabelle Bary

La vie selon Hope
Roman
d'Isabelle Bary

Le jeune Sébastien Blom est un aventurier. Fraîchement diplômé, il refuse de devenir simple vétérinaire de campagne et quitte son petit village belge pour l'Inde où il travaille dans une importante société d'agroalimentaire. Il ne soigne donc pas les animaux, il ménage leur estomac ! Jusqu'au jour où, au hasard d'une rue de Delhi, il tombe sur Hope, un chiot, jeune paria fouillant les poubelles, qui lui fera redécouvrir la sensation divine de guérir. Il décide alors de retourner en Belgique et d'ouvrir son cabinet vétérinaire. Entre anecdotes tendres ou drôles et épisodes douloureux, Sébastien Blom nous emmène dans ce monde particulier où la relation entre l'homme et l'animal nous dévoile peu à peu qui nous sommes vraiment. Un monde qui ne serait pas si décapant s'il ne nous était aussi conté par Hope, cet être fragile que Sébastien a fini par adopter et qui, étrangement, a oublié de grandir.

La vie selon Hope, Isabelle Bary, Editions Luce Wilquin, avril 2013, 288 pages

A propos de l'auteur

Isabelle Bary, née en 1968, est ingénieur commercial de formation. Elle est l'auteur de plusieurs livres, dont Globe Storv (2005), un récit inspiré par son tour du monde sac au dos, et La prophétie du jaguar (2011).

Pour en savoir plus

- Le site d'Isabelle Bary
- Le site des Editions Luce Wilquin

Un vétérinaire et son chien
Source : L'Avenir

A New Delhi où, au début des années 1990, il travaille pour une multinationale agroalimentaire, Sébastien Blom, un jeune Belge à l'enfance chaotique, trouve dans des poubelles un chiot qu'il baptise Hope et ramène chez lui. Et adopte, quitte à se fâcher avec son amie, peu attirée par cet être malodorant. D'autant plus que l'animal est en piteux état : muscles atrophiés, vue altérée, appareil phonatoire déficient, etc. Qu'à cela ne tienne, son désormais maître le ramène dans son pays où il devient vétérinaire de campagne. Une brebis qui met bas, un vieux hongre atteint de coliques (et qui demande à son sauveur d'être son parrain), un porc à castrer, un serpent anorexique, un hamster nommé TGV, autant d'histoires vraies recueillies auprès d'un vétérinaire, constituent dorénavant ses journées observées avec ingéniosité et affection par Hope. Blom reçoit aussi des mystérieux messages signés du chiffre 7 au rouge à lèvres. L'amour plane...Ce roman plein d'humanité, dont le titre est un clin d'oeil amusant au Monde selon Garp de John Irving, est le 5ème de son auteur.

Les premières lignes du livre

New Delhi, 1991.

C’est sans doute la plus grande révélation que Hope eut dans sa vie : Sébastien Blom. Et lorsqu’il le vit pour la première fois, Hope fouillait les poubelles. Les coups du sort ont toujours cette fâcheuse tendance à se révéler dans les moments les plus ordinaires.

Hope fut le premier à l’apercevoir, dans la chaleur blanchâtre d’une Delhi de fin de jour, quand tous les intouchables, comme lui, sortent de nulle part pour affronter la ville, sa valse polluée et ses détritus.

Hope vit ses pieds d’abord, des baskets grises qui, comme toutes les autres, étaient passées sans le voir. Mais celles-ci réapparurent quelques secondes plus tard, à reculons, exactement dans leurs traces. Elles s’immobilisèrent devant lui et Hope se recroquevilla. Pour se mettre à l’abri d’une insulte ou d’un coup. Mais une main immense plongea vers lui, au milieu des déchets épars dont Hope avait espéré extraire une denrée comestible. La main l’a levé haut, jusqu’à un visage perplexe, tordu par la pitié et le dégoût. Malgré tout, l’homme l’a serré contre lui. Hope a posé sa tête au creux du cou de l’inconnu qui sentait bon les fleurs et le bois et il sut à cet instant précis que leurs destins seraient liés à jamais.

