30 mai 2012

Les animaux coeur à coeur, de Laure Delvolvé

Les animaux coeur à coeur
de Laure Delvolvé


(Mise à jour : ajout d'une vidéo)


Les animaux ont-ils une âme ? De quel droit les exploitons-nous sans respect ? Sommes-nous dans l'erreur de les croire inférieurs ou ne sont-ils que différents ? Pour les bien comprendre avons-nous à surmonter un complexe de supériorité ? Savons-nous qu'en abolissant les dernières baleines, les dernières panthères... nous saccageons un patrimoine indispensable à nos enfants ?

Laure Delvolvé, qui depuis 30 ans vit en étroite communication avec les animaux, répond à ces questions en nous faisant partager ses découvertes, ses émotions et aussi sa tendresse. Nous entrons d'autant mieux dans la ronde que cette tendresse est ouverte aussi aux humains.

Les animaux coeur à coeur, Laure Delvolvé, Editions Solar, 1977, 208 pages

La note de l'auteur

N'ayant point fait d'études, n'ayant eu d'autres maîtres à penser que les animaux dont je m'entoure, d'autres livres pour m'instruire que celui de la Nature, c'est avec la simplicité d'un animal que je ferai part, dans les pages qui vont suivre, de ce qui m'advint, de ce que je remarquai, de ce qui m'étonna, me fit réfléchir et m'éblouit toujours dans mes rapports avec ces frères qui n'ont rien d'inférieur.

Laure Delvolvé

Au sommaire

Introduction - Comment Raouta entra dans ma vie, la partagea quinze ans et m'inspira ce livre
1 - Communication entre les hommes et les bêtes
2 - Ruminants mes amours
3 - La personnalité chez les bêtes
4 - Observation, réflexion, déduction de l'intelligence animale
5 - Altruisme
6 - Imagination, abstraction, souvenir, complexes
7 - Rencontres électives
8 - Bonté naturelle de certaines espèces animales
9 - La science et les bêtes
10 - L'industrie et les bêtes
11 - Les hommes et les bêtes
12 - Les enfants et les bêtes
13 - La mort des bêtes
14 - L'âme des bêtes
Annexe - Résumé du livre du docteur Lilly : "L'Homme et le Dauphin"

Vidéo
L'arche de Mme Delvolvé



Des extraits du livre

Ce livre est un vrai petit bijou. Je vous le conseille fortement, d'autant qu'on le trouve facilement à l'achat sur internet. Ce livre datant de 1977, j'en publie des extraits assez longs, cela ne devrait gêner personne.

Extraits ch1 - Communication entre les hommes et les bêtes

P18 ./. Pour énoncer avec cette désinvolture que les animaux sont des poètes, qu'ils pensent, devinent, s'expriment et que l'on a non seulement le droit mais le devoir de les traduire, je m'appuie sur 27 années de vie commune avec les bêtes que la destinée conduisit chez moi et aussi sur des rencontres avec des bêtes que je ne fis que croiser et qui, pourtant, me reconnurent.
Elles furent toutes, à part ma petite chacale et mes gazelles, de celles que l'homme a soumises à son usage. De celles qui traversent la vie dans le douloureux silence de l'esclavage et ne connaissent du maître que le bâton, l'inconscience et le couteau.
Ainsi vécurent chez moi des chameaux, chevaux, ânes, boucs, chiens, chats, coqs. Les uns recueillis, les autres achetés, toujours en piteux état, parfois adultes et parfois nés à peine. Pour certains il ne fit aucun doute que, dès que ma main ou mon regard se posèrent sur eux, ils connurent la douce aventure que je leur proposais.
La fraternité égalitaire établie entre eux et moi les libérait des complexes et de la résignation. Je voyais alors, chez les plus doués, se développer la personnalité, les initiatives et, avec le désir de se faire comprendre, la gamme de leurs intonations.
Mais, comment ferais-je mieux partager mes convictions qu'en invitant ceux qui voudront bien me suivre, à refaire avec mes bêtes et moi, le parcours qui, jour après jour, me les inspira.

P31-P32 Rencontre
Ce Kiki est l'un des exemples de ma communication avec des animaux de rencontre. Elle s'établit par un courant d'identification. Pour l'animal, il va de soi, d'emblée, que je suis des leurs. Des leurs sans l'être car, si j'arrivais bouc chez le bouc, chien chez le chien, je me heurterais à l'instinct du territoire moral. Je suis des leurs dans ce "Horla" béni qui, en toute créature, attend d'être entendu.
Un panneau, sur la route, invite à acheter des fromages de chèvre. J'arrête pile. Jamais je ne résiste à l'occasion de voir des chèvres. Je vais à la ferme. Une étable spacieuse, des robes luisantes. S'épanouit en moi le bonheur de rencontrer des animaux traités avec respect. Le bouc est superbe. Ses cornes s'envolutent, légères comme des ailes. L'envergure n'en pèse pas au front mais l'enlève. Un poil dur où les bruns s'enflamment et s'éteignent dans un noir ardent. Fresque préhistorique en marche, il offre largement le mystère de son oeil. Grand oeil où brûle la force d'une présence très différente de celle de l'homme. Pourquoi ? Puissance intacte du mystère resté inaccessible. Noblesse de la Terre et du Feu.
Je prends, dans l'auge des chèvres, une poignée de farine et la lui offre. Avide de cette friandise réservée au harem il racle de ses dents le creux de ma main. Je lui conseille :
- Plus doucement, tu me fais mal.
Aussitôt, d'une langue légère il continue à cueillir le grain moulu. Je ne l'ai jamais vu et ne le reverrai jamais. Par la communication, nous sommes amis de tous les temps.
Et je frémis à l'idée que, devenu plus vieux et plus sage encore, ce patriarche sera mené à l'abattoir. L'homme et son couteau passeront à côté de cette initiale valeur et l'égorgeront. Personne ne verra l'horreur du poil sauvage souillé de sang, ni dans la tête écorchée l'oeil resté humide d'émotion et de connaissance.
A ces exemples, dont j'ai voulu peindre le détail, j'en pourrais ajouter mille et un.
Lorsque je m'adresse naturellement aux animaux et qu'ils font ce que je leur demande, je ne le remarque qu'après et probablement pas toujours. Sur le moment cela va de soi, c'est tout naturel. Je ne m'en étonne que lorsque je ne suis plus que moi-même. Je veux dire au moment où, m'étant reprise, je ne suis plus disponible pour une communication qui est, peut-être, identification avec la créature à qui je m'adresse.
Ce que je viens de dire explique qu'il me soit impossible d'avoir, avec mes bêtes, ces rapports d'intelligence si ma disposition d'âme ou de caractère est mauvaise.
Lorsque je suis dans les jours où ce qui est le meilleur en moi chante, mes animaux saisissent ma pensée et suivent ma parole avec une précision qui me confond. Si, au contraire, gagnée par le mal du siècle, je suis pressée, donc indisponible, ils sont inquiets, rébarbatifs et quelque chose s'éteint dans leurs yeux.
Je peux dire que je n'ai qu'à les regarder pour savoir ce que je vaux ou ne vaux pas.

