L'église et l'animal
France, XVIIe-XXe siècle
d'Eric Baratay
France, XVIIe-XXe siècle
d'Eric Baratay
Le pape Jean-Paul II appelait récemment au respect des animaux. Or la prise en compte de la nature et notamment du monde animal est un phénomène récent. Le discours de l'Eglise catholique permet de retracer cette évolution des mentalités et des comportements, et d'en construire une histoire.
Il s'avère que la transformation des sensibilités, depuis un XVIIe siècle encore empreint des conceptions médiévales, fut marquée par de brusques évolutions, des glissements insensibles, des permanences et des reflux. On peut en effet discerner quatre manières successives d'appréhender l'animal. D'abord considéré comme proche de l'homme et missionnaire de Dieu (1600-1670), ensuite ravalé au rang de machine, puis rejeté hors du domaine religieux (1670-1830), il est en partie réhabilité (1830-1940) avant de faire l'objet d'approches contradictoires (1940-1990). Derrière ces pulsations se dessinent deux tendances profondes. La première, qui court depuis la fin du XVIIe siècle, désacralise l'animal et contribue à la rupture entre l'homme et la nature. La seconde, du XIXe siècle à nos jours, se caractérise au contraire par une valorisation croissante de cette nature et du monde animal.
Cette histoire permet une lecture nouvelle des phénomènes religieux (la Réforme catholique du XVIIe siècle représente la contribution cléricale au mouvement naissant de libération vis-à-vis des contingences naturelles), tout en révélant les évolutions des sensibilités à propos de la relation à Dieu, de la place de l'homme dans la création et de sa compréhension des autres.
Voici un ouvrage novateur, et d'une grande actualité.
L'église et l'animal, France, XVIIe-XXe siècle, Eric Baratay, Editions du Cerf, 1996, 386 pages
A propos de l'auteur
Eric Baratay, professeur à l'université de Lyon, est spécialiste de l'histoire des relations hommes-animaux. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment : "La Corrida" (PUF, 1995), "Zoos : Histoire des jardins zoologiques en Occident, XVIe-XXe siècle" (La Découverte, 1998), "La société des animaux : De la Révolution à la Libération" (La Martinière, 2008), repris sous le titre "Bêtes de somme : Des animaux au service des hommes" (Seuil, 2011), "L'Eglise et l’Animal, France, XVIIe-XXe siècle" (Cerf, 1996), "Et l’homme créa l’animal : Histoire d’une condition" (Odile Jacob, 2003), "L’Animal en politique" (codirection, L’Harmattan, 2003).
Pour en savoir plus
- Le site des Editions du Cerf
- L'article : Zoologie et Eglise catholique dans la France du XVIIIe siècle (1670-1840) : une science au service de Dieu, d'Eric Baratay (pdf, 25 pages)
- L'article : La souffrance animale, face masquée de la protection aux XIXe-XXe siècles, d'Eric Baratay (pdf, 20 pages)
- La société des animaux, d'Eric Baratay
- Le point de vue animal, d'Eric Baratay
- Théologie animale, d'Andrew Linzey
- Les animaux, nos humbles frères, de Jean Gaillard
- Horizon de lumière, du Père Jean Martin
- L'âme des animaux, de Jean Prieur
- Requiem pour un nouveau monde, de Maud Fauvel
L'ouvrage reprend l'essentiel de la thèse soutenue par Éric Baratay à Lyon en 1990. Il s'impose d'emblée par l'originalité du propos et une ambition qui tend à devenir exceptionnelle dans le cadre de la nouvelle thèse. Il s'agit en effet de suivre dans un temps long l'évolution des discours tenus en France par l'Église catholique, ou plus exactement par la communauté des clercs. Mobilisant les ressources de la littérature cléricale sous toutes ses formes - écrits doctrinaux, catéchismes, ouvrages édifiants, spiritualité ou statuts synodaux -, l'auteur nous entraîne dans un voyage au cœur de l'histoire des sensibilités et des comportements tels que les restituent les sources imprimées. Conscient d'écarter ainsi la voix des plus modestes et du plus grand nombre, il s'efforce de corriger l'inévitable déséquilibre par des incursions régulières dans l'iconographie des églises et des ouvrages religieux pour saisir une réalité plus quotidienne et mesurer l'efficacité du discours.