L’homme s’appelait Sébastien Blom. Il devait avoir moins de trente ans et c’était un ferangui [1]. Hope ne s’appelait pas encore Hope, il était très jeune, orphelin et extrêmement petit pour son âge. Maigre, sale et malade. C’était un harijan [2].

Alors qu’il marchait lesté par ces quelques kilos de désespoir anonyme, Sébastien Blom décida de les baptiser "Hope". Un sacré prénom de fille ! Mais Hope s’en fichait. Il ne comprenait rien, de toute façon, à son étrange langage.

Pour Blom, tout venait de basculer avec une brutalité fulgurante. Que lui avait-il pris ? L’instant d’avant, il allait parfaitement bien, marchant ainsi dans la foule et la moiteur, indifférent. Bravant sans plus la sentir la fumée suffocante des feux allumés le long de la route, croisant sans les toucher ces gens qui défilaient, enjambant ceux qui, assis pour la nuit, tendaient la main, contournant les travaux puis d’autres travaux, les égouts à ciel ouvert. Puis là, alors que, comme toujours, Delhi s’échauffait, empestait et klaxonnait, elle avait subitement cessé d’exercer sur Blom cette fascination aveugle qu’il lui vouait depuis son arrivée. Ce vertige abrupt le fit vaciller. Il serra plus fort contre lui son protégé. Il y avait ces bruits sourds, venus de partout qui semblaient soudain l’étouffer, ces fragrances trop épicées, ces regards suppliants, ce sâdhu qui prétendait améliorer son karma moyennant quelques roupies, puis cette femme aux yeux vides qui, comme lui, portait contre sa poitrine une petite chose ramassée et malingre.

Habituellement, Blom s’amusait à se laisser envahir par ce tourbillon de dingueries, par ces sensations contradictoires qui mêlent sur un même trottoir l’odeur du jasmin et de la pourriture ou la beauté irréelle d’une femme en sari et l’abomination d’un vieillard agonisant dans l’indifférence. L’Inde, c’était cela, l’imprévu au bout de la rue, cette impression de liberté totale dans un monde où tout semble possible, cette incroyable force qui, à son premier passage en Inde, l’avait fait s’agenouiller sur la terre pour l’embrasser. Puis là, d’un coup, il fallait marcher vite. Des choses enfouies depuis longtemps remontaient en lui et semblaient le rattraper. Il fallait foncer, fermer les écoutilles et s’engouffrer dans la nuit avec l’unique ambition de rejoindre l’hôtel.

Que s’était-il donc passé ? Regardant le crâne de Hope qui dodelinait contre son bras, Blom fut alors envahi par cette certitude : rien n’est éternel. Et ce pressentiment de n’être qu’un moment dans l’histoire de l’Univers l’accabla profondément. Il se demanda alors si Hope était conscient de cette évanescence. Si son jeune cerveau marqué par l’indigence et obnubilé par la survie réalisait qu’il allait mourir si on le laissait dans cet état. Ou si ce tourment de la fin des choses n’appartenait qu’aux gens comme lui, égocentriques, obsédés par eux-mêmes, leur image et leur avenir. D’ailleurs qu’était-il venu faire ici, sinon fuir son petit village belge dépourvu d’ambition ? Trouver l’aventure, la vraie vie. L’amour, en somme. L’insouciance aussi. Il avait plutôt bien réussi jusqu’à ce que Hope, d’un seul regard, perturbe son arrogance. Et Blom, d’un coup, s’était retrouvé face à lui-même. Il avait l’impression d’avoir le crâne fendu et que quelqu’un, à coups de pioche, fouillait son âme pour y trouver un objet perdu.

(1): Un étranger. (2): Un paria.

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