Extrait ch2 - Ruminants mes amours

P39 ./. J'aime les ruminants. Mais que connaissons-nous d'eux et qui sont-ils ?
Ils font partie de notre vie quotidienne par les morceaux que nous dégustons à table. Ces morceaux, même s'ils ont nom "museau" ou "oreille" n'évoquent à personne la vie à laquelle ils furent arrachés.
Lorsqu'il s'agit de cerfs, d'isards, de buffles, de girafes ou autres, ce qui en reste apparaît en "trophées". Rien n'est plus mort qu'un oeil de verre dans une tête empaillée, rien n'est plus mort qu'une peau tannée.
Devant ces macabres ornements il faut imaginer la beauté qui, pour ce résultat, fut stoppée en plein miracle du mouvement.
On va, en foule, regarder ces fiers animaux vivants dans les zoos - et même dans leurs lointains pays - sans les voir. Mais s'il s'agit de "viande sur pied" : bovins, chèvres, moutons, on les voit plus vaguement encore et "regarder comme une vache qui regarde le train" se dit encore, quand il y a beau temps que les vaches ne regardent plus les trains, ni les avions, ni autres rabâchages en pleine évolution. Quand elles ont bien regardé quelque chose, cela ne les intéresse plus. L'attention qu'apportent les ruminants à l'objet qui les intéresse est étonnante. Ce qui ferait penser que si les vaches ont su regarder le train, peu d'hommes ont su regarder les vaches. Le bovin, en effet, ne retient l'attention de personne. Pourquoi prêter à ce bifteck ambulant la moindre intelligence, le moindre sentiment ? Cela permet de ne le considérer dès la naissance qu'en denrée à exploiter.
Par réaction, je décidai, il y a dix ans, de prendre un petit veau parmi ces millions qui ne connaissent en trois ou quatre mois, que l'obscurité des batteries-supplices et l'abattoir. Je l'élevai avec la même affection et la même liberté d'expression qu'un chien aimé.
L'aventure en valait la peine. J'ai pu démontrer par photographies dans mon récit "Mon boeuf et moi" (Editions L'Ame des Bêtes, 1976), comment, en dix années, Apis est devenu le membre le plus étonnant de notre famille. Il est de mes animaux - et j'ai envie de dire de nous tous - l'un des plus réfléchis, des plus sensibles, des plus fidèles. ./.

