"Les animaux aussi ont des règles sociales d'entraide et de partage, des modes de régulation des conflits, un sens de la justice et de l'équité"
La moralité caractérise-t-elle seulement les êtres humains ? Après tout, les animaux aussi ont des règles sociales d'entraide et de partage, des modes de régulation des conflits, un sens de la justice et de l'équité... Faisant le point des données naturelles, en particulier des observations recueillies chez certaines espèces proches de nous, comme les singes, mais aussi chez les mammifères marins ou les chiens, Frans de Waal apporte une contribution particulièrement originale et féconde au débat sur les sources, les fondements et la nature de la morale. Et si les animaux avaient aussi une morale ? Et si la moralité était un produit de l'évolution biologique ?
Le bon singe : Les bases naturelles de la morale, Frans de Waal, Editions Bayard, 1997, 357 pages
A propos de l'auteur
Psychologue, primatologue et éthologue, Frans de Waal est l'auteur de nombreux livres. Au Living Links Center du Yerkes National Primate Research Center, ses travaux redessinent le lien que l'évolution a tissé entre nos proches cousins et nous.
Pour en savoir plus
- Un extrait de l'avis de Sciences Humaines
- D'autres livres de Frans de Waal : L'âge de l'empathie, Le singe en nous, Quand les singes prennent le thé, Primates et philosophes, Album de famille, De la réconciliation chez les primates, Bonobos : Le bonheur d'être singe
L'avis d'un lecteur
Source
génélogie d'une moral, identité entre frères
Le titre fait allusion au mythe bien connu du bon sauvage de Rousseau, sans allégeance aucune. En fait cet ouvrage est le résultat de plus de vingt ans de recherche par l'éminent éthologue. Moins connu du grand public qu'une Diane Fossey, popularisée par le cinéma, chacune de ses publications est emprunte d'un esprit original, d'une vaste et discrète érudition, d'une justesse de ton et par la clarté de ses propos comme de son argumentation, à la fois dans sa lutte contre les "a priori", et le dogmatisme théorique qui biaise l'observation et prétend déterminer les bons champs d'application.
Cet illustre représentant de l'éthologie cognitive, se pose ici la question de l'existence (et des origines) du sens moral chez nos plus proches parents : les primates. Dès le prologue le ton est donné : « Être des hommes ne nous suffit pas ; nous tirons plus orgueil encore d'être humains. Ainsi grâce à un tour de passe-passe linguistique, nous qualifions les comportements charitables de notre nom d'espèce et nous faisons de la morale notre marque distinctive ! Les animaux ne sont évidemment pas des hommes ; comment pourraient ils alors être humains ? »
Dans une première partie, ce professeur de psychologie, hollandais marié à une française et chercheur au Centre de Primatilogie du Winconsin (fondé par le célèbre H. Harlow, curriculum déjà singulier en soit, examine les théories sur l'origine de l'éthique dans le cadre de l'évolution. Il y démontre un esprit critique, solide et pondéré lorsqu'il constate (p. 50) qu'« il y a quelque artifice à vouloir accorder une prééminence de l'acquis sur l'inné ou l'inverse ».
Les chapitres suivants sont plus pratiques, mêlant observations sur le terrain, en milieu naturel ou protégé, et expérimentations, discutant même des biais liés à et des problèmes de vérification des observations et hypothèses, parsemant son texte de quelques anecdotes significatives. Jane Goodall, Hans Kummer, pour ne citer que des auteurs aisément accessible en français, sont quelques une des autorités qui traversent cette énorme synthèse. A chaque fois De Waal identifie, avec le même bonheur que dans la politique du chimpanzé et de la réconciliation chez les primates les points communs et les divergences entre hommes et primates. N'avons nous pas un ancêtre commun !
Parmi l'extrême richesse en termes de travail, d'informations, de réflexion, d'analyses et d'implications vis à vis de la morale et de l'organisation sociale, je ne prendrais que deux exemples : a) La remise en cause de la croyance sociale consécutive aux travaux J. Calhoun sur les rats (p. 244), pour qui la surpopulation engendre l'agressivité. F. de Waal montre fort justement, sans en faire l'apologie bien évidemment, que le comportement agressif forme une composante de toute dynamique sociale. « Il en fait même tellement partie, que l'on peut sérieusement douter de la thèse selon laquelle le comportement agressif est, par sa nature même, antisocial » (p. 231) ; b) La mise en évidence d'au moins 12 phénomènes, mis en jeu dans la morale humaine, qui peuvent s'observer chez d'autres espèces : trois se rapportant à la sympathie pour autrui, neuf s'apparentant à des normes...