La recherche ainsi délimitée aboutit à un vaste panorama critique qui se défend d'être une histoire de la naissance du sentiment moderne. Refusant d'entrée cette vision positiviste, Éric Baratay préfère parler d'évolutions complexes faites de flux et de reflux. Il dégage quatre grandes périodes "aux frontières mouvantes". La première (v.1600-v.1670) présente l'animal comme un intermédiaire entre l'homme et Dieu. Proche mais différent de l'homme, l'animal a une place stable et bien définie dans la création. Tour à tour créature faite pour l'homme, ce qui justifie de le tuer, trace et signe de Dieu, et la symbolique animale est omniprésente, ou encore modèle et exemple pour l'homme, et l'animal est appelé à la rescousse pour fonder les démonstrations morales et alimenter les controverses théologiques.
Avec la seconde période (v.1670-v.1830), un regard nouveau s'impose qui marque une rupture dans laquelle l'auteur voit pour l'essentiel l'influence de la Réforme catholique et des théories cartésiennes. L'animal est désormais dévalorisé et la frontière avec l'humanité devient fossé. Réduit à l'état de machine, incapable de sentir et de ressentir quoi que ce soit, a fortiori d'accéder à une forme de connaissance, l'animal perd son rôle d'exemplum et se voit expulsé hors du domaine réservé au sacré. Diffusé par la société cléricale urbaine soucieuse d'imposer une nouvelle rationalité, ce modèle n'a cependant pas triomphé partout et des résistances sont perceptibles tant au sein du clergé que des fidèles, en particulier dans les provinces les plus attachées à la défense de leurs traditions face aux innovations.
La troisième partie souligne dès son titre que cette histoire n'a rien de linéaire. On assiste en effet, entre 1830 et 1940, à une véritable réhabilitation de l'animal. Il retrouve sa place sur l'échelle des créatures, et l'immense majorité des sources s'accorde pour lui reconnaître une âme. Mais le débat scientifique autour du transformisme ou de l'évolutionnisme bouleverse la vision ancienne de la nature. L'animal ne peut plus être seulement pensé comme familier. Il se révèle aussi un parent, puis un ancêtre. Écartelé entre la vision héritée de la période précédente et cette volonté de réintégrer l'animal dans la création divine, le clergé se divise ou négocie des compromis. Le recours au langage symbolique évite de se prononcer dans le débat scientifique qui rapproche l'animal de l'homme mais en sapant les représentations bibliques de la création. Une minorité de clercs va jusqu'à prôner une version catholique de la zoophilie, mais la majorité joue habilement des rituels pour maintenir une distance entre l'homme et l'animal.
C'est cette distinction entre un modèle dominant et sa contestation qui serait la caractéristique, depuis 1940, de la quatrième période. Le détachement de la nature contribue selon Éric Baratay à faire sortir l'animal de la religion au profit d'un anthropocentrisme renforcé. Par ailleurs le débat autour de l'animal vérifie l'éclatement des discours. Face à une doctrine sociale qui privilégie la relation horizontale entre les hommes, des laïcs s'efforcent de construire une théologie de l'animal fondée sur le respect de la vie et la communauté de destin. Et le vent de l'écologie, surtout puissant dans le monde protestant, souffle aussi sur le discours pontifical qui associe désormais la recherche de la paix avec Dieu à celle de la paix avec toute la création (1990).
Parvenu au terme de la démonstration, le lecteur ne peut qu'admirer la capacité d'Éric Baratay à embrasser de vastes horizons et à dégager des lignes de force qui donnent une incontestable cohérence à la masse des faits observés. Il est aussi mieux à même de percevoir de nouvelles dimensions dans cette recomposition du religieux que les sociologues ont mis en évidence. Le rapport de l'homme à tous les êtres vivants est bien en train de se modifier, obligeant l'Église catholique à adapter son discours et, par exemple, à réactiver la tradition franciscaine à l'image de Jean-Paul II. Faut-il pour autant suivre l'auteur dans toutes ses interprétations ? Ce n'est pas la prétention d'une telle étude. Mais si l'argumentation convainc d'une manière inégale, si les liens établis appellent souvent à discussion (ainsi sur l'action de la Réforme catholique ou de la doctrine sociale pour imposer un anthropocentrisme qui évacue l'animal), cet ouvrage est véritablement novateur par les champs qu'il ouvre à l'histoire religieuse du catholicisme. Il s'achève sur une interrogation forte autour du nouveau rapport qui s'établit dans nos sociétés industrielles entre l'homme et l'animal. L'hypothèse selon laquelle le développement de la zoophilie s'inscrit dans un mouvement pluri-séculaire de reconnaissance de l'autre, mouvement qui caractériserait la société occidentale depuis les Lumières, nous paraît optimiste et céder à un positivisme que l'auteur récuse par ailleurs avec des arguments convaincants. Il reste que cette thèse montre clairement comment l'interprétation doit pénétrer à l'intérieur d'une logique interne, qui est d'abord commandée ici par la croyance en un Dieu créateur et incarné, mais aussi replacer en permanence le discours religieux dans un environnement social qui tend à éloigner l'homme de la nature, et dans un débat scientifique qui modèle la vision du monde créé.