Extrait ch5 - Altruisme

P73-P75 ./. Les yeux à peine ouverts dans une petite livrée grisâtre, une graine de chaton, jetée à la mort, commençait à se momifier au soleil. De quel signe était-elle marquée ? Je partais de Casablanca pour Alger, l'auto filait vite. Mais je la vis. J'arrêtai, descendis et la cueillis. Pepette [la chienne], écoeurée de voir cette châtaigne étrangère sur mes genoux, exprima sa réprobation en s'installant seule à l'arrière. On biberonna le chaton tout au long du voyage. A ces orgies lactées, Pepette tournait ostensiblement le dos. Le chaton regonflait. Vers la fin du voyage, Pepette se mit à assister aux séances de tétées. Suivant mes gestes, elle s'inquiétait de la boîte de lait, de la bouteille. Croyant qu'elle en voulait, je lui en offris. Elle refusa, me regarda : "Qu'est-ce que tu crois ?"
A Alger, avant de sortir avec moi, Pepette jetait un coup d'oeil au panier du chaton. Puis, une fois sur deux, elle préféra rester. J'aime qu'un chien décide s'il veut sortir ou non. Le chaton embellissait à vue d'oeil. De coton rêche, son poil devenait soie. Pepette, pendant les tétées, ne le quittait plus des yeux. Un jour, elle hasarda sur lui un petit coup de langue. Le lendemain c'était une toilette passionnée. Elle décida enfin de partager le panier. Un matin, je trouvais le chaton rivé à une tétine. Je félicitai Pepette de sa patience et, craignant qu'il fût mauvais de tirer ainsi sur une mamelle vide, je détachai le chaton. La voie lactée gicla sur ma main. Pepette, après sa jalousie et son dégoût, avait été touchée par l'infortune jusqu'au lait spontané.
J'ai entendu dire que le cas peut se produire chez les femmes. Par exemple, pour une mère dont la fille meurt en couches. La compassion de la grand-mère pour le bébé peut être si profonde qu'elle agit physiologiquement et lui permet d'allaiter. Il paraît même qu'il est arrivé de constater des montées de lait chez un père se trouvant seul à la tête d'un nourrisson.
Je livre à la réflexion de ceux qui me liront ce parallèle de cause à effet qui est preuve d'intensité émotionnelle identique chez l'animal et chez nous. (Les influences nerveuses et psychiques sur la production de prolactine, hormone de la lactation, sont scientifiquement reconnues chez l'être humain.)
Le cas s'est reproduit, à la maison, en faveur de mon âne Bichet. J'ai dit, en le présentant, qu'il téta deux chiennes en cachette.
J'avais, au moment où je rapportai dans mes bras cet ânon quasi mort de faim, une grosse briarde "Nana" et "Couine" ma gentille chienne berbère. Elles avaient assisté à l'arrivée de l'ânon misérable et l'avaient léché. Quand celui-ci se mit à gambader avec elles, je ne m'étonnai pas de le voir fourrager dans l'épaisse fourrure de l'une et de l'autre. Quelquefois même il mettait ses naseaux sous leur ventre et les retournait. L'entente était si parfaite entre mes bêtes à cette époque que je n'y prêtai pas attention. Pourtant quand l'ânon eut quatre mois, j'entendis la grosse briarde gémir ; j'y allais et vis Bichet la téter. Il avait des dents et lui faisait mal. Je constatai qu'elle avait du lait. Aussitôt j'examinai Couine, elle en avait aussi. Je mis fin à ces pratiques généreuses, mais trop douloureuses pour les donatrices.
Ces trois cas se sont produits en dehors de toute saison de lactation naturelle ou de faux lait. Il est à remarquer également qu'ils se sont produits en faveur de deux jeunes animaux recueillis mourants, donc plus attendrissants que d'autres arrivés chez moi en moins piteux état.
A cette intelligence biologique et généreuse déclenchée par un sentiment de pitié (pitié étant pris dans son sens primitif de piété, de don de soi) opposons cet acte de lèse-nature - si largement admis et pratiqué - et qui consiste, pour des raisons de commodité ou d'intérêt, à priver le nourrisson homme ou animal du lait maternel en le nourrissant par d'autres moyens.
Enfants en crèches et au biberon.
Veaux en batterie.
Agneaux nourris aux granulés dans l'obscurité de l'étable tandis que les mères sont au pré.
Péché de lèse-nature ; preuve de tant d'autres aveuglements possibles et base, lorsqu'il s'agit du nourrisson de l'homme, des troubles qui engendrent la rupture entre générations.
A l'animal cette règle imposée reste un tourment, une douleur. Mais chez nous qui choisissons de ne point nourrir nos enfants selon la nature - le plus souvent par obligation, mais parfois aussi par commodité, par coquetterie et, il faut bien le dire, par un ralentissement de l'instinct maternel - cette règle a des retombées secondaires. Secondaires ? Je les crois d'importance dans le caractère de la mutation de notre espèce.
Le soulèvement de la jeune génération - qui est d'ailleurs le grand espoir de notre qualité d'homme - cette indépendance et cette maturité qui leur permettent de juger autrement que les adultes et de les rejeter, n'a-t-elle pas trouvé sa graine dans ce mépris des besoins essentiels de tendresse et de chaleur qui sont ceux du nourrisson ?
En tout cas avec le biberon, le premier acte de rupture est accompli délibérément par les parents. ./.

Extrait ch9 - La science et les bêtes

P120-P122 ./. Ces lignes essentielles tracées, l'inutilité des expériences faites sur le cerveau de ces créatures supérieures [les dauphins] est flagrante et plus encore si l'on prétend les faire dans le but de chercher le moyen de communiquer. Je serais tentée de dire, étant donné les faits, que l'on pourrait laisser l'initiative des moyens de communication au peuple libre des dauphins. Il faudrait leur en susciter l'envie. Capture, vivisection et dressage sont à l'opposé de cette démarche. Dresser des bêtes c'est en faire des robots soumis à notre volonté. Cette satisfaction n'est jamais obtenue qu'en détruisant les dons les plus délicats de la nature sauvage et nous laisse dans l'ignorance de la valeur réelle de ceux que nous tenons en esclavage.
Pour en juger, il faut examiner ce qui a été pratiqué par certains scientifiques dans le but de travailler à la communication inter-espèces. J'ai choisi pour cela de proposer un résumé de l'ouvrage "Man and Dolphin" (L'Homme et le Dauphin) écrit par le célèbre docteur Lilly et édité en 1961.
On en trouvera donc, à la fin de ce volume, quelques phrases bien caractéristiques et l'on verra que cet ouvrage est un intéressant monument élevé à notre inconscience. Il débute par les plus hautes et généreuses idées : "L'Homme doit se dépouiller de ses tabous. Il n'est pas l'unique. Il doit comprendre qu'il existe des créatures de valeur égale et peut-être supérieure à la sienne. Il doit se préparer à communiquer avec elles. Il doit descendre du trône où il s'est placé."
Après quoi, celui qui a fait ces déclarations remonte sur son trône, capture des créatures supérieures et, bien installé dans son laboratoire, ligote ces créatures dans des bacs-cercueils, leur enlève le crâne, leur place à coups de marteau des électrodes dans la cervelle, leur insuffle du plastique dans les veines. Bref, les fait mourir les unes après les autres dans les tourments physiques les plus aigus, dans les tourments psychiques les plus profonds.
Ce savant incarne alors l'image, poussée à son paroxysme, de l'homme s'arrogeant tous les droits sur toutes les créatures ; de l'homme certain de sa supériorité ; de l'homme aveuglé par les moyens techniques que lui ont permis les dimensions et la structure de son cerveau alliée à la forme de ses mains ; de l'homme capable du pire.
Entre ce qu'un homme pense ou aime dire et ses actes il y a trop souvent ce hiatus. Nos plus généreuses pensées se concrétisent rarement par le geste. Le geste est celui de notre nature qui revient au galop ; nature oppressive et prédatrice. Quand elle s'enorgueillit de sa science, comme Lilly, sans se contrôler, elle n'a plus de limite et devient un danger pour tout ce qui est vie et raison naturelle.
Est-ce un progrès dans la communication avec le dauphin que de le récompenser par un stimulus électrique au lieu de lui donner un poisson ? Et a-t-on besoin, vis-à-vis de ces créatures exceptionnellement gaies, bonnes et généreuses de leur implanter l'électrode grâce à laquelle, en appuyant sur un bouton, on leur inflige un châtiment intense ?
Cette méthode rappellerait plutôt les moyens de communication appliqués par la Gestapo sur les êtres qu'elle voulait exterminer.
Le professeur Lilly paraît en être fier alors que cette démarche est d'un machiavélisme stupide. Une créature conditionnée de la sorte n'est plus elle-même, la communication est rendue impossible et même si elle ne l'était pas elle serait faussée. Un dauphin que l'on amène sur une civière dans un laboratoire, un dauphin traumatisé dans son corps - par le martyre des expériences - et dans sa vie affective - privation de son époux, de sa mère ou de son enfant - un dauphin privé de vie communautaire et de son milieu naturel c'est un homme torturé à l'hôpital chez un peuple et dans des éléments étrangers. Si l'on ne connaissait pas l'homme, en aurait-on une idée exacte en ne l'étudiant qu'en de pareilles conditions ?
De plus, les dauphins ne sont adultes qu'à quatorze ans et peuvent en vivre quarante. Comme ils ne résistent jamais longtemps à l'impureté des aquariums, aux voyages, aux émotions ou aux sévices scientifiques, on doit les remplacer souvent. Rien que par cette lacune de longévité chez les dauphins captifs, toutes les études faites dans ces conditions sur leur comportement, leurs facultés, leurs moyens sont incomplètes. ./.

