23 janvier 2013

Halal à tous les étals, de Michel Turin

Halal à tous les étals
de Michel Turin

Ce qui se passe dans les abattoirs est un des derniers tabous de notre société. L’insoutenable y est la norme, et l’intérêt bien compris de la filière viande est de cacher ce sang que nous ne saurions voir. Ce tabou en recouvre un autre, plus strict encore : celui des abattages rituels musulman et juif, qui sont censés être strictement codifiés, encadrés et contrôlés. Par dérogation, la loi autorise dans ces cas un égorgement des animaux sans qu’ils soient étourdis au préalable, comme c’est la règle pour l’abattage "traditionnel". Cela induit de grandes souffrances, surtout quand l’abattage est opéré par des sacrificateurs sans formation.

Saviez-vous que dans les faits c’est plutôt la règle que l’exception, comme l’est d’ailleurs l’abattage rituel lui-même ? Ainsi nous mangeons tous halal ou cacher sans le savoir, et l’émoi suscité par cette révélation pendant la campagne présidentielle de 2012 n’y changera rien, car c’est toute la filière viande qui, par commodité ou simplement pour survivre, s’est "convertie" au tout-rituel.

Ce qui n’empêche pas les consommateurs musulmans de se voir souvent proposer des produits qui n’ont de halal que le nom, car l’absence de toute norme officielle ou autorité reconnue comme légitime favorise la prolifération de certifications frauduleuses, opportunistes, ou simplement bâclées, ce dont toute la filière semble s’accommoder. C’est que des intérêts financiers majeurs sont en jeu…

Le statu quo risque donc de durer. Ce sont les consommateurs de toutes croyances ou sans croyance qui en font les frais, mais aussi et surtout les animaux d’abattoir, qui continuent à mourir, toujours plus nombreux, dans d’atroces souffrances.

Une partie de la classe politique s’est emparée du halal et en a fait un thème de campagne en 2012. Mais la question, qui déchaîne les passions, mérite plus et mieux : une véritable enquête, sans oeillères, préjugés ni arrière-pensées sur "l’extension du domaine du halal" qui affecte nos vies de façon parfois inattendue. La voici.

Halal à tous les étals, Michel Turin, Editions Calmann-Lévy, 2013, 336 pages

A propos de l'auteur

Michel Turin est journaliste économique. Il a été responsable des pages finances des Echos pendant une dizaine d'années. Parallèlement à ses activités de journaliste dans plusieurs journaux et magazines économiques et financiers, il a tenu pendant une quinzaine d'années une chronique quotidienne sur Radio Classique. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont "Profession escroc" (François Bourin, 2010).

Pour en savoir plus

- Le site des Editions Calmann-Lévy
- Le dossier de l'association L214 : Abattage rituel
- L'article Viande, la nouvelle guerre de religion
- L'article Halal : ce que nous cachent les abattoirs
- L'excellent documentaire : Ces animaux malades de l'homme
- Le reportage d'Envoyé Spécial : Le scandale de la viande halal
- Ces bêtes qu'on abat, de Jean-Luc Daub
- Bidoche, de Fabrice Nicolino

"La souffrance des animaux dépasse les considérations religieuses"
Un entretien avec Michel Turin,
par la Fondation 30 Millions d’Amis

Source

Chaque mois, 30millionsdamis.fr donne la parole à une personnalité investie dans la protection des animaux et de la nature. Le journaliste Michel Turin, auteur de l’ouvrage "Halal à tous les étals", revient sur les conditions d’abattage des animaux en France et dénonce un scandale économique et sociétal.

Fondation 30 Millions d’Amis : Vous êtes journaliste économique. Pourquoi un ouvrage sur les abattoirs français et la souffrance animale ?

Michel Turin : Je compte parmi mes amis un inspecteur vétérinaire, un fonctionnaire qui travaille dans une préfecture. Son travail est de contrôler les abattoirs mais aussi de vérifier que des animaux ne sont pas abattus clandestinement lors de certaines fêtes religieuses. En discutant avec lui, j’ai découvert un véritable sujet de société dont j’ignorais tout. C’était en 2006. J’ai décidé de mener mon enquête, à la fois pour mieux connaître ce qui est en réalité un véritable business, mais aussi ses conséquences, comme la souffrance des animaux.