Il s'avère que la transformation des sensibilités, depuis un XVIIe siècle encore empreint des conceptions médiévales, fut marquée par de brusques évolutions, des glissements insensibles, des permanences et des reflux. On peut en effet discerner quatre manières successives d'appréhender l'animal. D'abord considéré comme proche de l'homme et missionnaire de Dieu (1600-1670), ensuite ravalé au rang de machine, puis rejeté hors du domaine religieux (1670-1830), il est en partie réhabilité (1830-1940) avant de faire l'objet d'approches contradictoires (1940-1990). Derrière ces pulsations se dessinent deux tendances profondes. La première, qui court depuis la fin du XVIIe siècle, désacralise l'animal et contribue à la rupture entre l'homme et la nature. La seconde, du XIXe siècle à nos jours, se caractérise au contraire par une valorisation croissante de cette nature et du monde animal.
Cette histoire permet une lecture nouvelle des phénomènes religieux (la Réforme catholique du XVIIe siècle représente la contribution cléricale au mouvement naissant de libération vis-à-vis des contingences naturelles), tout en révélant les évolutions des sensibilités à propos de la relation à Dieu, de la place de l'homme dans la création et de sa compréhension des autres.
Voici un ouvrage novateur, et d'une grande actualité.
L'église et l'animal, France, XVIIe-XXe siècle, Eric Baratay, Editions du Cerf, 1996, 386 pages
A propos de l'auteur
Eric Baratay, professeur à l'université de Lyon, est spécialiste de l'histoire des relations hommes-animaux. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment : "La Corrida" (PUF, 1995), "Zoos : Histoire des jardins zoologiques en Occident, XVIe-XXe siècle" (La Découverte, 1998), "La société des animaux : De la Révolution à la Libération" (La Martinière, 2008), repris sous le titre "Bêtes de somme : Des animaux au service des hommes" (Seuil, 2011), "L'Eglise et l’Animal, France, XVIIe-XXe siècle" (Cerf, 1996), "Et l’homme créa l’animal : Histoire d’une condition" (Odile Jacob, 2003), "L’Animal en politique" (codirection, L’Harmattan, 2003).
Pour en savoir plus
- Le site des Editions du Cerf
- L'article : Zoologie et Eglise catholique dans la France du XVIIIe siècle (1670-1840) : une science au service de Dieu, d'Eric Baratay (pdf, 25 pages)
- L'article : La souffrance animale, face masquée de la protection aux XIXe-XXe siècles, d'Eric Baratay (pdf, 20 pages)
- La société des animaux, d'Eric Baratay
- Le point de vue animal, d'Eric Baratay
- Théologie animale, d'Andrew Linzey
- Les animaux, nos humbles frères, de Jean Gaillard
- Horizon de lumière, du Père Jean Martin
- L'âme des animaux, de Jean Prieur
- Requiem pour un nouveau monde, de Maud Fauvel
La note de lecture de Claude Prudhomme
Source
Source
L'ouvrage reprend l'essentiel de la thèse soutenue par Éric Baratay à Lyon en 1990. Il s'impose d'emblée par l'originalité du propos et une ambition qui tend à devenir exceptionnelle dans le cadre de la nouvelle thèse. Il s'agit en effet de suivre dans un temps long l'évolution des discours tenus en France par l'Église catholique, ou plus exactement par la communauté des clercs. Mobilisant les ressources de la littérature cléricale sous toutes ses formes - écrits doctrinaux, catéchismes, ouvrages édifiants, spiritualité ou statuts synodaux -, l'auteur nous entraîne dans un voyage au cœur de l'histoire des sensibilités et des comportements tels que les restituent les sources imprimées. Conscient d'écarter ainsi la voix des plus modestes et du plus grand nombre, il s'efforce de corriger l'inévitable déséquilibre par des incursions régulières dans l'iconographie des églises et des ouvrages religieux pour saisir une réalité plus quotidienne et mesurer l'efficacité du discours.
La recherche ainsi délimitée aboutit à un vaste panorama critique qui se défend d'être une histoire de la naissance du sentiment moderne. Refusant d'entrée cette vision positiviste, Éric Baratay préfère parler d'évolutions complexes faites de flux et de reflux. Il dégage quatre grandes périodes "aux frontières mouvantes". La première (v.1600-v.1670) présente l'animal comme un intermédiaire entre l'homme et Dieu. Proche mais différent de l'homme, l'animal a une place stable et bien définie dans la création. Tour à tour créature faite pour l'homme, ce qui justifie de le tuer, trace et signe de Dieu, et la symbolique animale est omniprésente, ou encore modèle et exemple pour l'homme, et l'animal est appelé à la rescousse pour fonder les démonstrations morales et alimenter les controverses théologiques.