Extrait ch10 - L'industrie et les bêtes

P149 ./. Pour triompher de nous-mêmes, nous avons de lourdes barrières à franchir. La certitude des droits de l'homme sur l'animal est si fortement ancrée dans nos esprits que l'on peut voir le commandant Cousteau, chevalier des sciences, de la philosophie et de la poésie marines ne pas y échapper.
Ayant voué quatre années de sa vie et de son équipe à l'étude des baleines, il nous en révèle les conversations, les chants, la tendresse maternelle, le dévouement de toutes pour une et de l'une pour toutes. Il nous dit le respect qu'elles ont pour la vie de l'homme. Il nous les montre s'embrassant de leurs nageoires pour consommer leurs amours et aussi retenant sur leur titanesque poitrine le baleineau fragile qui tète. Enfin il ne doute pas que ces géantes possèdent une intelligence et une sensibilité profondes.
Pourtant, pour les besoins de ses films, il n'hésite pas à les marquer d'un énorme ballon (croché dans la chair) afin de les poursuivre aisément jusqu'au sanctuaire marin où les mères vont chercher le silence pour accoucher. Il viole ce lieu secret. Dès la naissance, il sépare de leurs mères les baleineaux (très fragiles, dit-il) en les faisant inscrire dans "la ronde infernale" de ses zodiacs. Ingénument, il ajoute que son équipe observe un grand nombre de baleineaux morts à la naissance. L'idée que son expédition motorisée et affolante y soit pour quelque chose ne paraît pas l'effleurer.
De la part d'hommes supérieurs, c'est dommage.
Peu à peu la sympathie pour les créatures marines, le goût de la recherche et de la découverte dégénèrent. L'exploit, le film à sensation, la notoriété chassent le recueillement et l'humilité indispensables à respecter ce qui doit l'être.
A-t-on approché la vérité du peuple des baleines lorsqu'en un même ouvrage l'on peut décrire l'extrême sensibilité et la délicatesse de leur peau et raconter qu'on les harponne (pour les besoins du film) en ne pénétrant qu'à quarante centimètres "ce qui n'est que piqûre d'abeille". Ne saisissent-ils donc pas que, crochant dans cette peau si sensible, ils crochent aussi dans le psychisme, très développé émotionnellement, de ces créatures pour qui le harpon représenta de tout temps la mort et que les dangers courus par leurs enfants révolutionnent autant que nous. Est-ce ainsi que l'on traite des créatures que l'on sait sensibles, pensantes et amies ?
Ici se trouve la charnière qui s'ouvre sur notre incapacité à admettre que des créatures différentes de nous peuvent représenter des valeurs étrangères aux nôtres mais aussi précieuses.
Cette charnière, c'est la frontière que nous devons franchir pour devenir dignes de ce que nous croyons être. ./.