F30MA : Selon de nombreux spécialistes, cette souffrance est accrue lors d’un abattage sans étourdissement préalable (dit aussi rituel). Etes-vous parvenu à la même conclusion ?

M.T. : Oui. Mais je dois reconnaitre que je n’ai pas pu visiter un seul abattoir, quelle que soit la forme d’abattage pratiquée dans celui-ci. Ces structures sont très méfiantes ! Je me suis donc appuyé sur les nombreuses vidéos en caméra cachée qui ont été réalisées par des associations de protection animale. S’il est certain que les abattoirs sont loin d’être des paradis, l’abattage sans étourdissement préalable est une souffrance supplémentaire infligée aux animaux. D’ailleurs, les experts qui affirment le contraire sont toujours juges et parties : ils défendent l’abattage sans étourdissement, ce qui soulève quelques doutes sur leur objectivité. Aux Pays-Bas, une loi visant à supprimer l’abattage sans étourdissement a finalement abouti - après avoir été retoquée une première fois - à la réalisation d’un "post étourdissement" : si l’animal égorgé est toujours conscient après 40 secondes, il doit être étourdi. C’est pour moi la preuve que l’étourdissement atténue de manière évidente les souffrances de l’animal.

F30MA : Votre ouvrage ne stigmatise pas les communautés qui respectent l’abattage "rituel". Que cherchez-vous à démontrer dans ce livre ?

M.T. : Je souhaite que chacun comprenne que, contrairement à ce que croient de nombreuses personnes, les consommateurs qui achètent de la viande issue de l’abattage rituel n’ont rien demandé ! Et que stigmatiser ces communautés est une erreur, voire une faute politique. L’industrie de la viande en France - qui se porte mal, il faut le rappeler - n’a de cesse d’instrumentaliser la religion pour servir ses propres intérêts. Aujourd’hui, les professionnels de la viande se servent de ce produit pour asseoir leur marché et continuer à vendre de la viande. Mais ils ne veulent pas que le consommateur le sache, d’où l’absence d’étiquetage pour ne pas nuire à la vente de viande issue d’animaux qui n’ont pas été étourdis. C’est d’autant plus condamnable que les acteurs économiques sont en train de créer un véritable apartheid alimentaire, à la fois sur le dos des consommateurs, mais aussi au mépris le plus total du bien-être animal.

F30MA : Dans certains pays, l’abattage sans étourdissement est interdit. Pourquoi est-il toujours toléré en France en dépit d’un débat passionné ?

M.T. : Il y a un manque de volonté, que je qualifierai même de lâcheté, de la part de nos responsables politiques. Ils refusent, quel que soit le courant idéologique qu’ils défendent, d’aborder de front le problème des viandes halal et casher. A cela s’ajoute un véritable tabou puisque ceux qui s’y attaquent sont, du fait d’une argumentation parfois simpliste, taxés d’islamophobie ou d’antisémitisme. Ce n’est pas avec des arguments violents et empreints d’intolérance que le sujet sera abordé avec sérénité. C’est à chacun de réfléchir et d’agir de façon citoyenne, et cela vaut pour tous les modes d’abattage ; car aujourd’hui, de nombreux animaux souffrent, bien au-delà des pratiques religieuses.

F30MA : Tout livre participe à construire son auteur. Qui êtes-vous devenu après la rédaction de celui-ci ?

M.T. : Cette enquête m’a ébranlé. Je me pose dorénavant beaucoup plus de questions, à la fois sur l’abattage mais aussi sur l’élevage des animaux que je consomme. Je pense que je dois réduire ma consommation de viande et faire attention à son origine. Et peut-être un jour, prendre une décision radicale : nous avons les uns et les autres des animaux de compagnie pour lesquels nous avons beaucoup d'affection ; mais pourquoi leur vie vaut-elle davantage à nos yeux que celle d’une vache ou d’un mouton ? C’est une réflexion qui suit désormais son cours dans mon esprit, et j’espère que mon livre soulèvera les mêmes interrogations dans l’esprit des lecteurs.