Si « les sentiments moraux viennent en premier ; les principes moraux seulement ensuite » (p. 112), « Le sens moral [...] fait autant partie de notre constitution biologique que les tendances qu'il réprime » (p. 273). Une nouvelle fois le cas Phileas Cage paraît en être une bonne illustration (cf. Damasio, déjà présenté dans ces colonnes).
En somme Frans de Waal nous propose un document de qualité et de limpidité. Les photographies sont magnifiques, souvent émouvantes et toujours démonstratives, les notes riches et plaisantes. Ce bel ensemble s'inscrit dans la cohérence de la carrière du chercheur, un homme épatant qui nous invite en toute simplicité à découvrir le monde animal et nous donne à penser sur nous-mêmes. Franchement, j'aimerais bien le rencontrer vraiment.....
L'avis de Yann Paquet, du site Le Monde Diplomatique
« Quelles différences y a-t-il entre l’attitude du chimpanzé qui caresse son compagnon victime d’une agression, ou qui partage sa nourriture avec un autre affamé, et celle d’un être humain qui prend dans ses bras un enfant en train de pleurer, ou qui participe bénévolement à la distribution de la soupe populaire ? »
Cette question du primatologue Franz de Waal ouvre un débat : la morale serait-elle le propre de l’être humain ? Dans Le Bon Singe, son dernier livre, ce chercheur néerlandais tente de démontrer, observations à l’appui, que les « sentiments moraux », découlant de la sympathie, et surtout de l’empathie, existent effectivement dans la nature. Des singes souffrant d’un handicap physique ou mental, acceptés néanmoins, voire surprotégés, par leurs congénères ; la compassion qu’ils manifestent devant la mort et la souffrance ; leur capacité à s’entraider, à se consoler mutuellement, et même, parfois, à résoudre des conflits... Tout cela pousse à la réflexion, même si l’argumentation de l’auteur est par moments simpliste. Provocateur, Frans de Waal conclut en se demandant à quelle « morale humaine » on doit comparer la « morale animale » :
« (...) Les animaux ne sont pas des philosophes de la morale. Mais au fait, combien d’humains le sont ? Nous avons pour habitude de comparer le comportement animal aux oeuvres les plus accomplies de notre espèce (...). »
En d’autres termes, sommes-nous sûrs d’avoir raison ?
La moralité caractérise-t-elle seulement les êtres humains ? Après tout, les animaux aussi ont des règles sociales d'entraide et de partage, des modes de régulation des conflits, un sens de la justice et de l'équité... Faisant le point des données naturelles, en particulier des observations recueillies chez certaines espèces proches de nous, comme les singes, mais aussi chez les mammifères marins ou les chiens, Frans de Waal apporte une contribution particulièrement originale et féconde au débat sur les sources, les fondements et la nature de la morale. Et si les animaux avaient aussi une morale ? Et si la moralité était un produit de l'évolution biologique ?
Le bon singe : Les bases naturelles de la morale, Frans de Waal, Editions Bayard, 1997, 357 pages
A propos de l'auteur
Psychologue, primatologue et éthologue, Frans de Waal est l'auteur de nombreux livres. Au Living Links Center du Yerkes National Primate Research Center, ses travaux redessinent le lien que l'évolution a tissé entre nos proches cousins et nous.
Pour en savoir plus
- Un extrait de l'avis de Sciences Humaines
- D'autres livres de Frans de Waal : L'âge de l'empathie, Le singe en nous, Quand les singes prennent le thé, Primates et philosophes, Album de famille, De la réconciliation chez les primates, Bonobos : Le bonheur d'être singe
L'avis d'un lecteur
Source
génélogie d'une moral, identité entre frères
Le titre fait allusion au mythe bien connu du bon sauvage de Rousseau, sans allégeance aucune. En fait cet ouvrage est le résultat de plus de vingt ans de recherche par l'éminent éthologue. Moins connu du grand public qu'une Diane Fossey, popularisée par le cinéma, chacune de ses publications est emprunte d'un esprit original, d'une vaste et discrète érudition, d'une justesse de ton et par la clarté de ses propos comme de son argumentation, à la fois dans sa lutte contre les "a priori", et le dogmatisme théorique qui biaise l'observation et prétend déterminer les bons champs d'application.