Extraits ch11 - Les hommes et les bêtes

P165-P166 L'ascenseur est vétuste. Il fait presque grand siècle. Pepette, ma fox, y pénètre avec l'assurance guindée qu'elle prend dans les hôtels confortables. Raouta [le teckel] hésite. Le linoléum ciré, le cuivre fourbi lui donne le vertige. Les griffes de ses courtes pattes y glissent, sa cervelle frissonne et je dois la prendre dans mes bras. Elle et moi avons des natures sylvestres qu'effarouche l'artifice. Mais une voix douce nous rassure : "Entrez, entrez, petits enfants." Pepette, Raouta et moi levons les yeux et rencontrons en haut de l'habit du liftier une vieille figure grise. Le regard, gris aussi, et la bouche fatiguée nous sourient. Nous montons les quatre étages en silence mais je me suis assise, ce que je ne fais jamais dans un ascenseur. Pepette éternue de satisfaction et Raouta, détendue, soupire.
"Moi aussi j'aime les bêtes", murmure le vieillard au moment où nous quittons l'ascenseur. Et je sens que je ne peux disparaître dans les couloirs sans écouter ce vieux coeur. Raouta et Pepette se sont assises sur les chemins de tapis et, comme moi, ne quittent pas des yeux le visage de cet homme bon. Il dit : "J'avais une grosse chienne-loup. Je l'ai gardée dix-sept ans. Un camion me l'a écrasée ; je n'étais pas là. Les voisins me l'ont raconté. Elle criait, le chauffeur est descendu avec une barre de fer et il l'a achevée. Comme ça ! bam ! un grand coup sur la tête. Le soir, j'ai trouvé son corps sur la route, elle n'était blessée en nulle part. Je me dis toujours qu'elle n'avait peut-être rien de grave, qu'elle criait de peur : les bêtes ça a de l'émotion. L'homme a cru bien faire. Elle était vieille alors, pardi, elle n'avait plus beaucoup de poils, elle marchait plus très droit, elle y voyait plus très bien. Il s est dit : - C'est un chien vagabond, personne ne s'en occupera plus, vaut mieux l'achever. - Il a pas regardé qu'elle était bien grasse et que chaque jour je la brossais. C'était dix-sept années de compagnie. J'ai eu bien de la peine."
Pour tromper son chagrin, le liftier s'accroupit à la hauteur de mes petites chiennes et celles-ci lui envoyèrent au visage un coup de langue fraternel. Mais la sonnette retentissant, le vieil homme rentra dans l'ascenseur et fut aspiré par les étages inférieurs.
Le soir, comme nous empruntions de nouveau l'ascenseur, le liftier, dès qu'il nous vit, continua du même souffle. Il n'y avait pas eu de journée pour lui. Au gré de la sonnette autoritaire, il avait fait le ludion de haut en bas, de bas en haut de l'hôtel sans quitter son rêve. "Après, disait-il, j'ai trouvé un petit chat. Les rats lui avaient mangé une patte. Mais ça ne fait rien, je l'ai soigné, il a grandi, il est devenu beau. Une figure comme ça !" Le vieux liftier gonflait ses joues, se rengorgeait pour donner l'impression replète et fourrée du petit chat devenu matou opulent. "Quand je rentrais, il venait à ma rencontre comme ça : - Alors, le liftier boitillait dans l'ascenseur. - Et il m'en racontait des choses 'mi-a-mamrou, maraou.' Les animaux ça parle, il suffit de les comprendre. Il avait quatre ans quand un camion me l'a écrasé. Je n'ai pas de chance. Depuis... je suis seul."
Moi - Il faut en prendre un autre.
Le vieux coeur - J'ai soixante-quinze ans. Je me dis, si je meurs, qui lui donnera à manger ? Qui le soignera ? Et je n'ose pas.
Sur le moment je n'eus pas d'autre réaction que d'admirer en moi-même ce sentiment altruiste. L'altruisme est l'expression d'une force qui n'appelle pas à l'aide. Mais quelques jours après j'écrivais à cet homme.
"J'ai beaucoup pensé à ce que vous m'avez dit. Reprenez un chien et donnez mon adresse à vos voisins. Si vous mouriez, je l'adopterais."
Trois semaines après, il me répondit :
"Madame, depuis hier j'ai un bon compagnon. J'ai donné votre adresse à mes voisins. Je suis content."

