24 février 2011

Kaluchua, de Michel de Pracontal

Kaluchua
Cultures, techniques

et traditions des sociétés animales

de Michel de Pracontal


Voici l'histoire d'une découverte scientifique clandestine. Depuis plus d'un demi-siècle, s'accumulent les preuves qu'il existe d'autres formes d'intelligence que celle des humains - non pas dans l'espace intersidéral, mais sur Terre. Nombre d'animaux, et pas seulement les grands singes, fabriquent et utilisent des outils, construisent des habitats, chassent en équipe, déchiffrent les intentions d'un congénère, recourent à la ruse. C'est la dimension sociale de la vie animale qui, observée sur le terrain, au-delà des seules performances individuelles étudiées au laboratoire, débouche sur la reconnaissance de ce qu'il faut bien considérer comme de véritables comportements culturels, inventés, appris et transmis.

Le Japonais Imanishi, qui a été le Copernic de cette révolution (doublement) culturelle, a introduit dans sa langue le néologisme kaluchua, une translittération de l'européen culture (prononcé à l'anglaise), pour caractériser cette découverte en la rapprochant et distinguant à la fois de la culture humaine.

Cette enquête sur les moutons écossais, les mésanges anglaises, les macaques japonais, les chimpanzés de Tanzanie, les baleines des mers froides, etc, et les remarquables chercheurs, et surtout chercheuses..., qui les ont observés, nous en dit long sur notre humanité ! La richesse et les innovations des coutumes alimentaires, sexuelles, communicationnelles, politiques de tant d’espèces nous en dit finalement long sur la nôtre et sur ses racines animales, dont nous n’avons nullement à rougir, bien au contraire !

Kaluchua : Cultures, techniques et traditions des sociétés animales, Michel de Pracontal, Editions du Seuil, 2010, 187 pages

A propos de l'auteur

Michel de Pracontal, journaliste scientifique et écrivain, est l'auteur de plusieurs livres dont "L'imposture scientifique en dix leçons" et, avec Christian Walter, "Le Virus B, crise financière et mathématiques".

Le sommaire

- L'invasion silencieuse de la primatologie japonaise
- Mémoire de brebis
- Vols en série à Swaythling
- Revo cul chez les macaques
- Une nouvelle façon d'étudier le comportement animal
- La soif du mal
- La résistible ascension du singe nu
- Pacifiques babouins de Pumphouse
- Grandeur et limite de l'esprit de Sarah
- Le casse-noix thaï

Pour en savoir plus

- Les animaux ont-ils une culture ? de Damien Jayat
- L'âge de l'empathie, de Frans de Waal
- Le bon singe, de Frans de Waal

Un extrait de la préface
Source

Rousseau : Le propre de l'homme est animal

Le 24 avril 1982, je progressais à la manière d'un éclaireur, le plus silencieusement possible, dans la forêt du parc national de Taï, en Côte d'Ivoire. Je cherchais à m'approcher d'un point d'où provenait le bruit que produisent les noix de l'arbre Panda oleosa quand on les casse. Depuis trois ans, avec Hedwige, ma femme, nous tentions de résoudre l'énigme des «casseurs de noix» de cette forêt dense, qui avait intrigué l'armée française des décennies plus tôt. Au point que, pendant la dernière guerre mondiale, l'armée avait organisé une expédition dans la forêt de Taï, afin de savoir à quels mystérieux artisans appartenaient les spectaculaires ateliers de cassage retrouvés près de certains arbres : ils étaient constitués de belles enclumes de rocher et de remarquables marteaux de pierre ou de bois, entourés de milliers de restes de noix. Les marteaux de pierre, de gros cailloux marqués d'usures profondes résultant de longues années de service, étaient particulièrement impressionnants. De nombreux scientifiques s'interrogeaient sur le secret de cette forêt, mais aucune observation authentifiée n'avait apporté de réponse.

Soudain, après cinq minutes d'approche, j'aperçois une ombre qui se déplace au sol comme pour ramasser des noix. Silencieux, je m'immobilise. Dès que retentissent les coups frappés pour ouvrir la noix, j'avance au même rythme, couvert par le bruit. Après sept minutes de cette progression, je découvre un chimpanzé, assis près d'une grande racine, en train de casser une dure noix de panda avec un gros caillou. Tétanisé, je contemple cette scène unique. Soudain, un autre chimpanzé approche vers le casseur, les mains chargées de noix. A ce moment, il m'aperçoit, me regarde intrigué pendant une courte minute, fait un mouvement de la main vers moi, comme pour indiquer ma présence. Puis il disparaît, suivi du casseur qui me jette un rapide coup d'oeil.

