Du sacrifice à la notion d'anthropomorphisme, cet ensemble d'essais analyse le comportement des hommes face aux animaux. Une réflexion pluridisciplinaire alimentée entre autres par la référence à des discours poétiques et philosophiques, l'inscription dans le politique.
L’auteur prend son point de départ dans sa conviction du caractère central, encore de nos jours, de la notion de sacrifice, pour archaïque voire désuète qu’elle puisse paraître à un esprit occidental. Or au sein même de l’Occident, elle s’avère vivace dans les pratiques (cacher et halal) des monothéismes juif et musulman. Elle reste centrale, au moins métaphoriquement et théologiquement, dans le christianisme. Mais il s’agit également de s’interroger sur l’éventuelle permanence d’un élément sacrificiel hors rituel, à la fois sourd, obscur et plat, dénué de toute opérativité positive, celui de l’abattage industriel et de la nourriture carnée, banalement et excessivement consommée aujourd’hui.
Le point essentiel est que la "question" des animaux n’est pas un "à côté" ou un "en dehors" de l’humain, mais qu’elle lui est consubstantielle. Ce n’est donc pas non plus un "hors politique", et ce, à bien des titres. Les économies modernes regorgent de pratiques perverses et mortifères à court terme comme à long terme. Il faut poser le défi : quelle société voulons-nous pour vivre en paix non seulement entre humains mais entre "animaux humains" et "animaux non-humains" ? L’une des originalités de cet ensemble d’essais (treize en tout, qui s’échelonnent de 1982 à 2010) est d’envisager la condition faite aux animaux non seulement dans la réalité la plus concrète mais aussi, et peut-être surtout, dans le discours humain, celui des philosophes - Platon, Aristote, Foucault - et des poètes - Hugo, Supervielle, Rilke, Verdet. Le chapitre consacré à la question aujourd’hui très controversée et biaisée de l’anthropomorphisme apporte à cet ouvrage une conclusion fortement argumentée.
Réflexions sur la condition faite aux animaux, Françoise Armengaud, Editions Kimé, 2011, 256 pages
A propos de l'auteur
Normalienne, agrégée et docteur en philosophie, Françoise Armengaud a enseigné la philosophie du langage et l’esthétique à l’Université de Paris X. Ses recherches portent sur la littérature, la relation du texte à l’image les représentations de l’animalité dans la culture et les relations des humains aux animaux.
Au sommaire
Introduction
I. Crimes contre l’animalité
- Souffrance et mort animales. Le témoignage de l’art. A propos du film de Georges Franju, Le sang des bêtes.
- Du sacrifice des animaux, ou comment l’absurde et le cruel se sont parés des plumes de l’intelligible
II. L’inscription dans le politique
- Sur quelques sophismes touchant les droits des animaux
- Esclaves, femmes, enfants et animaux dans la Grèce antique
- Un fait social complexe : le traitement du cochon en Europe à l'époque médiévale
- Folie et bestialité sous le regard de Michel Foucault
III. Mon semblable, mon frère
- Le visage animal : bel et bien un visage
- La condition animale selon Hugo, ou la muette éloquence d'un regard d'ombre
- Le temps où les bêtes parlaient : imaginaire des contes, imaginaire de l’enfance
- L’anthropomorphisme : vraie question ou faux débat ?
Bibliographie sélective
Index des noms
En début d'année est paru le livre de Françoise Armengaud "Réflexions sur la condition faite aux animaux", aux éditions Kimé.
La presse n'en a guère parlé. C'est injuste. Quand paraît un livre d'Elisabeth de Fontenay ou de Florence Burgat, les médias s'en font (à juste titre) l'écho. Alors que Françoise Armengaud, qui connaît très bien les travaux des deux premières, et qui comme elles travaille depuis longtemps, en philosophe, sur la question animale n'a apparemment pas inspiré les journalistes. Peut-être un effet de la parution simultanée du livre de Foer, qui lui a eu (tant mieux) une couverture média incroyable. Il ne restait plus de place apparemment pour évoquer l'ouvrage de F. Armengaud qui, il faut bien le reconnaître, est plus difficile à présenter et commenter.
