23 février 2011

Le singe en nous, de Frans de Waal

Le singe en nous
de Frans de Waal


Et si la psychologie humaine s'inscrivait dans le prolongement de celle des animaux, qu'il s'agisse de la violence, de l'empathie, ou même de la morale ?

C'est la thèse que défend Frans de Waal, primatologue de réputation internationale, dans Le Singe en nous : il s'oppose aux théories de l'exception humaine, qu'elles fassent de l'homme une espèce destinée à dépasser une animalité mauvaise ou qu'elles le présentent comme une aberration de la nature, dont les progrès techniques et intellectuels sont peu en rapport avec sa capacité à gérer son agressivité.

A travers l'étude des deux grands singes qui nous sont le plus proches, le chimpanzé et le bonobo, Frans de Waal décrypte notre comportement. Si les chimpanzés incarnent notre face agressive, les bonobos correspondent au versant doux et empathique de l'espèce humaine : primates pacifiques, ils vivent dans des sociétés matriarcales où la fréquence des rapports sexuels permet d'aplanir les conflits. En s'appuyant sur nombre d'anecdotes fascinantes, mais aussi sur des recherches approfondies, l'auteur brosse un portrait du "singe bipolaire" qu'est l'homme. Il utilise aussi le formidable laboratoire que constituent les sociétés de chimpanzés et de bonobos pour aborder les problèmes de la vie en commun chez les êtres humains.

Incroyable réservoir d'informations sur la vie des grands singes, ce livre tend à l'humanité un miroir qui lui permettra peut-être de mieux gérer ses propres instincts.

Le singe en nous, Frans de Waal, Traduction : Marie-France de Paloméra, Editions Fayard, 2006, 326 pages

A propos de l'auteur

Psychologue, primatologue et éthologue, Frans de Waal est l'auteur de nombreux livres. Au Living Links Center du Yerkes National Primate Research Center, ses travaux redessinent le lien que l'évolution a tissé entre nos proches cousins et nous.

Pour en savoir plus

- L'avis d'un lecteur
- D'autres livres de Frans de Waal : L'âge de l'empathie, Quand les singes prennent le thé, Primates et philosophes, Album de famille, De la réconciliation chez les primates, Bonobos : Le bonheur d'être singe

Le sommaire

Des singes dans la famille
Pouvoir : du Machiavel dans notre sang
Sexe : les primates du Kama-soutra
Violence : de la guerre à la paix
La bonté : des corps animés de sentiments moraux
Le singe bipolaire : trouver le juste milieu

Deux avis de lecteurs
Source

Un livre important

Après avoir, dans ses ouvrages précédents, traité de la vie politique du chimpanzé, des processus de réconciliation chez les primates, puis des bases biologiques de l'altruisme et de la culture, Frans de Waal synthétise ici son propos en comparant directement notre comportement social à celui des deux espèces de chimpanzés, nos cousins les plus proches.
Le résultat est étonnant, troublant - et, réellement, passionnant. Des origines du couple à celles du féminisme, des bases de la politique à celles de l'économie, des signes de compassion aux règles de la coopération, tout leur univers est étrangement semblable au nôtre. On pourra certes montrer quelques réserves sur certaines interprétations, plutôt personnelles ou encore hypothétiques, mais l'évidence est claire : plus nous les connaissons, plus nous nous trouvons ressemblants.

Dans la lignée des Goodall, Fossey, Schaller... De Waal est un des grands primatologues modernes qui, depuis une trentaine d'années, bouleversent tranquillement notre vision des grands singes - et, par la même occasion, des millénaires de pensée philosophique. Très accessible, plein d'humour, bourré d'anecdotes, ce livre met à la portée de tous des découvertes encore trop peu connues. Il intéressera non seulement les biologistes, mais aussi les philosophes, les psychologues, les sociologues, les politiques... et, plus globalement, tous ceux qui, un jour, ont arrêté leur regard sur un grand singe : autrement dit, tout le monde.

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Extraordinairement instructif

Oeuvre d'un primatologue hollandais qui travaille aux Etats-Unis (le genre qui mesure tout, filme tout, etc), ce livre est consacré aux "grands singes" (ici, surtout les chimpanzés et les bonobos) et leur comportement.
Avec, de temps en temps, une incidente sur la similitude avec certains comportements humains.
On ressort de la lecture littéralement bouleversé, et je pèse mes mots.
Non seulement nos "cousins" sont beaucoup moins "animaux" que nous le pensions jusqu'alors (ils font preuve d'altruisme, de compassion, de mémoire affective...), mais ils nous surpassent pour certaines formes d'intelligence (par exemple, la durée de vie d'un homme politique de chez nous, dans une tribu de chimpanzés, serait de trois mois environ selon les primatologues : il finirait forcément par faire une bourde monumentale qui conduirait à son... élimination physique).
Mais en outre, nous-mêmes sommes beaucoup plus "animaux" que nous voulons bien le croire (je vous laisse le soin de découvrir les similitudes entre nos instincts profonds et ceux de nos ancêtres).
Donc, un éclairage très nouveau sur la nature humaine réelle - très éloignée de celle rêvée par la plupart des philosophes, religieux et autres penseurs.
Je vais terminer là, en espérant vous avoir donné envie de lire ce livre magnifique.