Arrivé sur le site de cassage, je constate que le casseur de noix a utilisé un caillou en granité de 4 kilos que j'avais déjà repéré auparavant, sous un autre Panda oleosa situé 180 mètres plus loin. J'observe qu'il y a deux piles d'écales de noix sur le sol autour de l'atelier, montrant clairement que deux chimpanzés ont mangé des noix en se servant de cet unique marteau ! Ont-ils partagé l'instrument ? Ou les noix cassées par l'un d'entre eux ont-elles été réparties entre les deux grands singes ? Dans la mesure où il s'agit de deux mâles adultes, censés rivaliser entre eux plutôt que s'entraider, cela paraît pour le moins surprenant. Face à cette situation inattendue, nous décidons d'appeler «Rousseau» le mâle aux mains chargées de noix. Ces deux chimpanzés nous posent des questions bien philosophiques. Est-il bien raisonnable pour un couple de jeunes scientifiques d'avancer l'hypothèse hétérodoxe que les chimpanzés coopèrent pour casser des noix et procèdent à une division du travail afin d'effectuer la tâche le plus efficacement possible ? Et cela avant de se partager le produit de leur travail commun ?

L'avis de Françoise Monier, du site L'Express
Source

Kaluchua, quand les singes ont leur culture

Penser dans les années 1950 que les animaux étaient détenteurs d'une culture propre relevait de l'excentricité, depuis c'est devenu du sérieux.

Dans les années 1950, le Japonais Kinji Imanishi s'installe sur l' îlot de Koshima, au sud de l'archipel. Il veut étudier des macaques qui lavent leurs patates douces avant de les manger. Un geste considéré comme anormal pour des singes. Mais, pour Imanishi, esprit original, spécialiste notamment des chevaux sauvages de Mongolie, cette attitude doit cacher des qualités insoupçonnées. Il trouve un autre groupe qui trempe ses patates dans la mer, ajoutant l'assaisonnement à la propreté. Chaque fois, les mères montrent à leurs petits comment procéder. Après des années d'observation, le savant nippon conclut que les sociétés animales peuvent innover, transmettre, élaborer de véritables cultures. Il baptise ce phénomène "kaluchua". Pour lui, le monde sauvage constitue un continent à découvrir. C'est une révolution.

A cette époque les éthologues ne jurent que par l'expérimentation en laboratoire, les biologistes cherchent dans les gènes le pourquoi des comportements. Le terme de "culture animale" les fait bondir. On se moque d'Imanishi, quand on ne le dénigre pas. Il faudra un demi-siècle pour que le "kaluchua" soit accepté, sans qu'on prononce son nom, comme s'il infligeait aux hommes une blessure narcissique. Cinquante ans pour que primatologues, éthologues, zoologues et paléontologues accumulent les preuves de ces traits ignorés. D'abord, trois femmes sans préjugés partent sur le terrain pour analyser les faits et gestes des chimpanzés pour Jane Goodall, des gorilles pour Diane Fossey, des orangs-outans pour Biruté Galdikas. Leurs singes fabriquent des outils, apprennent aux jeunes à les reproduire, participent à la cohésion du groupe, mâles et femelles à leur façon. D'autres s'engouffrent dans la brèche. Tentent de faire parler les singes, de voir s'ils sont capables d'abstraction, de relations conditionnelles, de raisonnements analogiques. Un monde animal fascinant apparaît, des moutons écossais cartographes aux baleines chanteuses.

Les nouveaux experts ne montrent pas seulement les bêtes sous un jour différent. Ils reconstruisent autrement l'évolution humaine. Imanishi, rappelle l'auteur Michel de Pracontal, journaliste scientifique habitué des grandes enquêtes, démontre que chaque individu appartient à un groupe qui s'exprime par des gestes culturels. Le processus de l'évolution, au coeur de violents débats, ne s'applique pas à des individus solitaires. Mais bien à des membres d'une communauté.

L'avis de Marie-Claude Girard, du site Cyberpresse
Source

Kaluchua, cultures, techniques... : essai sur la culture des animaux

Qu'est-ce qui distingue l'homme de l'animal? On a longtemps cru, pour se rassurer peut-être, que c'était l'usage des outils, le langage, la créativité, la conscience, la culture.

Or, les moutons anglais, les chimpanzés de Tanzanie, les mésanges anglaises et d'autres animaux présentent des comportements inventés, appris et transmis, révèle l'écrivain et journaliste scientifique Michel de Pracontal.

Dans ce nouvel essai, il cherche à faire reconnaître la kaluchua, la culture propre aux animaux, selon le terme inventé par le biologiste japonais Kinji Imanishi, un des premiers à avoir étudié les primates dans leur environnement.

Une véritable «révolution» des sciences de la vie qui tarde à être reconnue par la communauté scientifique, laquelle hésite à prêter foi à des observations sur le terrain qui ne peuvent être reproduites en laboratoire.

Le comportement d'un bébé singe en captivité et privé de sa mère ne sera pas le même que s'il est observé dans son environnement, au milieu de ses pairs, souligne de Pracontal. Des singes chassent en groupe, anticipent les réactions de l'adversaire, transmettent leurs savoirs aux petits - comment casser efficacement les noix avec une bonne pierre placée correctement.

Forcément, admettre qu'il existe des cultures animales conduit à une remise en question de la spécificité humaine et du traitement réservé aux «bêtes».

Cela ouvre aussi de nouvelles perspectives sur l'évolution, la culture pouvant jouer un rôle d'accélérateur de la sélection.

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