Si on lit la quatrième de couverture (ce à quoi on accède en allant sur les librairies en ligne), on ne se sent pas vraiment éclairé sur le contenu.
C'est que le livre est quasiment impossible à résumer parce que c'est un recueil d'articles écrits à diverses périodes (plusieurs gros articles sont récents) et sur divers thèmes, et que sur chaque thème, le travail de documentation et de réflexion qu'à fait l'auteur est très dense.
Tout ce qu'on peut dire de façon générale, c'est que Françoise Armengaud fait partie des philosophes qui analysent et condamnent le spécisme. Ce qui ne signifie pas du tout que si vous achetez le livre, vous allez y trouver la redite de ce que vous avez lu ailleurs dans vos écrits favoris sur le spécisme ou les droits des animaux.
Ces quelques mots de l'introduction de l'ouvrage donnent une idée du fil conducteur de sa réflexion :
"Une question me hante, sans cesse répétée : pourquoi la condition faite par les hommes aux animaux est-elle si atroce et impitoyable ? ... Pourquoi les humains, a priori pas plus méchants les uns que les autres, ou que d'autres espèces, sont-ils si odieux avec les animaux ? Que les humains soient également odieux entre eux n'arrange rien, est simplement à verser au dossier.
... Quelque part un échec (non désigné comme tel dans les traditions éxégétiques) ... nous invite à formuler une question. Pourquoi l'envoyé du Seigneur, qu'on dit être l'archange Gabriel, se montra-t-il si paresseux, négligent, indolent, inattentif, distrait, nonchalant, épuisé, harassé, courbatu, étourdi, qu'il ne se précipita point une seconde fois pour arrêter le bras docile du patriarche afin de protéger aussi le bélier du couteau ? Pourquoi ne sut-il s'aviser de proposer en lieu et place quelque arbuste, fruit ou aromate ? La face du Temple en eut été changée, et pas seulement elle."
Trois exemples de thèmes traités dans de (gros) articles de ce recueil.
- "Du sacrifice des animaux, ou comment l'absurde et le cruel se sont parés des plumes de l'intelligible". Le point de départ est une réflexion sur un argument parfois opposé au végétarisme : l'affirmation du caractère symbolique et fondateur du sacrifice et du meurtre rituel. Là dessus, F. Armengaud se livre à une enquête sur le sacrifice dans différentes civilisations, sur les interprétations qu'en ont donné les anthropologues, propose elle-même une partition en deux types de sacrifices où les victimes ont des statuts différents (et le sacrifice une signification symbolique différente), et conclut qu'elle n'est pas convaincue que le sacrifice soit l'explication ultime de la violence envers les animaux. Rien ne prouve qu'il soit "fondateur" au sens de nécessaire.
- "Sur quelques sophismes touchant les droits des animaux". Contient un parcours des divers sophismes conduisant à mépriser les animaux, mais aussi deux passages faisant un point bien documenté sur l'abattage rituel et la corrida.
- "Anthropomorphisme, vraie question ou faux débat ?" Essai dont l'objet est ainsi défini par l'auteur : "Je voudrais montrer que telle qu'elle est utilisée aujourd'hui dans la plupart des textes et des conversations ou débats, l'accusation d'anthropomorphisme vise essentiellement à porter le discrédit intellectuel sur certaines propositions (et sur les personnes les soutenant) non conforme à l'idéal scientifique en vogue, et allant à l'encontre de la pratique normale de la science et de la pratique normale des affaires. ... Et qui utilise aujourd'hui ce terme ? Dans quels discours le trouve-t-on ? Là où il y a des résistances à la prise en compte du bien-être animal, dans les revues professionnelles et chez certains zootechniciens."
Il y a aussi pas mal d'articles (toujours sur la question des animaux) portant sur des oeuvres philosophiques, littéraires, picturales ou cinématographiques. Faute de culture en la matière, je ne suis pas la lectrice idéale pour les apprécier. Mais certains sont très instructifs comme ce texte consacré au cochon dans l'Europe médiévale où l'on apprend des choses sur les chrétiens par rapport aux juifs et une origine possible de l'invention par les chrétiens du mythe des juifs dévoreurs de petits enfants (chrétiens).