Un extrait du livre
Source :
L'express

Le saviez-vous? Il y a du chimpanzé en nous, quand celui-ci exclut les relations amicales entre groupes ennemis. Mais il y a aussi du bonobo, car celui-ci encourage le brassage sexuel entre voisins. Dans son livre, Le singe en nous, à paraître le 15 février, le primatologue Frans de Waal montre quelles ressemblances unissent les grands singes et les hommes. Conquête du pouvoir, réconciliations, échanges entre mères et enfants, relations sexuelles: le cousinage est flagrant!

On peut sortir le singe de la jungle, mais pas la jungle du singe.
Cette vérité vaut aussi pour nous, singes bipèdes que nous sommes. Depuis le jour où nos ancêtres se balancèrent de branche en branche, la vie en petit groupe est devenue notre obsession. Nous ne nous rassasions jamais de ces hommes politiques qui se martèlent la poitrine devant les caméras, des vedettes de feuilletons qui sautent d'un rendez-vous galant à l'autre et des émissions de téléréalité qui nous révèlent qui reste et qui s'en va. Il serait facile de railler tous ces comportements de primate s'il ne fallait nous rendre à l'évidence: nos camarades simiens prennent tout autant au sérieux que nous la quête du pouvoir et le sexe.

Nos traits communs, cependant, ne se limitent pas à ces deux aspects. La sympathie et l'empathie jouent un rôle tout aussi important, encore qu'on y voie rarement des composantes de notre héritage biologique. Nous serions plus prompts à reprocher à la nature ce qui nous déplaît en nous qu'à porter à son crédit ce que nous aimons. Pour preuve, la fameuse réplique de Katharine Hepburn dans African Queen: «La nature, Mister Allnut, est là pour que nous nous élevions au-dessus d'elle.»

Cette idée reste solidement ancrée en nous. Dans les millions de pages écrites au fil des siècles sur la nature humaine, il n'en existe pas de plus décourageantes que celles des trente dernières années - ni de plus erronées. On nous dit que nous avons des gènes égoïstes, que la bonté de l'homme est une imposture, et que nous nous conformons à la morale dans le seul but d'impressionner autrui. Mais si tous ces gens ne visent que leur seul intérêt, pourquoi un nouveau-né d'un jour pleure-t-il lorsqu'il en entend un autre pleurer? C'est là que commence l'empathie. Pas très élaborée, peut-être, mais une chose est sûre: un nouveau-né ne cherche pas à impressionner qui que ce soit. Nous naissons avec des pulsions qui nous portent vers les autres et qui nous amènent plus tard dans la vie à nous soucier d'eux.

Le comportement de nos parents primates atteste l'ancienneté de ces pulsions. Le bonobo, un grand singe peu connu mais aussi proche de nous sur le plan génétique que le chimpanzé, nous en offre une remarquable illustration. Lorsqu'une femelle bonobo nommée Kuni vit un étourneau heurter la vitre de son enclos au zoo de Twycross, en Grande-Bretagne, elle s'en fut aussitôt le réconforter. Ramassant l'oiseau assommé par le choc, elle le remit avec douceur sur ses pattes. Comme il ne bougeait pas, elle le secoua un peu, mais l'oiseau se contenta de battre des ailes piteusement. L'étourneau dans sa paume, Kuni grimpa alors au sommet du plus grand arbre et se cala, les deux jambes autour du tronc, afin d'avoir les mains libres pour tenir l'oiseau. Elle lui déplia les ailes avec précaution, au maximum de leur envergure, tenant chacune d'elles du bout des doigts, avant de le lancer comme un petit avion d'enfant vers la barrière de son enclos. L'oiseau rata de peu la liberté et atterrit sur le talus du fossé alors rempli d'eau. Kuni redescendit et resta un long moment en faction auprès de l'étourneau, le protégeant de la curiosité d'un jeune singe. A la fin de la journée, l'oiseau, remis de ses émotions, s'était envolé en toute sécurité.