P169-P172 Souvent l'on moque la vieille femme toute aux petits soins de son chat, de son chien. "Le chien à sa mémère", ricane-t-on. Et pourtant l'on ignore quelle fut la vie de cette vieille femme et, de toute façon, cette ultime sollicitude pour un être vivant est marque de qualité en face de celui qui préfère, par commodité, ne plus s'occuper de personne, fût-ce d'un canari.
Mme Maryse a 83 ans. Elle vit en faisant de la couture. Je lui apporte à coudre et c'est cousu tout de travers, comme par moi-même. Aussi n'ai-je pas à m'en plaindre.
Les premières fois, dès qu'elle m'apercevait, Mme Maryse, qui habite un petit rez-de-chaussée, se levait et fermait la porte de sa seconde pièce. Vint un jour où elle la laissa entrebâillée. "Je ne ferme pas la porte parce que vous, je pense qu'ils aimeront à vous entendre", me dit-elle. Et je me demandais qui étaient ces mystérieux compagnons. Désormais, la porte devait rester entrouverte et chaque fois plus largement.
Je ne sais de quelles épreuves je sortis victorieuse pour que Mme Maryse se décidât à me présenter, d'abord, son "champignon chinois". Je n'avais jamais entendu parler de cela avant, je n'en ai jamais entendu parler après. Elle leva le couvercle d'une large terrine et je vis d'abord une sorte de champignon gélatineux confortablement installé dans un liquide aussi sombre que lui. "Il y a quatre ans que je l'ai et il demande beaucoup de soins, disait Mme Maryse. J'en bois un petit verre par semaine. Pour les rhumatismes, il me rend bien service. Il faut savoir pour le soigner. Les végétaux c'est comme les bêtes, il faut comprendre ce qu'ils demandent. A vous, je pourrais en donner un morceau. Vous sauriez le faire venir. C'est comme une bouture, mais ça a plus de vie."
Ecarquillée, je regardais ce champignon-méduse qui évoquait une mère géante de vinaigre. Devant cet inconnu je me sentais moins apte que Mme Maryse voulait bien le croire.
Le champignon chinois ayant pris sa place dans l'horizon qu'animait Mme Maryse, j'en demandais des nouvelles. Comme toutes les santés la sienne avait des hauts et des bas. Est-ce ma sollicitude qui gagna le dernier retranchement de la vieille couturière... "Aujourd'hui, me dit-elle, je vous présenterai à Mirette." Je franchis le seuil sacré. Au milieu d'un grand lit, recouvert de dentelles, plusieurs châles s'entortillaient d'où l'on voyait émerger une minuscule tête de chien. "Voilà, c'est Mirette", disait Mme Maryse. Tendre et fière, elle penchait la tête avec un doux sourire comme une très vieille qui regarde un berceau. "Un kilo cent, dit-elle, et elle a 18 ans." Puis, inquiète, Mme Maryse se tourna vers moi. "Et je l'aurai combien de temps encore, dites ?"
Mirette était sortie de ses châles. C'était une fox miniature. Blanche, largement tachée de noir, elle était si petite, si frêle que ce n'était qu'un souffle de chien. Mirette ne tenait debout que par l'intensité de ses yeux. Démesurés dans cette idée de corps, ils étaient restés nets et flambaient.
Tandis que je regardais Mirette, Mme Maryse ouvrait un tiroir en disant pour elle-même : "Puisque nous sommes toutes les trois, je vais avoir le courage de les revoir." Je remarquai à ce féminin pluriel que le champignon chinois était, pour l'instant, mis à l'écart.
- Tenez, regardez, dit Mme Maryse en mettant sur mes genoux un album de photographies, ça c'est mon premier mari. Il n'était pas bien. Pas bien du tout même. Je l'ai quitté. Mais, j'ai emmené Kiki. Je ne lui aurais jamais laissé le chien. Il n'avait pas de coeur. Et là, regardez si j'ai un beau chapeau. J'étais jolie, vous trouvez pas ? C'est Pompon et Loulou qui sont avec moi. Deux gentils. Je les ai gardés 15 ans. Là c'est mon second mari. Celui-là il m'a aimée. Un brave homme et sous-officier. Je reçois toujours sa pension. Il nous a pris tous les trois : Pompon, Loulou et moi. On aimait tous les deux les bêtes. Et puis là, c'est notre bébé. Un petit garçon. On en était fous tous les deux. Là, il va sur ses 10 ans. Il est avec un gros chien qu'on avait trouvé, Noiraud. Celui-là, il s'est fait écraser. Et puis là, je suis seule avec mon garçon. C'est l'année où mon mari est mort. Un refroidissement. Pourtant c'était un bel homme, et fort et bon. La maladie me l'a pris. J'ai jamais compris... Là, Pompon était mort aussi mais on avait encore Loulou. Il en a fait des parties avec François. Mon garçon, il m'avait gardé le goût de vivre. Bon comme son papa. Et puis, je voulais pas qu'il ait de la peine. Je me faisais gaie pour lui. Il me disait qu'il était heureux. Là c'est quand il est parti au régiment...
Les secondes s'écoulaient, Mme Maryse ne tournait plus les pages. Elle fixait la photo. Du châle où était enfouie Mirette sortit une longue plainte. Puis Mirette apparut. Les yeux humides, elle tremblait et regardait intensément sa maîtresse. Celle-ci ferma l'album, le remit au tiroir et prit la minuscule créature dans ses bras. Comme elle la serrait contre son visage, la petite chienne cueillit d'un coup de langue une larme qui descendait sur les joues arides. "C'est pour elle que je ne regarde jamais l'album. Elle sent mon chagrin et ça lui fait trop de mal. La mort d'un garçon si gentil, on s'en remet jamais. Il meurt tous les jours. Dans ce temps on ne savait pas soigner la tuberculose. Aujourd'hui, à ce qu'il paraît, ça se guérit. C'est vrai ? Tant mieux pour les mamans."
Il y avait tant de chagrin dans la pièce que, pour faire diversion, je demandai des nouvelles du champignon chinois. On leva le couvercle. Il n'avait, paraît-il, pas bonne mine. Mme Maryse s'affaira pour lui. Mirette, penchée sur la terrine, dressait les oreilles avec intérêt, Mme Maryse jeta les yeux sur sa pendule, "Onze heures déjà, s'écria-t-elle, et moi qui n'ai pas préparé le midi de Mirette !" La vieille avait repris bonne mine au plaisir qu'elle avait à se dépenser pour sa chienne. Je la quittai.
Aujourd'hui, Mme Maryse pleure. Elle pleure très fort. Les grands yeux de Mirette sont éteints. Légère comme un oiseau foudroyé, elle repose sur un coussin de dentelles. Entre deux sanglots sa maîtresse dit :
- Je suis allée chez l'empailleur. C'est bien assez d'avoir vu partir mon mari et mon fils. Elle, au moins, je pourrai la garder. Quinze mille ça coûte. J'en avais que treize d'économies. L'empailleur a dit que ça lui suffirait. J'ai de la chance quand même. Ces treize mille, je les gardais en cas de malheur. Après celui-là, il peut plus m'en arriver d'autres...
La vieille dame arrêta brusquement ses larmes.
- J'y pense, il faut qu'il me la fasse couchée, comme elle était dans son panier. Elle aimait que je l'emmène. C'est pas parce qu'elle est morte que je vais la laisser seule si je sors.
Après un grand frisson, elle ajouta :
- J'ai perdu mon fils et je ne suis pas morte. Il faudra bien vivre encore sans Mirette.

Je vais rappeler ici un "fait divers" inscrit tragiquement dans ma mémoire et qui montre l'importance du soutien moral que l'amour naïf d'un chien peut apporter aux vieillards.
Une famille, partant en Afrique, ne peut emmener une vieille parente et lui trouve une maison de retraite. Une personne de cet établissement vient prendre contact avec la vieille dame.
- Il ne faudra pas vous ennuyer, lui dit-on, on s'habitue très bien chez nous. Vous verrez.
La vieille dame, qui tient son vieux chien dans ses bras, le serre contre elle et répond :
- Et puis je ne serai pas seule. Nous serons tous les deux.
Le lendemain on vient la prendre avec ses bagages. Mais quand elle va prendre place avec son chien :
- Non. Le règlement interdit les chiens.
- Bon, dit-elle, j'emporterai seulement son collier et sa laisse.
Le lendemain, dans sa chambre, on trouve la vieille dame pendue. Elle s'est servi du collier et de la laisse. En voulant mourir, elle souffrait autant de l'abandon de son chien que de sa propre solitude.
Espérons que, dans les établissements qui accueillent les personnes âgées, leurs amis-animaux seront désormais admis.

P175 ./. L'homme moderne sacrifie tout à ce qu'il croit être son confort. Pourtant, il vit dans le malaise. L'effort quotidien qu'exige cette marche au confort et ce confort lui-même le coupent de ce qui lui est indispensable pour vivre dans l'équilibre, c'est-à-dire avec bonheur.
Pour profiter avec bonheur de quelque chose, de quelqu'un ou d'un animal, il faut coexister et non exploiter. L'exploitation de la Nature, d'autres hommes ou des bêtes, coupe aussitôt toute relation, tout échange valable et raisonnable, tout profit heureux mutuel.
Celui qui exploite étant le plus fort en moyens, c'est la raison de ce plus fort en moyens qui gouverne et non la raison du plus valable. Car qui dit "moyens" ne dit pas bonté, raison, générosité, beauté.
Exploiter, c'est méconnaître. Méconnaître invite à ne pas respecter. L'irrespect mène à tous les abus et c'est ainsi que l'homme abuse de la Nature, des animaux, de lui-même et qu'il prépare sa destruction. ./.