Avec la seconde période (v.1670-v.1830), un regard nouveau s'impose qui marque une rupture dans laquelle l'auteur voit pour l'essentiel l'influence de la Réforme catholique et des théories cartésiennes. L'animal est désormais dévalorisé et la frontière avec l'humanité devient fossé. Réduit à l'état de machine, incapable de sentir et de ressentir quoi que ce soit, a fortiori d'accéder à une forme de connaissance, l'animal perd son rôle d'exemplum et se voit expulsé hors du domaine réservé au sacré. Diffusé par la société cléricale urbaine soucieuse d'imposer une nouvelle rationalité, ce modèle n'a cependant pas triomphé partout et des résistances sont perceptibles tant au sein du clergé que des fidèles, en particulier dans les provinces les plus attachées à la défense de leurs traditions face aux innovations.
La troisième partie souligne dès son titre que cette histoire n'a rien de linéaire. On assiste en effet, entre 1830 et 1940, à une véritable réhabilitation de l'animal. Il retrouve sa place sur l'échelle des créatures, et l'immense majorité des sources s'accorde pour lui reconnaître une âme. Mais le débat scientifique autour du transformisme ou de l'évolutionnisme bouleverse la vision ancienne de la nature. L'animal ne peut plus être seulement pensé comme familier. Il se révèle aussi un parent, puis un ancêtre. Écartelé entre la vision héritée de la période précédente et cette volonté de réintégrer l'animal dans la création divine, le clergé se divise ou négocie des compromis. Le recours au langage symbolique évite de se prononcer dans le débat scientifique qui rapproche l'animal de l'homme mais en sapant les représentations bibliques de la création. Une minorité de clercs va jusqu'à prôner une version catholique de la zoophilie, mais la majorité joue habilement des rituels pour maintenir une distance entre l'homme et l'animal.
C'est cette distinction entre un modèle dominant et sa contestation qui serait la caractéristique, depuis 1940, de la quatrième période. Le détachement de la nature contribue selon Éric Baratay à faire sortir l'animal de la religion au profit d'un anthropocentrisme renforcé. Par ailleurs le débat autour de l'animal vérifie l'éclatement des discours. Face à une doctrine sociale qui privilégie la relation horizontale entre les hommes, des laïcs s'efforcent de construire une théologie de l'animal fondée sur le respect de la vie et la communauté de destin. Et le vent de l'écologie, surtout puissant dans le monde protestant, souffle aussi sur le discours pontifical qui associe désormais la recherche de la paix avec Dieu à celle de la paix avec toute la création (1990).
Parvenu au terme de la démonstration, le lecteur ne peut qu'admirer la capacité d'Éric Baratay à embrasser de vastes horizons et à dégager des lignes de force qui donnent une incontestable cohérence à la masse des faits observés. Il est aussi mieux à même de percevoir de nouvelles dimensions dans cette recomposition du religieux que les sociologues ont mis en évidence. Le rapport de l'homme à tous les êtres vivants est bien en train de se modifier, obligeant l'Église catholique à adapter son discours et, par exemple, à réactiver la tradition franciscaine à l'image de Jean-Paul II. Faut-il pour autant suivre l'auteur dans toutes ses interprétations ? Ce n'est pas la prétention d'une telle étude. Mais si l'argumentation convainc d'une manière inégale, si les liens établis appellent souvent à discussion (ainsi sur l'action de la Réforme catholique ou de la doctrine sociale pour imposer un anthropocentrisme qui évacue l'animal), cet ouvrage est véritablement novateur par les champs qu'il ouvre à l'histoire religieuse du catholicisme. Il s'achève sur une interrogation forte autour du nouveau rapport qui s'établit dans nos sociétés industrielles entre l'homme et l'animal. L'hypothèse selon laquelle le développement de la zoophilie s'inscrit dans un mouvement pluri-séculaire de reconnaissance de l'autre, mouvement qui caractériserait la société occidentale depuis les Lumières, nous paraît optimiste et céder à un positivisme que l'auteur récuse par ailleurs avec des arguments convaincants. Il reste que cette thèse montre clairement comment l'interprétation doit pénétrer à l'intérieur d'une logique interne, qui est d'abord commandée ici par la croyance en un Dieu créateur et incarné, mais aussi replacer en permanence le discours religieux dans un environnement social qui tend à éloigner l'homme de la nature, et dans un débat scientifique qui modèle la vision du monde créé.
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