La façon dont Kuni avait manipulé l'oiseau ne ressemblait en rien à ce qu'elle aurait fait pour porter secours à un singe. Au lieu de se conformer à quelque schéma de comportement programmé, elle avait adapté son assistance à la situation particulière d'un animal entièrement différent d'elle. Les oiseaux qui passaient à proximité de l'enclos devaient lui avoir donné une idée de l'aide requise. On ne connaît quasiment aucun exemple de ce type d'empathie chez les animaux, car il repose sur la capacité d'imaginer la situation d'autrui. Adam Smith, un des pionniers de l'économie, songeait sans doute à des initiatives comme celle de Kuni (mais sûrement pas de la part d'un singe) quand il nous proposa, il y a plus de deux siècles, la définition la plus inaltérable de l'empathie: «se mettre en imagination à la place de la victime».

Que l'empathie puisse résulter du singe en nous devrait nous réjouir, mais il n'est guère dans nos habitudes d'ouvrir les bras à notre nature. Quand des hommes commettent un génocide, nous les traitons d' «animaux»; s'ils donnent aux pauvres, nous célébrons leur «humanité». Nous revendiquons volontiers comme nôtre ce dernier type de comportement. Il a fallu qu'un singe sauve un membre de notre espèce pour que le public prenne conscience d'une possible humanité non humaine. L'épisode eut lieu le 16 août 1996, quand une femelle gorille de huit ans nommée Binti Jua vola au secours d'un bambin de trois ans, qui avait fait une chute de près de six mètres dans l'enclos des primates du Brookfield Zoo, à Chicago. Réagissant au quart de tour, Binti avait récupéré l'enfant et l'avait mis en sécurité. Elle s'était assise sur une bille de bois dans un ruisseau, nichant l'enfant au creux de ses bras en lui tapotant gentiment le dos avant de le remettre au personnel du zoo, pétrifié. Cette simple réaction de compréhension, saisie par une vidéo et projetée dans le monde entier, émut bien des cœurs et Binti accéda au statut d'héroïne. Ce fut la première fois dans l'histoire des Etats-Unis qu'un grand singe eut sa place dans les discours des ténors de la politique, qui présentèrent Binti comme un modèle de compassion.

Que le comportement de Binti ait sidéré les humains en dit long sur l'image que les médias donnent des animaux. Binti n'avait absolument rien fait d'inhabituel, du moins rien qu'un grand singe n'eût fait pour un jeune de sa propre espèce. Alors que de récents documentaires animaliers braquent les projecteurs sur des bêtes féroces (ou sur les mâles virils de notre espèce qui les plaquent au sol), il est vital, à mon sens, de faire comprendre la véritable ampleur et profondeur de nos liens avec la nature. Ce livre examine les ressemblances fascinantes et inquiétantes qui existent entre le comportement des primates et le nôtre, en portant un même regard objectif sur leurs traits positifs, négatifs et hideux.

Nous avons la chance inestimable de pouvoir étudier deux de nos proches parents primates, aussi différents, de surcroît, que le jour et la nuit. L'un est un personnage d'aspect bourru, ambitieux, obligé de composer avec son tempérament soupe au lait; l'autre, un égalitariste adepte d'un style de vie hédoniste. Tout le monde a entendu parler du chimpanzé, bien connu des scientifiques depuis le XVIIe siècle. Son comportement hiérarchique et brutal a inspiré la vision courante qui fait des humains des «singes tueurs». A en croire certains scientifiques, nous sommes biologiquement prédestinés à nous emparer du pouvoir en triomphant des autres et à nous faire perpétuellement la guerre. J'ai vu assez d'effusions de sang chez les chimpanzés pour convenir qu'il existe en eux une propension à la férocité. Mais nous ne devons pas pour autant méconnaître nos autres cousins, les bonobos, découverts au siècle dernier. Les bonobos sont une bande de joyeux lurons dotés d'un solide appétit sexuel. Pacifiques par nature, ils infirment l'idée que notre famille est purement et simplement assoiffée de sang.

C'est l'empathie qui permet aux bonobos de comprendre leurs besoins et désirs mutuels, et de contribuer à leur satisfaction. Ainsi la fille de deux ans d'une femelle bonobo appelée Linda signifiait-elle à sa mère, en poussant de petits gémissements dans sa direction et en faisant la lippe, qu'elle voulait téter. Mais comme le nouveau-né avait d'abord été pris en charge par la nursery du zoo de San Diego, quand il avait rejoint le groupe le lait de Linda s'était tari depuis longtemps. La mère comprit pourtant et partit à la fontaine se remplir la bouche d'eau. Puis elle s'assit devant sa fille et avança ses lèvres de façon à lui permettre de téter l'eau. Linda repartit trois fois à la fontaine, jusqu'à ce que sa fille fût satisfaite.