Signez la pétition demandant la fin de l'abattage sans étourdissement préalable.
A lire aussi : Viandes : la barbarie des élevages américains dénoncée.



Des extraits du livre
Source

Le halal, une niche pour la grande distribution

- Les consommateurs de produits halal ne peuvent pas rater la "zone identifiée halal" du Géant Casino de Roubaix. Stratégiquement située au beau milieu de l'hypermarché, surmontée d'une grande banderole Wassila, la marque halal de Casino emprunte sa décoration à l'univers des "Mille et une nuits". Les linéaires, bien remplis, parcourus par des clientes voilées et non voilées, sont une invitation au voyage subméditerranéen : nouilles chinoises halal, sauces chinoises halal, produits du Maroc et d'Algérie, vinaigre Le Bled d'une grande vinaigrerie constantinoise sur l'étiquette duquel est écrit "halal", sans plus de précision, vinaigre d'alcool coloré Philippe Dessaux (un produit tunisien pour lequel il est précisé : "La consommation du vinaigre est tolérée suite à la lettre de Monsieur le Mufti de Tunisie en date du 10 juin 1981"), nuggets de dinde Réghalal, certifiés par la mosquée d'Evry, poulet jaune et poulet blanc Wassila, Shems, des steaks hachés ("traçabilité 100% halal, sacrifice dans le respect du rite islamique, boeuf français"). Les hypermarchés Géant Casino proposent plus de 400 références de produits halal, soit 3% à 4% de leur offre totale. Gilles Briand, adhérent Intermarché, responsable du marketing de l'enseigne, annonçait qu'Intermarché Hyper élargissait son offre en 2011 aux prix Mousquetaires avec "des produits traditionnels et une tendance au bio, halal, ethnique."
Comme d'autres enseignes, Carrefour a longtemps hésité à afficher ouvertement sa volonté de conquérir les consommateurs de confession musulmane. Le groupe de distribution a franchi le pas fin 2010 en lançant pour les fêtes du foie gras... musulman, plat traditionnel s'il en est. -

Un instrument de torture médiéval

- D'après l'article 2 de l'arrêté du 12 décembre 1997, "dans le cas de l'abattage rituel, l'immobilisation des animaux des espèces bovine, ovine et caprine doit être assurée au moyen d'un procédé mécanique appliqué préalablement à l'abattage et maintenu jusqu'à la saignée". Les abattoirs sont équipés d'un box de contention. Il s'agit d'un énorme cylindre métallique pesant 6 tonnes, faisant 3 mètres de longueur, 2,5 mètres de largeur et 2,6 mètres de hauteur - pour reprendre les caractéristiques techniques d'un modèle commercialisé par la société normande Norman, un spécialiste français des équipements pour l'abattage et la manutention des viandes. "C'est une sorte de gros tonneau en métal", dit Jean-Pierre Kieffer, le président de l'OABA (Oeuvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoir). La description effrayante du box d'abattage rituel, telle qu'elle apparaît sur le site de Norman, ressemble à s'y méprendre à celle d'un instrument de torture médiéval. Voici le mode d'emploi : "L'animal est introduit dans le box depuis le couloir d'amenée (son couloir de la mort, pour appeler les choses par leur nom, comme ne le fait pas, bien sûr, le fabricant). Un dispositif anti-recul situé à l'arrière du box permet d'avancer et de maintenir l'animal à l'avant du box. La contention de l'animal est assurée par serrage haut et bas du panneau latéral. La tête est ensuite bloquée par un système de guillotine et de mentonnière permettant l'immobilisation de la tête nécessaire au sacrifice rituel. Après avoir effectué une demi-rotation, le box présente la gorge de l'animal, renversé sur le dos, à la lame du couteau du sacrificateur" -


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