Estiva
L’auteur prend son point de départ dans sa conviction du caractère central, encore de nos jours, de la notion de sacrifice, pour archaïque voire désuète qu’elle puisse paraître à un esprit occidental. Or au sein même de l’Occident, elle s’avère vivace dans les pratiques (cacher et halal) des monothéismes juif et musulman. Elle reste centrale, au moins métaphoriquement et théologiquement, dans le christianisme. Mais il s’agit également de s’interroger sur l’éventuelle permanence d’un élément sacrificiel hors rituel, à la fois sourd, obscur et plat, dénué de toute opérativité positive, celui de l’abattage industriel et de la nourriture carnée, banalement et excessivement consommée aujourd’hui.
Le point essentiel est que la "question" des animaux n’est pas un "à côté" ou un "en dehors" de l’humain, mais qu’elle lui est consubstantielle. Ce n’est donc pas non plus un "hors politique", et ce, à bien des titres. Les économies modernes regorgent de pratiques perverses et mortifères à court terme comme à long terme. Il faut poser le défi : quelle société voulons-nous pour vivre en paix non seulement entre humains mais entre "animaux humains" et "animaux non-humains" ? L’une des originalités de cet ensemble d’essais (treize en tout, qui s’échelonnent de 1982 à 2010) est d’envisager la condition faite aux animaux non seulement dans la réalité la plus concrète mais aussi, et peut-être surtout, dans le discours humain, celui des philosophes - Platon, Aristote, Foucault - et des poètes - Hugo, Supervielle, Rilke, Verdet. Le chapitre consacré à la question aujourd’hui très controversée et biaisée de l’anthropomorphisme apporte à cet ouvrage une conclusion fortement argumentée.
Réflexions sur la condition faite aux animaux, Françoise Armengaud, Editions Kimé, 2011, 256 pages
A propos de l'auteur
Normalienne, agrégée et docteur en philosophie, Françoise Armengaud a enseigné la philosophie du langage et l’esthétique à l’Université de Paris X. Ses recherches portent sur la littérature, la relation du texte à l’image les représentations de l’animalité dans la culture et les relations des humains aux animaux.
Au sommaire
Introduction
I. Crimes contre l’animalité
- Souffrance et mort animales. Le témoignage de l’art. A propos du film de Georges Franju, Le sang des bêtes.
- Du sacrifice des animaux, ou comment l’absurde et le cruel se sont parés des plumes de l’intelligible
II. L’inscription dans le politique
- Sur quelques sophismes touchant les droits des animaux
- Esclaves, femmes, enfants et animaux dans la Grèce antique
- Un fait social complexe : le traitement du cochon en Europe à l'époque médiévale
- Folie et bestialité sous le regard de Michel Foucault
III. Mon semblable, mon frère
- Le visage animal : bel et bien un visage
- La condition animale selon Hugo, ou la muette éloquence d'un regard d'ombre
- Le temps où les bêtes parlaient : imaginaire des contes, imaginaire de l’enfance
- L’anthropomorphisme : vraie question ou faux débat ?
Bibliographie sélective
Index des noms
La note de lecture d'Estiva Reus
En début d'année est paru le livre de Françoise Armengaud "Réflexions sur la condition faite aux animaux", aux éditions Kimé.
La presse n'en a guère parlé. C'est injuste. Quand paraît un livre d'Elisabeth de Fontenay ou de Florence Burgat, les médias s'en font (à juste titre) l'écho. Alors que Françoise Armengaud, qui connaît très bien les travaux des deux premières, et qui comme elles travaille depuis longtemps, en philosophe, sur la question animale n'a apparemment pas inspiré les journalistes. Peut-être un effet de la parution simultanée du livre de Foer, qui lui a eu (tant mieux) une couverture média incroyable. Il ne restait plus de place apparemment pour évoquer l'ouvrage de F. Armengaud qui, il faut bien le reconnaître, est plus difficile à présenter et commenter.
Si on lit la quatrième de couverture (ce à quoi on accède en allant sur les librairies en ligne), on ne se sent pas vraiment éclairé sur le contenu.