Nous adorons ce genre de comportement - qui est en soi un exemple d'empathie. Mais cette aptitude à comprendre les autres sous-entend aussi que nous savons les faire souffrir. Compassion et cruauté dépendent de la faculté qu'a un individu d'imaginer l'effet de son attitude sur autrui. Les animaux dotés d'un petit cerveau, comme les requins, peuvent certes en faire pâtir d'autres, mais sans avoir la moindre idée de ce que ceux-ci éprouvent. Le cerveau des singes, en revanche, équivaut à un tiers du nôtre, ce qui les rend suffisamment complexes pour être cruels. Tels des gamins jetant des pierres à des canards dans une mare, les singes font parfois du mal pour s'amuser. Dans un de leurs jeux, de jeunes chimpanzés de laboratoire attiraient des poules derrière une clôture avec des miettes de pain. Chaque fois que les crédules volatiles s'approchaient, les chimpanzés les frappaient avec un bâton ou les titillaient avec un morceau de fil de fer pointu. Ce jeu du supplice de Tantale, auquel les poules avaient la stupidité de se prêter (alors qu'il n'avait sûrement rien de drôle pour elles), avait été inventé par les chimpanzés pour combattre l'ennui. Ils en affinèrent les règles en distribuant les rôles, un singe se chargeant d'appâter les poules, un autre de les tourmenter.

Les grands singes nous ressemblent tant qu'on les qualifie d' «anthropoïdes», du grec signifiant «qui ressemble à l'homme». Avoir deux proches parents formant des sociétés si différentes est extraordinairement instructif. Le chimpanzé avide de pouvoir et brutal contraste avec le bonobo pacifique et érotique - Dr Jekyll et Mr Hyde, en somme. Notre nature est la turbulente alliance des deux. Elle met douloureusement en évidence notre face cachée: quelque cent soixante millions d'individus, au cours du seul XXe siècle, ont perdu la vie du fait de guerres, de génocides et de répression politique - le tout dû à notre propension à la férocité. Plus terrifiantes encore que ces chiffres qui dépassent l'entendement sont les formes individuelles que revêt la cruauté humaine. Par exemple, cet épisode hallucinant survenu en 1998 dans une petite ville du Texas, où trois Blancs proposèrent à un Noir de quarante-neuf ans de le raccompagner chez lui en voiture. Au lieu de quoi ils le conduisirent dans un lieu désert et le rossèrent, puis l'attachèrent à leur camionnette et le traînèrent pendant plusieurs kilomètres sur une route goudronnée, lui arrachant la tête et le bras droit.

Nous sommes capables d'une telle sauvagerie malgré, ou peut-être à cause de, notre aptitude à imaginer ce que ressent autrui. En revanche, quand elle s'associe à une attitude positive, cette même aptitude nous incite à envoyer de la nourriture aux populations qui meurent de faim, à nous porter avec courage au secours de parfaits inconnus (lors d'incendies ou de tremblements de terre, par exemple), à pleurer quand on nous raconte une histoire triste, ou à nous joindre aux recherches quand un enfant du voisinage a disparu. A la fois cruels et compatissants, nous occupons la place qui est la nôtre dans le monde comme un Janus à deux têtes, dont chacune regarde dans une direction opposée. D'où une certaine confusion qui nous induit parfois à des simplifications excessives sur notre vraie nature, du statut de «créature la plus accomplie» à celui de seuls coupables.

Pourquoi ne pas admettre que nous sommes l'un et l'autre? Ces deux traits de notre espèce correspondent à ceux de nos plus proches parents actuellement vivants. Le chimpanzé exprime si bien la part violente de notre nature que les scientifiques qui publient la moindre étude sur l'autre composante se comptent sur les doigts de la main. Ne sommes-nous pas aussi des créatures intensément sociales, qui s'appuient les unes sur les autres et ont un réel besoin de relations entre elles pour mener une vie saine et heureuse? L'isolement forcé représente pour nous la pire des condamnations, juste après la mort. Nos corps et nos esprits ne sont pas faits pour une vie solitaire. Nous sombrons dans la dépression la plus totale en l'absence de compagnie humaine et notre santé s'altère. Une étude médicale récente a montré que des volontaires en bonne santé exposés aux virus du rhume et de la grippe tombaient plus facilement malades s'ils avaient peu d'amis ou de famille dans leur entourage.

Ce texte est extrait de Le singe en nous (Our Inner Ape) de Frans de Waal, traduit de l'américain par Marie-France de Paloméra, paru le 15 février 2006. Copyright Fayard.

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