Extrait ch13 - La mort des bêtes

P186 ./. Ma très vieille jument barbe est rentrée du pré pour mourir à l'écurie. S'affaiblissant de jour en jour, et libre, elle avait respecté les heures de sortie, de rentrée jusqu'à cet instant où je la vis revenir dans le milieu d'après-midi. Elle se coucha et entra en agonie... quelques secondes. Vincent, deux ans, était dans mes bras. Il lui envoya un baiser. C'était le témoignage de l'innocence devant le devoir accompli.
Ces morts sont les morts naturelles ; les morts heureuses. La mort des privilégiés.
Malheureusement, pour les bêtes, le temps de la déportation et du martyre est quotidien. Arrachées au pré, à l'étable, à leurs petits, à leurs mères ou au carcan des élevages industriels, elles vont interminablement à l'abattoir. Procession de détresse, de faim, de soif, d'entassement, d'étouffement et de membres brisés sous les coups qui affolent, ne dirigent vers rien et viennent de partout. Pressentiment, odeur de mort, odeur de sang. Les pas-tout-à-fait morts que l'on dépouille ou que l'on plume. Les secondes sont chères à l'abattoir. C'est le sort, chaque jour, de millions d'animaux.
D'autres meurent en laboratoire ou dans la maison où ils sont oubliés, ils meurent aussi à la chaîne, de faim. Parfois dans l'auto abandonnée en plein soleil pendant des heures. Parfois dans l'eau, avec une pierre au cou, si ce n'est cousus dans un sac. Très souvent c'est un coup de bâton, ou de tout autre objet conduit par la colère, qui les abat.
Ce tableau, douloureusement réaliste, il le fallait pour parler de l'euthanasie. Les animaux y ont droit. Triste privilège mais privilège quand même. ./.

Extraits de l'annexe
Résumé du livre du docteur John Lilly - L'homme et le dauphin

Pour en savoir plus, visitez le site Dauphin Libre
ainsi que cette page au sujet du langage des dauphins et du docteur Lilly.




Chapitre 1

Il est peut-être possible pour des hommes de parler avec une autre espèce, expose le docteur Lilly. Pour cela on doit se débarrasser des préjugés concernant la place relative de l'homo sapiens dans le schéma de la nature. C'est-à-dire qu'on doit accorder à d'autres espèces une potentialité intellectuelle comparable à la nôtre. Quelles espèces ? celles dont certains critères les rapprochent de la nôtre. Et d'abord celui de la dimension et de la complexité du cerveau. Ensuite, il faudra rechercher si cette espèce a un langage. Puis, voir si des individus de cette espèce peuvent apprendre le langage humain. C'est le dauphin nez-en-bouteille qui a paru le plus adapté.

Lorsqu'on entraîne le dauphin à vocaliser, on s'aperçoit qu'il place son évent hors de l'eau pour émettre des sons dans l'air plutôt que sous l'eau et cela afin d'être entendu de nous. Les dauphins s'accommodent donc à nous, plutôt que nous à eux. Ils peuvent vocaliser aussi dans l'air alors que nous ne pouvons pas parler sous l'eau. Ils ont donc un peu d'avance sur nous.

Pour étudier les possibilités de communication inter-espèces, le docteur Lilly procède à des expériences par stimulations électriques de certaines portions du cerveau. Il a employé pour cela des rats, des chats, des singes avant de passer aux dauphins.
Avec cette méthode, l'expérimentateur peut, en appuyant sur l'un ou l'autre bouton, obtenir une période contrôlée de plaisir, de récompense ou inversement causer un intense châtiment (peur, angoisse, douleur, nausée, évanouissement). Les meilleurs résultats sont obtenus en plaçant les électrodes sur les côtés avant du cerveau.
C'est par ces moyens artificiels, traumatisants et contre nature, que le docteur Lilly entreprend la recherche de communication inter-espèces avec les dauphins.
"Ces animaux, écrit-il, ont un grand et beau cerveau et ce fait doit nous faire réfléchir avant d'essayer de les traiter comme nous avons traité d'autres animaux moins doués. Il est probable que leur intelligence est comparable à la nôtre, bien que d'une façon très étrange.
Pour accomplir quelque chose avec eux, nous devons surmonter notre sens de la supériorité, notre xénophobie et autres tabous."

Chapitre 3

Lilly obtient cinq dauphins à Marineland, en Floride. Il place son premier animal sur un brancard et commence comme s'il s'agissait d'un chimpanzé dont il voudrait explorer le cerveau. Il lui injecte une dose d'anesthésique pour l'endormir pendant plusieurs heures afin de lui retirer la boîte crânienne et de faire un relevé électrique du cerveau. Le dauphin cesse de respirer et meurt. Lilly décide de continuer avec les autres.
Pour le suivant, il diminue la dose d'anesthésique. Le dauphin meurt aussi. Lilly essaie la respiration artificielle en lui enfonçant un tube dans les poumons. Echec. Il passe au troisième dauphin qu'il parvient à ranimer par la respiration artificielle. Il le remet dans son bassin mais, le cerveau ayant été endommagé, le dauphin ne contrôle plus ses mouvements, tombe sur le côté droit et émet un appel de détresse. Aussitôt, les deux dauphins encore indemnes se précipitent vers lui, nagent sous sa tête et le poussent vers la surface pour qu'il puisse respirer. Il respire puis s'enfonce. Suit un échange de sifflements et de murmures entre les trois animaux. Alors ils changent de méthode et se placent à droite du blessé pour éviter qu'il ne bascule de ce côté. Mais Lilly le sort du bassin et le sacrifie pour continuer son examen du cerveau.
"Nous fûmes, écrit-il, tous choqués et attristés de ces morts par anesthésie... Toutefois, nous apprenions ainsi à éviter de tuer ces animaux en corrigeant nos erreurs techniques." (p56).
Le docteur Lilly prend un quatrième dauphin et change d'anesthésique. Il meurt aussi. Le cinquième également.
Ici, Lilly nous raconte la révolte des employés de Marineland. Mécontents de la façon dont sont traités leurs amis, ils démontrent à Lilly que ces animaux sont extrêmement intelligents, joueurs et amicaux avec l'homme et que ce n'est pas la façon de les traiter.
"Nous découvrîmes, ajoute Lilly, que les dauphins, même si on leur fait mal, n'attaquent pas l'homme. Cela paraît difficile à croire car ils attaquent et tuent les requins." (p61)
"Toutes ces observations furent d'une valeur incalculable... je fus stimulé et incité par ces deux semaines de travail à consacrer toujours et toujours plus d'efforts, de temps et d'argent à ces charmantes créatures." (p61)