C'est que le livre est quasiment impossible à résumer parce que c'est un recueil d'articles écrits à diverses périodes (plusieurs gros articles sont récents) et sur divers thèmes, et que sur chaque thème, le travail de documentation et de réflexion qu'à fait l'auteur est très dense.
Tout ce qu'on peut dire de façon générale, c'est que Françoise Armengaud fait partie des philosophes qui analysent et condamnent le spécisme. Ce qui ne signifie pas du tout que si vous achetez le livre, vous allez y trouver la redite de ce que vous avez lu ailleurs dans vos écrits favoris sur le spécisme ou les droits des animaux.
Ces quelques mots de l'introduction de l'ouvrage donnent une idée du fil conducteur de sa réflexion :
"Une question me hante, sans cesse répétée : pourquoi la condition faite par les hommes aux animaux est-elle si atroce et impitoyable ? ... Pourquoi les humains, a priori pas plus méchants les uns que les autres, ou que d'autres espèces, sont-ils si odieux avec les animaux ? Que les humains soient également odieux entre eux n'arrange rien, est simplement à verser au dossier.
... Quelque part un échec (non désigné comme tel dans les traditions éxégétiques) ... nous invite à formuler une question. Pourquoi l'envoyé du Seigneur, qu'on dit être l'archange Gabriel, se montra-t-il si paresseux, négligent, indolent, inattentif, distrait, nonchalant, épuisé, harassé, courbatu, étourdi, qu'il ne se précipita point une seconde fois pour arrêter le bras docile du patriarche afin de protéger aussi le bélier du couteau ? Pourquoi ne sut-il s'aviser de proposer en lieu et place quelque arbuste, fruit ou aromate ? La face du Temple en eut été changée, et pas seulement elle."
Trois exemples de thèmes traités dans de (gros) articles de ce recueil.
- "Du sacrifice des animaux, ou comment l'absurde et le cruel se sont parés des plumes de l'intelligible". Le point de départ est une réflexion sur un argument parfois opposé au végétarisme : l'affirmation du caractère symbolique et fondateur du sacrifice et du meurtre rituel. Là dessus, F. Armengaud se livre à une enquête sur le sacrifice dans différentes civilisations, sur les interprétations qu'en ont donné les anthropologues, propose elle-même une partition en deux types de sacrifices où les victimes ont des statuts différents (et le sacrifice une signification symbolique différente), et conclut qu'elle n'est pas convaincue que le sacrifice soit l'explication ultime de la violence envers les animaux. Rien ne prouve qu'il soit "fondateur" au sens de nécessaire.
- "Sur quelques sophismes touchant les droits des animaux". Contient un parcours des divers sophismes conduisant à mépriser les animaux, mais aussi deux passages faisant un point bien documenté sur l'abattage rituel et la corrida.
- "Anthropomorphisme, vraie question ou faux débat ?" Essai dont l'objet est ainsi défini par l'auteur : "Je voudrais montrer que telle qu'elle est utilisée aujourd'hui dans la plupart des textes et des conversations ou débats, l'accusation d'anthropomorphisme vise essentiellement à porter le discrédit intellectuel sur certaines propositions (et sur les personnes les soutenant) non conforme à l'idéal scientifique en vogue, et allant à l'encontre de la pratique normale de la science et de la pratique normale des affaires. ... Et qui utilise aujourd'hui ce terme ? Dans quels discours le trouve-t-on ? Là où il y a des résistances à la prise en compte du bien-être animal, dans les revues professionnelles et chez certains zootechniciens."
Il y a aussi pas mal d'articles (toujours sur la question des animaux) portant sur des oeuvres philosophiques, littéraires, picturales ou cinématographiques. Faute de culture en la matière, je ne suis pas la lectrice idéale pour les apprécier. Mais certains sont très instructifs comme ce texte consacré au cochon dans l'Europe médiévale où l'on apprend des choses sur les chrétiens par rapport aux juifs et une origine possible de l'invention par les chrétiens du mythe des juifs dévoreurs de petits enfants (chrétiens).
Estiva
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