Cet illustre représentant de l'éthologie cognitive, se pose ici la question de l'existence (et des origines) du sens moral chez nos plus proches parents : les primates. Dès le prologue le ton est donné : « Être des hommes ne nous suffit pas ; nous tirons plus orgueil encore d'être humains. Ainsi grâce à un tour de passe-passe linguistique, nous qualifions les comportements charitables de notre nom d'espèce et nous faisons de la morale notre marque distinctive ! Les animaux ne sont évidemment pas des hommes ; comment pourraient ils alors être humains ? »
Dans une première partie, ce professeur de psychologie, hollandais marié à une française et chercheur au Centre de Primatilogie du Winconsin (fondé par le célèbre H. Harlow, curriculum déjà singulier en soit, examine les théories sur l'origine de l'éthique dans le cadre de l'évolution. Il y démontre un esprit critique, solide et pondéré lorsqu'il constate (p. 50) qu'« il y a quelque artifice à vouloir accorder une prééminence de l'acquis sur l'inné ou l'inverse ».
Les chapitres suivants sont plus pratiques, mêlant observations sur le terrain, en milieu naturel ou protégé, et expérimentations, discutant même des biais liés à et des problèmes de vérification des observations et hypothèses, parsemant son texte de quelques anecdotes significatives. Jane Goodall, Hans Kummer, pour ne citer que des auteurs aisément accessible en français, sont quelques une des autorités qui traversent cette énorme synthèse. A chaque fois De Waal identifie, avec le même bonheur que dans la politique du chimpanzé et de la réconciliation chez les primates les points communs et les divergences entre hommes et primates. N'avons nous pas un ancêtre commun !
Parmi l'extrême richesse en termes de travail, d'informations, de réflexion, d'analyses et d'implications vis à vis de la morale et de l'organisation sociale, je ne prendrais que deux exemples : a) La remise en cause de la croyance sociale consécutive aux travaux J. Calhoun sur les rats (p. 244), pour qui la surpopulation engendre l'agressivité. F. de Waal montre fort justement, sans en faire l'apologie bien évidemment, que le comportement agressif forme une composante de toute dynamique sociale. « Il en fait même tellement partie, que l'on peut sérieusement douter de la thèse selon laquelle le comportement agressif est, par sa nature même, antisocial » (p. 231) ; b) La mise en évidence d'au moins 12 phénomènes, mis en jeu dans la morale humaine, qui peuvent s'observer chez d'autres espèces : trois se rapportant à la sympathie pour autrui, neuf s'apparentant à des normes...
Si « les sentiments moraux viennent en premier ; les principes moraux seulement ensuite » (p. 112), « Le sens moral [...] fait autant partie de notre constitution biologique que les tendances qu'il réprime » (p. 273). Une nouvelle fois le cas Phileas Cage paraît en être une bonne illustration (cf. Damasio, déjà présenté dans ces colonnes).
En somme Frans de Waal nous propose un document de qualité et de limpidité. Les photographies sont magnifiques, souvent émouvantes et toujours démonstratives, les notes riches et plaisantes. Ce bel ensemble s'inscrit dans la cohérence de la carrière du chercheur, un homme épatant qui nous invite en toute simplicité à découvrir le monde animal et nous donne à penser sur nous-mêmes. Franchement, j'aimerais bien le rencontrer vraiment.....
L'avis de Yann Paquet, du site Le Monde Diplomatique
« Quelles différences y a-t-il entre l’attitude du chimpanzé qui caresse son compagnon victime d’une agression, ou qui partage sa nourriture avec un autre affamé, et celle d’un être humain qui prend dans ses bras un enfant en train de pleurer, ou qui participe bénévolement à la distribution de la soupe populaire ? »
Cette question du primatologue Franz de Waal ouvre un débat : la morale serait-elle le propre de l’être humain ? Dans Le Bon Singe, son dernier livre, ce chercheur néerlandais tente de démontrer, observations à l’appui, que les « sentiments moraux », découlant de la sympathie, et surtout de l’empathie, existent effectivement dans la nature. Des singes souffrant d’un handicap physique ou mental, acceptés néanmoins, voire surprotégés, par leurs congénères ; la compassion qu’ils manifestent devant la mort et la souffrance ; leur capacité à s’entraider, à se consoler mutuellement, et même, parfois, à résoudre des conflits... Tout cela pousse à la réflexion, même si l’argumentation de l’auteur est par moments simpliste. Provocateur, Frans de Waal conclut en se demandant à quelle « morale humaine » on doit comparer la « morale animale » :
« (...) Les animaux ne sont pas des philosophes de la morale. Mais au fait, combien d’humains le sont ? Nous avons pour habitude de comparer le comportement animal aux oeuvres les plus accomplies de notre espèce (...). »
En d’autres termes, sommes-nous sûrs d’avoir raison ?
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