Chapitre 4

Le docteur Lilly explique en détail les méthodes d'étude du cerveau des singes. Ligotés, on leur introduit à coups de marteau une électrode dans le crâne en contact avec le cerveau. Cette électrode peut, si le sujet de l'expérience appuie sur un bouton ou l'autre lui transmettre des stimulations de plaisir ou de peine. Très vite le singe choisit de pousser de lui-même le bouton du plaisir. Il le fait, trois fois par seconde, seize heures par jour. Il est tenu ainsi dans un carcan pendant plusieurs semaines.
Lilly décide d'appliquer ce martyre aux dauphins qu'il a dit, lui-même, être de "charmantes créatures".

Chapitre 5

Lilly invente un système de contention pour les dauphins : bac étroit, corps soutenu et maintenu par des sangles, bec engagé dans un trou, tête bloquée par une pièce de métal enrobée de plastique.
Lilly injecte un anesthésique local près du cerveau. L'animal bondit dans ses liens à chaque piqûre. Puis il lui enfonce à coups de marteau un tube dans le crâne pour passer les électrodes. A chaque coup de marteau, l'animal sursaute.
"Nous n'avons pas de preuves, écrit ingénument Lilly, que ce fut très douloureux ou non. Mais pour un animal sensible ce pouvait être traumatisant psychologiquement."
Avec le dauphin n°6, Lilly commence des stimulations par électrodes. Le dauphin comprend aussitôt et appuie de lui-même sur le bouton causant des stimulations agréables. Il appuie, appuie encore, puis frénétiquement et soudain tombe en épilepsie. La respiration s'arrête. Il demeure immobile. Ensuite, son corps s'agite, il fait des mouvements de nage puis il meurt.
"Cette mort nous rendit très tristes et nous traversâmes une période de deuil pour ce délicieux animal" ose dire Lilly (p83).
Cela ne l'empêche pas de recommencer avec le dauphin n°7. C'est un bébé dauphin sur lequel il expérimente son système de stimulation dans le thalamus. Stimulation dite de châtiment qui provoque des douleurs insupportables et des appels de détresse.
Même sort pour le dauphin n°8.

Chapitres 8 et 9

Lilly installe un laboratoire sur l'île Saint-Thomas dans les Caraïbes. Il y amène les dauphins n°9 et n°10 : Baby et Lizie. Lors de l'embarquement en avion, les porteurs laissent tomber le dauphin n°10 sur l'aire cimentée. Arrivé à l'île Saint-Thomas et mis dans un bassin, il émet un appel de détresse. Son compagnon se précipite et une longue conversation s'engage entre eux. Des dauphins libres viennent de la mer le long du bassin et prennent part à la conversation.
La veille de la mort de Lizie, on essaie de la faire manger de force. Lilly s'impatiente. L'heure du dîner étant dépassée, l'un des assistants crie : "Il est six heures." Lizie émet très fortement la phrase humanoïde : ceci est un truc (a trick). Le lendemain, elle était morte.
"Notre chagrin fut douloureux et notre deuil prolongé. C'était une grande déception de la perdre juste comme elle commençait à émettre des sons de cette nature." (p203).
Quelques semaines plus tard, Baby tombe malade à son tour. Lilly tente de le nourrir de force. Le dauphin meurt.
"Au début, ces nouvelles morts nous causèrent un extrême désappointement. Pourtant, nous avions prévu cela et même pire. Avant d'en savoir assez au sujet de ces animaux beaucoup d'autres pourraient mourir." (p165).

Chapitre 10

Lilly achète à Key-Marathon cinq ou six dauphins. Avec les dauphins n°11 et 12 (Elvar et Tolva), Lilly et ses assistants recherchent le contact physique en séjournant longtemps dans leur bassin. Elvar - isolé de tout autre dauphin pendant plusieurs semaines - s'exprime de façon de moins en moins "dauphinesque" et de plus en plus "humanoïde". Il s'efforce d'imiter la voix humaine.
"Nous commençâmes, s'aperçoit enfin Lilly, à voir que, par des méthodes naturelles, sans contrainte d'électrode dans le cerveau, il doit être possible d'établir une communication avec eux." (p189).

Lilly n'arrête pas pour autant la vivisection de ces créatures qu'il reconnaît supérieures.
Il conclut en effet que, s'il établit une vraie conversation verbale avec les dauphins, il pourra être gêné car des groupes d'hommes pourront se poser en défenseurs de la vie de ces animaux et arrêter leur utilisation pour les expériences.
Puis il ajoute que si les hommes arrivent à communiquer avec les dauphins, ceux-ci pourraient aider à résoudre beaucoup de problèmes maritimes : sauvetages, récupération de biens engloutis, lutte contre les sous-marins, détection de mines, pose de mines ou d'engins nucléaires, attaque d'hommes-grenouilles, informations sur les océans, la biologie marine, la pêche...

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